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Politique

Gitega : Des arrestations aux disparitions

12/04/2019 Commentaires fermés sur Gitega : Des arrestations aux disparitions
Gitega : Des arrestations aux disparitions
Rescapé d’une exécution après enlèvement puis arrêté par la police, Emmanuel Ndayishimiye reste introuvable depuis samedi 6 avril

Quatre personnes de la commune et province Gitega sont portées disparues depuis le 18 mars dernier. Une avait été retrouvée mais elle a été arrêtée par la police et a disparu encore le lendemain. Reportage.

Il vient de pleuvoir sur les flancs de la colline Mirama, en zone Mubuga de la commune Gitega, ce mercredi 10 avril, vers 12 heures.

Dans la vallée, la rivière Ruvubu, grise, coule lentement, indifférente. Sur l’autre rive, la colline Bukirasazi de la commune Shombo en province Karusi.

De part et d’autre de la Ruvubu, des champs d’une verdure luxuriante. Il pleut et quelques paysans se réfugient sous des bananiers, pour se mettre à l’abri de gouttelettes de la pluie.

Tout au long de cette rivière, le paysage est le même, jusqu’à plus ou moins deux kilomètres, au bout d’une route menant au chef-lieu de la zone Mubuga.

Là, un attroupement. Mélancoliques, plus d’une vingtaine de personnes de tout âge regardent vers une même direction. A quelque 30 m de la route et à environ 2m de la rivière. C’est là que vient d’être enterré un cadavre d’un homme repêché ce matin vers 10 heures.

Selon leurs témoignages, ce corps est sans doute celui d’un des deux jeunes hommes qui ont été abattus, dans la nuit du jeudi 4 avril, à cet endroit.

«Il était enveloppé dans un moustiquaire, les yeux bandés par un foulard blanc».

La description correspond bien à celle faite vendredi matin par Emmanuel Ndayishimiye, un jeune de la colline Bwoga dans la même commune de Gitega.

Dans la matinée de ce vendredi, se rappellent-ils, Emmanuel Ndayishimiye, menotté et visage bandé, se présente devant des habitants de la colline Mirama qui vont dans leurs travaux champêtres. Le jeune homme, mal en point leur demande un secours. Il raconte qu’il vient d’échapper à une exécution.


L’horreur racontée par Ndayishimiye

Jeudi 4 avril

Une tombe près de la rivière Ruvubu où un cadavre présentant les caractéristiques des « disparus » telles que décrites par Emmanuel Ndayishimiye a été enseveli.

C’est vers 23 heures, la veille, que M. Ndayishimiye est embarqué dans une voiture. Il a les yeux bandés et menotté. Ceux qui l’emmènent, des hommes en tenue policière, lui disent qu’il va être « transféré à Bujumbura. » Jusque-là, il était détenu quelque part dans une maison au chef-lieu de la province Gitega.

Le jeune homme n’a rien oublié de ce terrible voyage. Alors qu’ils roulent, au bout d’un moment, leur véhicule ralentit. Une barrière. Un homme, certainement un policier, veut contrôler le véhicule. Ces autres «policiers» se moquent de lui, d’un ton menaçant. «Comme tu aimes contrôler…Trouves-tu que c’est un mini bus « Hiace » de transport ou une voiture « Probox »?» Terrorisé, il comprend que le policier a levé la barrière car leur voiture repart.

Quelques minutes après, la voiture qui l’emmène emprunte une route en terre battue. Emmanuel Ndayishimiye prend peur.

Il comprend que ce n’est pas « un transfert vers Bujumbura. » Il connaît le trajet Gitega-Bujumbura. La route est macadamisée. Il tente d’ôter le foulard qui recouvre son visage. Sans succès. Mais après plusieurs tentatives, il y parvient un peu. D’un œil, il peut voir à l’extérieur.

Il reconnaît les lieux. La voiture vient de s’engager sur la route qui passe par le pied de la colline Mirama, non loin de la rivière Ruvubu.

