A Mutaho, la police a effectué une fouille-perquisition très mal vécue par les habitants. Les déplacés de ce site dénoncent un acharnement du nouveau commissaire communal qui aurait d’autres « visées. » L’administration joue à l’apaisement. Deux reporters d’Iwacu ont été à Mutaho. Récit.
Quelques vélos, quelques motos, des piétons. La circulation n’est pas intense au centre commercial de Mutaho, lundi 2 septembre. A l’entrée du marché, trois hommes enthousiastes finissent l’abattage d’une chèvre. Cinq jeunes hommes, désœuvrés, sont assis dans différentes paillotes du bar communal…
L’atmosphère change néanmoins, à moins d’un kilomètre plus loin, dans le site des déplacés de Mutaho, près du chef-lieu communal. Tout commence vendredi 23 août. Des fouilles-perquisitions qui y sont menées se soldent par plusieurs arrestations et des fuites.
Selon les témoignages, la tension naît d’une campagne de saisie des motos qui ne sont pas en ordre avec le Code de la route, selon la police.
Ce vendredi soir, au parc de stationnement du centre de négoce de Mutaho, des policiers, conduits par le commissaire communal de la police saisissent des mots. Mais la tâche n’est pas facile. Révoltés par cette saisie, certains jeunes motards du site engagent le bras de fer. Ils réussissent à arracher quelques motos des mains des policiers et prennent le large, empruntant toutes les directions.
Les policiers, outrés, par le ‘‘mépris’’, furieux, se dirigent vers le site des déplacés, non loin de là sur le lieu où plusieurs jeunes motards ont l’habitude d’attendre les clients. Néanmoins, déjà avertis, la plupart des motards ne sont plus sur les lieux. Sur le lieu, les policiers ne rencontrent qu’un certain « Richard. »
Les affrontements
La police essaie de saisir la moto de Richard de force. Depuis peu, les motards du site de Mutaho se disent dans le collimateur du nouveau commissaire communal de la police. «Il jurait depuis quelques jours de saisir nos motos pour nous les remettre contre des pots de vin», confie un des jeunes du site.
Le motard prénommé Richard résiste, refuse de lâcher sa moto. Le bras de fer s’engage. Le motard bénéficie soudain des soutiens de ses voisins. Des querelles, des affrontements éclatent, la situation s’envenime. Des pierres sont lancées contre des policiers. Finalement, la moto ne sera pas saisie.
Il s’en suivra une ‘‘chasse’’ aux motards, taxi-vélo et ceux qui vendent du carburant dans le site. Dans la matinée de samedi 31 août, des agents de police se rendent chez un certain Prosper, chef des motards du site de Mutaho. Celui-ci devait les aider notamment à trouver le fameux Richard, mais aussi Epipode, Bosco, Jean-Marie… tous des motards. Mais dans la foulée des affrontements la plupart parmi eux ont déjà pris fuite, Les fouilles vont se poursuivre tout au long de ce samedi jusqu’à dimanche. Au total, sept jeunes hommes seront arrêtés et conduits manu militari à la prison centrale de Gitega. Le site reste assiégé. Terrorisés, d’autres déplacés vont prendre le large. Parmi les fugitifs, nos sources parlent notamment de Dieudonné, Bosco, Dévote, etc.
Ces déplacés de la crise de 1993 dénoncent un acharnement. Ils se disent vaincus par la peur. «Nous allons aussi fuir. A l’approche des élections, nous savons qu’il y a toujours des plans de nous emprisonner.» Pour eux, ces fouilles-perquisitions auraient d’autres « visées », « inavouées. »
Une fouille-perquisition aux mobiles politiques ?
Selon des témoignages, la fouille-perquisition de vendredi, 23 août, cacherait des visées politiques. Le parti CNL devait en effet inaugurer la permanence communale, dimanche 1er septembre. Or, les administratifs locaux et le parti au pouvoir considéreraient le site de Mutaho comme un fief, une ‘‘concentration des militants de ce parti».
La fouille serait un prétexte de les empêcher à participer aux cérémonies d’ouverture de la permanence. «Depuis, nous sommes restés encerclés jusqu’à dimanche».
Ce dimanche, disent ces habitants du site, seules quelques femmes ont pu avoir accès aux cérémonies. «Les jeunes ne pouvaient pas s’aventurer sans se faire arrêter».
Les déplacés de Mutaho dénoncent de graves menaces qui pesaient sur eux. «Nous avons été menacés de mort». Les jeunes de ce site seraient en effet accusés de vouloir torpiller le processus électoral imminent. «On nous taxait, avec les jeunes déplacés du site de Bugendana, de récalcitrants».
Le nouveau commissaire communal de la police aurait dit avoir l’objectif de ‘‘ramener à l’ordre’’ ces jeunes. Ces déplacés affirment d’ailleurs que le courant ne passe plus entre l’administrateur communal et le nouveau commissaire communal de la police.
Contacté, ce dernier s’est refusé à tout commentaire au sujet de ces allégations.
L’administration parle d’une situation normale
« Personne ne peut nier que cet incident a eu lieu. Seulement, je ne suis pas le mieux placé pour parler au nom de la police », réagit Denis Niyomuhanyi, administrateur de la commune Mutaho. Selon lui, la fouille visait la vérification des documents des motos et contraindre les propriétaires à se conformer au Code de la route. « Elle n’était pas destinée au site de déplacés ». Il affirme que certains motards ont tenté de résister. Puis, des jeunes ont été arrêtés. « Après interrogatoire, certains ont été relâchés. »
Il assure que la situation est actuellement normale. Cet administratif affirme que les relations entre lui et le commissaire communal de la police sont bonnes : « Car, au cas contraire, j’aurais déjà demandé sa mutation.»
Néanmoins, il reconnaît qu’il a joué la médiation entre les jeunes et les policiers après cet incident : « Je lui ai proposé qu’on allège les punitions. Car, si les motards désertent Mutaho, c’est une grande perte pour la commune. »
En effet, justifie-t-il, avec cette opération, beaucoup de motards ont pris le large vers les communes frontalières, d’autres ont caché leurs motos. « Or, ce sont ces motards qui assurent le transport des malades, des personnes, des marchandises, des fonctionnaires, etc. »
L’administrateur conseille aux motards de se conformer au Code de la route au lieu de fuir la commune. Il encourage les policiers à poursuivre leur travail dans le respect de la loi.
Quant aux inquiétudes des déplacés de Mutaho pour 2020, M.Niyomuhanyi tranquillise : « Soyez rassurés, il n’y aura plus de guerre au Burundi. Les forces de l’ordre et de sécurité sont apolitiques et sont là pour les protéger. »
Edouard Nkurunziza & Rénovat Ndabashinze