Environ deux ans après l’amputation de Jean Claude Ndayishimiye et Richard Bizimana de la colline Karemba, commune Itaba, en province Gitega, et la condamnation des auteurs, ces derniers rechignent à payer les dédommagements. Les familles des victimes ne savent plus à quel saint se vouer.
« Nous n’avons encore rien reçu. Et voilà que nos enfants sont devenus des êtres inutiles. Au lieu de payer les dédommagements, les parents de ces bourreaux nous intimident », se lamente Nzeyimana, veuve et mère de Jean Claude Ndayishimiye (12 ans). Elle est désespérée : « Ils ont juré par tous les cieux qu’ils ne vont pas payer ces dédommagements. Ils disent que nos enfants étaient des voleurs avérés.» Et de se demander pourquoi ces ‘’bourreaux’’ ont recouru à la justice populaire au lieu de porter plainte.
Leurs enfants, insiste-t-elle, ont été victimes de suspicion. « Ils n’avaient aucun épi de maïs dans leurs mains ». Elle rappelle qu’en plus de l’amputation de sa main gauche, en pleine journée, son fils avait été blessé à la tête avec un couteau. « Il a passé deux jours dans le coma. N’eût-été l’intervention et le travail des médecins, il serait mort».
Une tragédie qui a complétement changé la vie de son fils. Son quotidien a changé. « Je dois l’aider à se laver, s’habiller, etc. Je ne peux pas l’envoyer puiser de l’eau ou chercher du bois de chauffage».
Pour rappel, dans un procès de flagrance, le Tribunal de Grande Instance de Gitega avait condamné, le 27 novembre 2017, Shadrack Ndayikengurukiye, 18 ans, à 20 ans de prison ferme et un dédommagement de 4 millions BIF. Son petit-frère, Didier Bayubahe, 15 ans, avait, à son tour, été condamné à un emprisonnement de 4 ans ferme. Ils sont accusés d’avoir amputé, le 22 novembre 2017, les bras à Claude Ndayishimiye et Richard Bizimana.
Le désespoir des mamans
Comptée parmi les vulnérables, la précarité de cette famille s’est aggravée. Selon sa mère, il leur est difficile de manger deux fois par jour ou de trouver de quoi s’habiller. Suite au manque de moyens, son fils n’a pas dépassé la 1ère année. « Etant aujourd’hui infirme, j’ai peur pour son avenir. Même les bienfaiteurs ne viennent plus. Et ce, suite à la jalousie de l’entourage. Ils nous accusent de profiter des malheurs de nos enfants».
Léonie Habonimana, mère de Richard Bizimana (10 ans), l’autre victime, peine à décrire son désespoir : « Nous n’avons plus espoir d’avoir une réparation un jour. Même les administratifs à la base soutiennent que nous et nos enfants sommes des voleurs. » Selon cette maman, ces derniers essayent de défendre les ‘’bourreaux ‘’. Dépourvues de moyens financiers pour le suivi de l’affaire, ces deux familles tendent la main à la justice et aux défenseurs des droits des enfants. « Nous avons été satisfaites du jugement. Mais, nous avons besoin de votre soutien pour sa mise en exécution ».
En outre, cette mère trouve que leurs enfants ont besoin d’être soutenus matériellement et moralement pour préparer leur avenir.
Aujourd’hui, Richard Bizimana, 12 ans, étudie en 3e année à l’ECOFO Karemba. Il se classe 1er de la classe. «Nous sommes fiers de lui. Il ira loin», racontent les voisins.
Mme Habonimana s’insurge contre une probable diminution de la peine prononcée pour les auteurs de cette tragédie : « Si cela s’avère vrai, ça serait se moquer de nous, de nos enfants, de tous les pauvres de ce pays. Et je suis sûre que nous ne sommes pas les seules.»
Contacté, Félix Ntungwenayo, chef de la colline Karemba, comprend les lamentations de ces deux familles : « Jusqu’aujourd’hui, les dédommagements ne sont pas encore versés.» Pour lui, elles ont raison de s’inquiéter.
Néanmoins, il leur demande de laisser la justice faire son travail. Interrogé sur les cas d’intimidation évoqués par ces dernières, M. Ntungwenayo dit qu’il n’est pas au courant.
Il signale que beaucoup de gens de cette colline accusent la mère de Claude Ndayishimiye d’être une voleuse. Mais, nuance-t-il, cela ne peut en aucun cas justifier le refus de verser les dédommagements pour les deux garçons amputés.
La justice interpellée
Pour David Ninganza, défenseur des droits des enfants, tout doit se faire dans le respect de la loi. « Il n’y a aucune justification de cette barbarie dont ont été victimes ces enfants. Qu’ils soient voleurs ou pas ».
Et de rappeler que le recours à la justice populaire est punissable. Si ces enfants ou leurs parents seraient victimes d’une quelconque intimidation, il leur conseille de porter plainte.
Revenant sur l’exécution du jugement, il souligne que si les auteurs ne sont pas solvables, il revient aux parents de payer les réparations. « Et s’ils n’ont pas la capacité financière requise, ils peuvent vendre une partie de l’héritage des auteurs de cette barbarie. Le paiement peut aussi se faire par tranches ». Il estime que la justice doit s’assurer que l’exécution a été effectuée.
Aux parents des victimes, M. Ninganza demande de montrer où se trouve réellement le blocage. « De cette façon, au niveau de nos organisations, on pourra apporter notre coup de main ».
Contactée, Agnès Bangiricenge, porte-parole du Parquet général de la République, tranquillise les parents de ces enfants. Elle signale qu’après le recours des auteurs auprès de la Cour d’Appel de Gitega, cette dernière a condamné Shadrack Ndayikengurukiye à 15 ans de prison et doit payer une amende de 300.000BIF et un dédommagement de 4 millions BIF. Pour le cas Didier Bayubahe, les sanctions du Tribunal de Grande Instance sont maintenues.
Mme Bangiricenge dément les rumeurs d’une probable libération de ces condamnés. Et de clarifier: « Même s’ils purgent leurs peines, ils ne peuvent pas sortir de prison sans verser les dédommagements. »
Par Fabrice Manirakiza & Rénovat Ndabashinze