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Gishubi – scouts : une totémisation tourne au drame

05/05/2013 Commentaires fermés sur Gishubi – scouts : une totémisation tourne au drame

Cinq boy-scouts aspirants sachems du Collège communal de Gishubi, province de Gitega, ont été roués de coups de bâtons par leurs formateurs jusqu’à ce que l’un d’entre eux trouve la mort. La population et les parents des victimes demandent que justice soit faite.

<doc2663|left>L’administration affirme être choquée par une telle sauvagerie et a suspendu toutes les activités du mouvement scout dans la commune.
Dieudonné Hakizimana est mort samedi à l’âge de 18 ans, dans des conditions d’une incompréhensible violence à la recherche d’un grade de haute distinction du mouvement scout : totem. C’est-à-dire pour, selon ses parents. Dans la matinée de samedi, loin des regards des passants, la séance de totémisation a tourné en cauchemar.

Dans la vallée, tout près de chez eux, cinq aspirants sachems sont tabassés, piétinés par leurs formateurs appelés « sages » dans le jargon des scouts. Selon Cédric Nshimirimana, un des quatre aspirants qui ont été blessés, ces sages usent d’une rare brutalité au cours de cette formation. « Tous les coups étaient permis. Non seulement, tous les aspirants devaient exécuter sans broncher les ordres des « sages », mais ils devaient aussi encaisser tous les 1000 coups de bâtons pour cette journée seulement. » Sans même savoir si c’est dans les coutumes du scoutisme, ces adolescents « avons tout au début accepté les exigences de cette initiation. » Et c’est tardivement qu’ils se rendront à l’évidence : la barbarie humaine.

Les suppliciés sont laissés là, couchés dans les broussailles, inconscients et sans aucune assistance. N’était la curiosité des femmes qui cherchaient du bois de chauffe dans les environs, personne n’aurait pas eu connaissance des faits. « Leurs activités de formation avaient été autorisées par l’administration et la police. Cependant personne n’avait soupçonné que quelqu’un allait être battu jusqu’à ce que mort s’en suivre », explique Tharcisse Nijimbere administrateur de commune Gishubi. Quant à la famille de Dieudonné Hakizimana, elle demande que justice soit faite. Pour elle, les bourreaux de leur enfant avaient un autre mobile. Car elle estime que même dans les formations commandos, il est rare qu’un candidat y laisse la vie.  «  Ces mêmes « sages » sont venus jusqu’à chez moi pour emmener mon fils, mais il n’est pas revenu vivant.

C’est qu’ils avaient planifié de lui ôter la vie. Pourquoi ne sont-ils pas passés chez tous les autres candidats. Si réellement il est mort accidentellement, pourquoi ont-ils pris le large après. Personne n’est dupe pour le croire. Que la justice les appréhende et qu’ils répondent de leur crime », martèle Gelas Hakizimana. Pour cette famille qui est encore en sous le choc, ladite formation n’aurait été qu’un prétexte pour son fils. Elle se demande pourquoi il y’avait, sur place, d’autres éléments venus d’ailleurs alors que c’était l’unité saint Moïse qui était censé faire ces activités. « C’était pour masquer leur salle besogne et pour que personne ne les identifie après leur forfait », ajoute Gelas Hakizimana, le père de la victime.

Dieudonné Hakizimana est mort pour son amour du scoutisme. Les tentatives du personnel du dispensaire de Gishubi pour le sauver ont été vaines. « Quand l’administrateur et les policiers les ont amenés ici en urgence, tous les cinq avaient des hématomes sur leurs corps. Ils avaient d’ailleurs du sang dans les urines, ce qui attestant des coups graves reçus. Dieudonné, lui, était déjà dans le coma. Il a rendu son âme au moment où je terminais l’installation de sa perfusion. Peut-être qu’il est mort d’un infarctus. Son battement cardiaque était tellement faible », a indiqué l’infirmier qui était de garde ce soir-là.