C’est à ce moment qu’il comprend que tout est fini pour lui. A ses côtés, il voit qu’il est avec deux autres jeunes bandés et menottés comme lui. Le véhicule qui les embarque est de type « Hilux. »

L’exécution

Le Hilux s’arrête. Les ravisseurs font sortir un à un les jeunes. Emmanuel Ndayishimiye arrive à reconnaître Olivier Ndayishimiye et Térence Manirambona. Tous, des collègues à lui dans un secrétariat public au quartier Magarama près du chef-lieu de la commune Gitega.

Arrive alors son tour. Alors qu’un des ravisseurs ouvre la portière du Hilux, un autre véhicule survient de la direction de Mubuga. Il s’arrête et allume les phares à longue portée.

Le lieu du meurtre est éclairé. Visiblement gênés par la voiture inattendue, les ravisseurs paniquent. Ils referment le véhicule et se dirigent vers la voiture dont les phares éclairent la nuit. Dans leur précipitation, ils oublient de bloquer les portières.

Emmanuel Ndayishimiye en profite, sort de la voiture et court vers la Ruvubu et se terre dans les roseaux qui bordent la rivière.

Peu après, les ravisseurs reviennent. Ils cherchent, fouillent la brousse tout en passant des coups de fil de temps à autre, en criant que «la mission a été accomplie sauf un seul qui vient de disparaître».

Vers 4 heures du matin, craignant que le jour se lève sur eux, ils abandonnent les recherches. Dans l’eau, M. Ndayishimiye s’accroche toujours sur des roseaux. C’est à l’aube qu’il est retrouvé en piteux état par des habitants de Mirama qui se rendent aux champs.
Ceux-ci, après l’avoir entendu, vont le remettre à une position militaire érigée au barrage hydroélectrique de la Ruvubu.

Le commandant de cette position décide de prévenir la famille de Ndayishimiye. Celle-ci vit à la colline Bwoga, à près d’une vingtaine de kilomètres de là.

Retrouvé puis porté disparu de plus belle

Bwoga, mardi 9 avril. Emmanuel Ndayishimiye, célibataire, fait partie d’une fratrie de trois enfants. Orphelins, lui et son frère sont élevés par leur grande sœur, Chantal Kwizera.

Mme Kwizera, entourée par cinq femmes affiche une mine de désespoir. Surprise et émue de l’objet de notre visite, elle prend quelques minutes pour laisser couler quelques sanglots. «Comment l’avez-vous appris ?», lance-t-elle au bout d’un moment de silence, visiblement soulagée. Et elle débute son récit.

Appelée vendredi 5 avril par le commandant militaire du barrage sur la Ruvubu, elle se rend là-bas tout de suite. Elle est accompagnée par son frère et quatre voisins. «Nous étions heureux d’apprendre que notre frère, disparu depuis trois semaines vient de réapparaître».

Mais sur ces collines, les nouvelles vont vite. D’après elle, Delachance Harerimana, le commissaire de police en province Gitega, débarque sur place quelques minutes après. Son attitude est surprenante. Il paraissait agacé de voir tout ce monde. «Pourquoi êtes-vous ici ? Etes-vous d’ici ou bien ?»

Il veut emmener avec lui Emmanuel Ndayishimiye ‘‘pour des enquêtes’’. Le commandant militaire accepte de le lui remettre mais exige d’attester la réception du jeune homme par écrit.

Le commissaire Harerimana ne semble pas d’accord. Il feint d’aller chercher une clé pour déverrouiller les menottes qui entravent toujours le jeune homme et «repart sur le coup sans plus dire un mot».

Le reste des événements est comme un film. Vers 14h, ce vendredi, le commandant décide d’accompagner la famille au chef-lieu de la province Gitega. Emmanuel Ndayishimiye est remis à un officier de police judiciaire pour instruction.
Il l’interrogera jusque vers 21 heures du soir et décidera de le relâcher. Il est mal en point, des enflures sur tous le corps et une grosse blessure sur la jambe droite. Sa famille et compagnons repartent chez eux avec le leur et prennent la direction du centre de santé de Bwoga pour chercher des soins médicaux. «Nous étions heureux de retrouver le nôtre».

