Les personnes déplacées suite aux massacres qui ont suivi l’assassinat du président Melchior Ndadaye ont encore peur de rentrer. Comme préalable, elles réclament justice. Une impunité décriée par les défenseurs des droits humains.
Il est 13h. Un soleil de plomb. On est à l’entrée du site de déplacés de Bugendana. A 100 m, un cimetière est visible. Une croix de 4 m de haut se dresse au-dessus de petites croix en bois. Le message inscrit dessus donne des frissons. 648 personnes tuées. L’horreur absolue.
Le site de Bugendana se trouve à 25 km du chef-lieu de la province Gitega (centre du Burundi) sur la route nationale N°15 (Gitega-Ngozi) récemment goudronnée.
Il est érigé sur une terre domaniale et s’étend sur près de 4ha. Des maisons avec des murs en briques adobe, d’autres en bois avec des tôles déjà vieillies. Ces maisons sont construites sur des parcelles de 20 sur 20 mètres.
Le site héberge 365 ménages, une population avoisinant 2500 personnes. Des personnes doublement rescapées. D’abord des rescapés des massacres qui ont suivi l’assassinat du président Melchior Ndadaye en 1993, et des massacres de 1996.
L’intérieur du site est calme et presque désertique. On peut voir seulement quelques vieillards assis devant les maisonnettes. Quelques petits enfants n’ayant pas encore l’âge scolaire jouent. Un sexagénaire nous regarde. Où sont les habitants ? Pas de réponse. Il hésite. Son voisin répond. «Ils sont dans les champs, c’est la période pour semer ». C’est exact. Les premières pluies sont tombées.
Pour en savoir un peu plus sur les conditions de vie de ces déplacés et les raisons qui les empêchent de retourner sur leurs collines natales, il faut s’adresser au responsable du site. « Je vous arrive dans 30 minutes ». Oswald Ntirampeba, responsable du site, est un rescapé. « En 1993, j’avais 10 ans et 13 ans en 1996. J’ai vécu tous ces événements douloureux », raconte-t-il.
A quand le retour sur les collines ?
Les jours passent. Puis les années. Les déplacés vivent encore là, sur ce site. Interrogé, M. Ntirampeba avancent plusieurs raisons. « Il n’est pas encore temps. Les survivants ont des plaies qui ne sont pas encore pansées ».
Par ailleurs, il évoque la situation qui prévaut sur les collines. « Il n’y a pas toujours d’habitations proches sur les collines. Les gens ont peur de vivre isolés ». En outre, ajoute-t-il, il y a des orphelins qui n’ont plus de référence familiale.
Des raisons politiques ne sont pas écartées. « La crise de 2015 a ravivé la peur des rescapés. Ceux qui avaient regagné leurs collines sont retournés dans le site ». Le responsable du site évoque aussi l’impunité des présumés auteurs des massacres de 1993. « Il serait difficile de cohabiter avec nos bourreaux ».
Oswald Ntirampeba suggère à la Commission vérité et réconciliation (CVR) d’instaurer une justice transitionnelle. Une justice réconciliatrice où les bourreaux et les victimes se donneront le pardon.
Toutefois, il regrette que les gouvernements qui se sont succédé depuis 1993, aucun n’a envisagé une politique visant le retour des déplacés sur leurs collines.
Et de demander au gouvernement de transformer le camp en villages de paix. Dans ces derniers, insiste-t-il, la sécurité est assurée. « Cela permettra aux déplacés d’être stables et partant, de faire des projets à long terme ».
Mêmes inquiétudes du côté du site de Gihamagara, situé tout près du chef-lieu de la commune Itaba, à l’est de la province Gitega. « La situation n’est pas encore rassurante », juge Elias Ndikumana, responsable du site. Celui-ci héberge 216 ménages, environ 700 personnes.
Il évoque les cas de vol des récoltes appartenant aux déplacés. Certains déplacés, se rendent sur les collines pour cultiver. Ils sèment mais ne récoltent presque rien. « Nos voisins volent nos récoltes. Alors comment celui qui vole tes récoltes peut mener une bonne cohabitation avec toi?», s’inquiète N.D.
En plus, fait-il observer, rien ne garantit que les présumés auteurs des crimes aient changé de comportement. « Il est vrai que la vie est dure dans le site. Des maisons commencent à s’écrouler. Nous sommes obligés de tenir en attendant que la vérité éclate ».
Par contre, ceux qui sont restés sur les collines pointent du doigt certains déplacés. « Parmi eux, il y a ceux qui ont commis des crimes. Ceux-là ont peur de rentrer», témoigne B.J. Il encourage ceux qui ont les mains propres à regagner leurs propriétés. « Nous les accueillerons à bras ouvert »
D’abord, de la justice pour les victimes
Térence Mushano, vice-président de AC Génocide Cirimoso, estime que beaucoup de choses restent à faire pour rassurer ces déplacés. Il soutient que la justice soit d’abord rendue aux victimes. « Ils doivent être rétablis dans leurs droits ».Pour lui, le respect de la Convention de Kampala sur le traitement des déplacés internes est un préalable. Il exhorte le gouvernement burundais à maintenir ces déplacés dans les camps. « Il faut plutôt améliorer leurs conditions de vie ».
Fulgence Manirahinyuza, chargé du monitoring au sein de l’Association communautaire pour la promotion et la protection des droits humains (Acpdh), n’y va pas par quatre chemins : « Les survivants sont encore traumatisés. » D’après lui, les présumés auteurs des massacres se la coulent douce. Cet activiste des droits humains plaide pour une justice réconciliatrice.