Le Conseil des ministres de vendredi 21 décembre a adopté le rétablissement de la capitale à Gitega. Beaucoup de Burundais saluent le projet bénéfique en terme de décentralisation, mais estiment qu’il est hâtif et peu planifié.
Surprise. A Gitega, tout indique qu’il n’y a pas eu de préparation à la hauteur de l’ampleur du méga projet. Déplacer une capitale politique n’est pas une mince affaire.
Les habitants de la « future capitale » s’interrogent notamment sur les infrastructures qui abriteront les services de l’Etat, qui seront bientôt délocalisés. Quand bien même Gitega serait en avance par rapport aux autres villes de l’intérieur du pays, elle reste une petite ville en termes d’infrastructures.
Le Sénat a certes déjà acquis quatre immeubles. Le bâtiment de l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) accueillera les services du bureau. La salle polyvalente de la commune Gitega, dont les travaux de finition sont en cours, les sessions.
Les deux constructions, toutes presque prêtes, se situent sur le boulevard du triomphe. C’est la route qui va du monument du prince Louis Rwagasore, héros de l’Indépendance et passe devant les bureaux de la commune. Cette salle polyvalente, en passe d’être retapée avec une couche de peinture, se trouve en face de la commune. C’est sur l’autre côté de la route bitumée.
Sa construction a été financée par le budget général de l’Etat via le Fonds national d’investissement communal (Fonic). Le gouvernement, dans le cadre de sa politique de soutenir les communes pour leur autonomie, accorde à chacune, via son budget, une somme de 500 millions Fbu par an.
La province mettra à la disposition des représentants du peuple deux des six buildings qui abritent des services administratifs et techniques provinciaux. Construits sous la deuxième République dans la perspective du déplacement de la capitale, le président Bagaza prévoyait d’en faire des bureaux pour les services gouvernementaux.
Cinq ministères devront aussi être établis dans la ville de Gitega. Les ministères de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Elevage, ceux de la solidarité et de l’Education et le ministère de la décentralisation.
Une décision «malvenue»
Pour les cadres des ministères et commissions qui feront l’objet de décentralisation, le déplacement de la capitale n’augure rien de bon. Un d’entre eux, cadre au ministère de l’Education, déplore sous couvert d’anonymat, qu’ils seront contraints d’être séparés de leurs familles.
Selon lui, cette séparation entraînera beaucoup de dépenses. « Je suis en train de rembourser le crédit de construction de ma maison à Bujumbura. Et je devrais louer une autre à Gitega». Cette mesure nuira à la vie de bon nombre de familles.
Un autre, employé au ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, ayant requis l’anonymat, abonde dans le même sens. «Nous ne pouvons pas certes abandonner le travail. Mais la capitale délocalisée dans la ville de Gitega, nous aurons du mal à vivre au quotidien notre vie de pères, de mères, d’épouses et de maris».
La population appelle aux investissements
L’autre grand inconnu pour les habitants de la ville de Gitega, c’est de savoir si les autorités du pays y installeront leurs domiciles principaux. En principe, une capitale politique jouit du prestige d’être la demeure de l’élite dirigeante. Il en est ainsi pour Bujumbura. Théoriquement, il devait en être de même normalement pour Gitega.
N. K., tenancier d’une boutique au quartier Nyamugari, espère que la province bénéficiera de cette délocalisation en termes de développement. Cet homme ressortissant de la province Rutana espère brasser des affaires : «Ce sera possible car cette ville aura entre autres habitants, des familles qui auront beaucoup d’argent. Le pouvoir confère des moyens à ceux qui l’exercent et c’est tout à fait normal qu’ils se distinguent des autres, notamment dans la consommation. »
Un enseignant du secondaire, habitant au quartier Nyabututsi, rappelle sous anonymat que la capitale doit être le centre de rayonnement notamment culturel. Il parle de la nécessité de construction à Gitega de bonnes écoles, des bibliothèques, etc., pour les enfants des dirigeants au moins. «A moins qu’ils laissent leurs familles à Bujumbura, sinon Gitega devrait être doté d’infrastructures culturelles importantes».
Tous les deux appellent le gouvernement, à l’origine du projet, à s’investir particulièrement pour le développement de la ville de Gitega. Sans quoi, Bujumbura restera dans les faits, en plus de son statut de capitale économique, la vraie capitale politique du Burundi.
Emile, habitant le quartier de Shatanya, s’attend, quant à lui, à la construction des hôtels, des salles de conférences, etc. Les habitants de Gitega pourront profiter ainsi du déplacement de la capitale chez eux. Les jeunes chômeurs auront de l’emploi, le niveau de vie sera plus ou moins relevé.
Il ajoute aussi la nécessité de la poursuite de l’asphaltage des routes dans la ville pour en faire une capitale digne et le pavage des avenues dans les quartiers. « Cela fait plusieurs années que nous attendons la réalisation de ce projet». La ville de Gitega connaît aussi de fréquentes coupures d’eau.
C’est le prince Louis Rwagasore qui décida, à la suite de sa victoire aux législatives du 18 septembre 1961, que Bujumbura soit la capitale. Fraîchement devenu premier ministre, à un journaliste de l’Agence française de presse (AFP) qui lui demandait si son gouvernement allait être basé à Gitega, il répondit : «La capitale, c’est Bujumbura.»
Gitega est en passe de devenir la capitale politique du Burundi. C’est un beau projet. Mais, est-elle prête ?