Coups de bâtons ponctués de multiples immersions dans l’eau

Selon ces quatre victimes qui ont eu la chance d’être évacués à temps, la séance de formation était en grande partie constituée par le passage à tabac : une dizaine de « sages » y avait été affectée. Et puis, le candidat devait s’immerger dans l’eau et cette opération se répétait beaucoup. Tous ces malades affirment que les « sages » étaient très violents. « Nous avons été martyrisés.

<doc2665|left>Mais avant nous pensions que c’était là que réside le secret essentiel pour être sachem. Quand ils ont constaté que nous n’étions pas capables de bouger, certains ont eu peur et ils se sont concertés pour nous amener dans la broussaille en attendant la tombée de la nuit », témoigne Jean Bosco Ndayisenga. « Avant qu’il ne perde connaissance, Dieudonné se plaignait des douleurs et criait. Puis, les cris se sont estompés jusqu’à devenir des espèces de râles. Puis, plus rien du tout », raconte Rénovât Ntiranyibagira en se plaignant lui-même des douleurs au bas-ventre.

Des adolescents capables à tout

L’administration et les parents des victimes ont soulevé la question de la maturité des formateurs. « J’ai demandé à leurs supérieurs de me montrer les lois et règlements du mouvement scout. En attendant toutes les activités de ce mouvement sont suspendues jusqu’à nouvel ordre », a annoncé l’administrateur de la commune Gishubi.

Boy scout depuis une vingtaine d’années, Joseph Nibasumba livre sa lecture des faits survenus à Gishubi. Pour lui, les organisateurs de cette formation ont outrepassé leurs compétences en exerçant une répression physique sans en avoir ni la qualification ni les compétences. « Il d’abord savoir qu’un sachem qui est fraîchement promu ne peut pas diriger la formation des autres sachems. D’abord, il est encore animé par le complexe de supériorité qui peut le conduire à infliger de la violence aux candidats. Ensuite, il peut arriver qu’il n’accepte pas que les autres gagnent ce grade facilement. C’est pour cela que les moins expérimentés sont assistés par les vieux baroudeurs du scoutisme », explique-t-il.

Au chevet de son fils Denis Hakizimana venu, Mathias Kayoya n’en revient toujours pas. « Même si je ne suis pas scout, je comprends mal comment on peut tolérer de telles pratiques. Si réellement le scout doit être l’ami de tous, pourquoi nos enfants n’ont pas été secourus par leurs compères jusqu’à ce que l’un d’entre eux meure. Je me demande aussi qui va payer la facture des soins ?» Cette justice que réclament les parents du défunt est aussi souhaitée par les familles de trois « sages » arrêtés le jour même de ces bavures. « Il faut que tous les 15 qui ont pris fuite soient arrêtés et jugés pour rétablir la responsabilité de chacun. Sinon, on continuera d’accuser seulement ceux qui sont au cahot alors que les vrais coupables courent toujours », demande Léopold Kayoya, père de l’un des trois sages qui sont en garde à vue au cachot de la police à Gishubi. Mais les vœux de ce vieil homme ne seront pas exaucés dans l’immédiat. Car, selon des sources policières, ces présumés tueurs courent toujours mais la traque continuent.

<doc2666|right>« Je n’étais pas au courant de cette totémisation »

Le président de l’Association nationale des scouts du Burundi, Albert Nyamwana indique que l’organisation de cette totémisation n’était pas organisée régulièrement. « Je n’étais pas au courant de cette totémisation. Personne n’avait averti ni moi ni le commissaire régional de Gitega», affirme-t-il en indiquant les procédures normales de demande d’autorisation. « C’est le président du conseil des sages qui a approché l’administrateur de cette commune alors que c’est le chef de groupe qui avise le chef de district avec le sous-couvert du commissaire régional pour l’autorisation. » Il souligne, en outre, qu’il doit être organisé un camp pour qu’il y ait totémisation. Ce qui n’était pas le cas à Gishubi.