Toutefois, sur le chemin de retour, ils revoient et reconnaissent une voiture communément appelée TI à bord de laquelle était le commissaire de cet avant-midi. Elle les dépasse.

Peu après, l’OPJ qui a relâché Ndayishimiye les rattrape. « Vous êtes encore-là ?». Il embarque sur sa moto Emmanuel Ndayishimiye jusqu’au centre de santé de Bwoga. Pas pour longtemps.

Le commissaire emmène le malade

Quand la famille y arrive, peu après, le commissaire est déjà sur place et les empêche d’entrer. «Au bout de quelques minutes, nous avons vu notre malade muni d’un sérum et l’infirmier qui l’avait accueilli sortir et monter manu militari dans la voiture du commissaire. Le commissaire nous a dit que le malade va être soigné à l’hôpital».

Samedi 6 avril

Selon les témoignages de sa sœur, samedi 6 avril, Ndayishimiye est encore entendu par le même OPJ, au commissariat de police. «Nous pensions que nous allions rentrer avec lui et l’OPJ nous rassurait».

Néanmoins, raconte-t-elle, à un moment de l’interrogatoire, il a répondu à un coup de téléphone et nous a aussitôt déclaré que le dossier est « lourd » et que le malade ne peut pas partir avec nous. Il est entré au cachot du commissariat de police dans une cellule personnelle. «C’est vers que 14h que nous rentrons désespérés».

D’après Chantal Kwizera, trois heures plus tard, un membre de la famille ira le voir au cachot et un policier de garde lui dira qu’’Emmanuel Ndayishimiye n’est plus là’’. «Vous cherchez encore celui-là ? Il a suffi que vous partiez pour qu’il soit emmené ailleurs». Mais le policier ne précisera pas où exactement. Il se contente de leur dire « qu’on l’a embarqué pour Bujumbura».

Aucune trace de Ndayishimiye

Vue partielle de la ville de Gitega dans laquelle Emmanuel Ndayishimiye et ses collègues auraient passé trois semaines en détention arbitraire.

Depuis, la famille n’a plus aucune trace du jeune homme. Elle téléphonera à l’OPJ en charge du dossier. Celui-ci est très sec avec la famille, d’après Mme Kwizera.

Joint dans la nuit du samedi, il leur réplique que le leur n’est pas disparu. Il leur donne rendez-vous pour le lendemain.

Dimanche 7 avril, il leur refixe un autre rendez-vous pour lundi 8 avril. Ce lundi, l’OPJ leur dira qu’Emmanuel Ndayishimiye est « détenu » à Bujumbura, sans être plus précis.

Mais Chantal Kwizera insiste et l’OPJ l’appelle pour une entrevue jeudi 11 avril.
Jeudi, il luit dit qu’il ne peut s’exprimer là-dessus. «Demandez au commissaire provincial, mon supérieur hiérarchique». La famille d’Emmanuel Ndayishimiye a cherché sans succès un entretien avec ce commissaire.

Les mobiles qui seraient derrière ces disparitions

Dans cet intervalle de réapparition, entre les mains de sa famille, Emmanuel Ndayishimiye a fait savoir que le jour de son enlèvement, le soir du 18 mars dernier, il avait été appelé par Olivier Ndayishimiye, son collègue.

Celui-ci lui disait qu’il venait de faire un accident à la colline Songa, non loin du centre-ville de Gitega, et qu’il avait besoin d’une pommade. Il a, rapporte sa sœur Kwizera, été enlevé par des inconnus qui étaient à bord d’une voiture TI aux vitres teintées alors qu’il apportait ce médicament. Le troisième, à savoir Térence Manirambona, sera victime de ce même traquenard le lendemain.

Selon les témoignages à Gitega, Olivier Ndayishimiye avait été enlevé un peu avant, dans l’avant-midi du 18 mars, avec un certain Dieudonné Nduwayezu, un motard qui le transportait à moto. Tous les quatre sont toujours portés disparus.

Emmanuel Ndayishimiye a révélé à sa famille que «des inconnus venaient tout le temps dans ma cellule de détention pour me dire que si je ne donne pas l’adresse de mon patron, Jules Niyongere, je ne serai jamais relâché». Ce dernier est un ancien démobilisé des FNL d’Agathon Rwasa.

Contacté, l’officier de police judiciaire qui a instruit le dossier a indiqué qu’il ne pouvait pas s’exprimer là-dessus : « Demander tout au commissaire provincial, mon chef hiérarchique. »

De son côté, ce dernier nous a renvoyés au porte-parole de la police. « Je n’ai pas droit de donner des informations. » Après avoir entendu l’objet de mon appel au téléphone, Pierre Nkurikiye n’a pas voulu s’exprimer.

De la responsabilité individuelle aux félicitations du jury

Hier, dans un Burundi d’avant les manifestations d’avril 2015, la direction du parti Cndd-Fdd brandissait la carte de la responsabilité individuelle face aux cas de violations des droits de l’Homme d’Imbonerakure. Le maître mot étant « pas de globalisation ! » Aujourd’hui, au sein du parti de l’Aigle, la règle est toute autre. Au niveau local, le déni est le réflexe quasi automatique des autorités. C’est à l’échelon national que l’on atteint l’Everest du démenti par une inversion de la situation, les Imbonerakure devenant les victimes qui sont à « féliciter pour leur retenue face à la provocation ». Les Imbonerakure constituent une ressource mobilisable et rentable en période électorale et semblent assurer la fonction de garde prétorienne tant leur rhétorique et leur modus vivendi renvoient à Arès, le dieu grec de la guerre. Ce front uni contre des faits têtus s’avère ainsi être le corollaire d’une reconnaissance implicite de la crise politique en cours, à tout le moins d’une instabilité politique, génératrice d’une période d’incertitude courant jusqu’à à la tenue des élections de 2020 Une telle posture est un produit hautement inflammable. C’est apporter de l’eau au moulin de l’opposition qui aura beau jeu d’invoquer la légitime défense de ses jeunes militants face à cette dénégation perçue comme un blanc-seing donné aux Imbonerakure. Le potentiel explosif de l’intolérance politique dans le contexte burundais fait résonner les propos de l’écrivain français Paul Valéry comme une mise en garde : « L’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait. » Guibert Mbonimpa

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Trois questions à Agathon Rwasa

Quelle est votre réaction face à cette vague d’arrestations et d’enlèvements de vos militants ? Nous le vivons très mal. A ce que je sache nous sommes dans un pays démocratique. Nous avons la liberté comme tout citoyen de vivre notre vie, d’aller dans un bar, rencontrer les amis sans que cela ne vire au drame. Le ministère vous demande de mettre en place les organes du parti dans toutes les provinces du pays. Deux mois après l’agrément du parti CNL, 12 provinces n’ont pas encore eu d’organes. Pourquoi ? Nous sommes en train de nous organiser dans ce sens. Néanmoins, personne n’a le droit de nous dire quand ni comment on va mettre en place ces organes. Nous pensons que c’est juste un prétexte avancé par ceux qui assistent sans intervenir à des intimidations, des abus, des violations des droits de ces citoyens sans défense. A ceux qui vous reprochent de jouer les victimes en traînant les pieds pour mettre en place ces organes, que répondez-vous ? Qui peut vouloir que les siens soient malmenés, opprimés ? Je crains plutôt que ceux qui ont une envie pressante de connaître nos représentants sont ceux-là même qui veulent les cibler et les malmener encore plus. Je demanderais plutôt de considérer ces personnes comme des citoyens avant de les malmener en tant que membres du CNL. Propos recueillis par Agnès Ndirubusa

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