Albert Nyamwana présente cette tragédie comme un cas isolé et espère qu’elle ne ternira pas l’image du scoutisme burundais: « Nous serions inquiétés si c’était généralisé. » D’ après lui, les trois sachems arrêtés parmi les 16 qui étaient présents au moment du drame, ont nié avoir planifié de tuer Dieudonné Hakizimana. voué qu’ils n’avaient aucun plan caché derrière. Et pour lui, ils doivent répondre de leurs actes devant la justice. Le président des Scouts du Burundi indique que l’association va essayer de centraliser la totémisation au niveau des provinces afin d’éviter de tel incident.

« C’est une déviation »

Pour Justine Nkurunziza, présidente de l’Association des guides du Burundi(AGB), ce qui s’est passé à Rushubi, est tout simplement une déviation : « Le scoutisme prône le respect des droits de l’homme. C’est d’ailleurs sa priorité. » La présidente des Guides du Burundi avoue que des cas de dérapages avaient été déjà constatés depuis belle lurette. Parfois, des intrus peuvent s’improviser et la totémisation dégénère. Elle prend des tournures comparables à celles qui caractérisent le baptême des baptêmes des nouveaux étudiants à l’université du Burundi : « Certains sont mus par des sentiments inavoués. C’est pourquoi, au niveau du guidisme, la totémisation doit être faite et organisée de telle façon qu’aucun intrus ne puisse y prendre part. Et la présence d’un membre de la hiérarchie est impérative. »

Selon elle, la crise sociopolitique que le pays a traversée n’a pas laissé intacte la société burundaise. Et les scouts ne font pas exception: « Ce sont des séquelles de la guerre. On tend à banaliser la violence et cela n’a pas épargné nos enfants, sans oublier l’impunité. » Normalement, explique-t-elle, la totémisation est une épreuve pour former le caractère d’un scout ou d’une guide. Et Mme Justine Nkurunziza estime que, malgré le drame, cette initiation ne devait pas être suspendue ou arrêtée. Ce qu’il faut faire dans l’immédiat, selon elle, c’est redresser la discipline: « Il y a un besoin urgent d’élaborer un programme de suivi des jeunes et de leur éducation en faisant des descentes sur le terrain. » Car en cas d’incident, ce sont les responsables du scoutisme ou du guidisme qui doivent répondre devant les parents. D’où les débats en cours sur la création d’un comité officiel d’organisation de la totémisation.

<doc2664|right>Pourtant, la totémisation est réglementée

La totémisation est un rite du scoutisme qui se fait en trois grandes phases : la préparation et l’accompagnement (durée 1 année), la formation lors d’un camp qui dure au maximum trois jours, et l’attribution des noms et des qualificatifs. « La formation doit toucher six domaines de développement : physique, intellectuel, social, spirituel, émotionnel et caractériel. » Albert Nyamwana précise que ceux qui totémisent sont les initiés programmés à l’avance par le conseil des sachems. Néanmoins, d’autres animateurs externes peuvent intervenir dans la phase de formation sur demande du conseil des sachems. De plus, ajoute-t-il, le candidat à la totémisation « doit avoir 24 ans au moins, appartenir à un groupe scout et être proposé par le conseil de totémisation. »

Albert Nyamwana précise que le comité veille à ce que les activités ne portent pas atteinte, physiquement ou moralement, à la vie des candidats. Ainsi, explique-t-il, chaque soir, le comité de gestion de la totémisation fait une évaluation de la journée de même que les candidats. Le déroulement des activités est discuté chaque soir lors des séances d’évaluation du comité et l’animateur est tenu de présenter la méthodologie qu’il va utiliser pour la formation. Toutefois, des déviances sont parfois remarquées. Cela est dû sans doute au manque de formation suffisante. « Le candidat est tenu au respect, il n’a qu’à exécuter des instructions de son ainé. De ce fait, certaines peuvent abuser de ce pouvoir. »

eau

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