Touchée par la crise de 1993, l’administration et la population de la commune Gishubi, province Gitega, s’accordent à dire que la réconciliation entre Hutu et Tutsi est à une étape avancée.
Jeudi 12 mars, trois commissaires de la CVR ont effectué une descente à la commune Gishubi. Objectif : faire des contacts avec la population, annoncer leur mission et répondre aux inquiétudes des victimes. Dans cette commune, on se réjouit de l’étape de reconstruction et de réconciliation déjà franchies. Mme Floride Nahabandi, conseillère de l’administrateur chargée des questions administratives et sociales, évoque la construction d’un marché moderne. Il s’agit également d’un village de paix où les Hutu, les Tutsi et les Twa cohabitent pacifiquement. « Quand on se rend dans les champs et que la nuit te surprend en cours de route, les gens t’accueillent chaleureusement. Par ailleurs, nous avons tous été touchés par la guerre sans distinction d’ethnie », affirme B.A., une femme de la localité, précisant que cela résulte de l’implication de l’administration. Les fêtes familiales constituent des moments de rassemblement des Hutu et des Tutsi. En cas de malheur, les Tutsi ont recours aux Hutu et vice-versa. D’autres parlent de mariage interethnique comme preuve de la réconciliation. D’après Chartier Ndayizeye, les gens de Gishubi sont actuellement très solidaires. Il ne voit donc aucun intérêt de retourner dans le passé parce que cela risque de réveiller les vieux démons.
Malgré ces avancées, l’administration et la population affirment que leur commune a été très touchée par la guerre civile. Mme Nahabandi souligne que des infrastructures et des lieux touristiques ont été détruits, des personnes ont été également tuées en grand nombre. Et Claude Mizero, un jeune de la localité, d’ajouter que même des crimes graves y ont été commis et des biens pillés. Floris Kantize, un autre jeune, donne l’exemple d’une famille où treize personnes ont été massacrées. « Notre commune a connu des atrocités. Beaucoup de gens sont morts tandis que d’autres ont fui leurs ménages pour se retrouver dans des sites de déplacés », témoigne Clotilde Cishahayo, soulignant qu’il n’y a pas eu d’enterrement digne. « Il est difficile de relocaliser leurs tombes, car certains ont été enterrés dans des champs, d’autres jetés dans des toilettes. »
… des inquiétudes aussi
Bien que satisfaite de la mise en place de la CVR, la population de Gishubi, a des inquiétudes sur ses missions et son mandat. Claude Mizero trouve que, sans compétence judiciaire, elle n’a pas suffisamment de force. Pour lui, un tribunal international spécial s’avère nécessaire. Ensuite, la CVR devrait aller au-delà de 2008, car « des violations graves des droits de l’Homme ont continué à être commis. » Floris Kantize, quant à lui, se dit inquiet de la manière dont elle a été mise en place. Il se demande comment elle va procéder pour gagner la confiance de ceux qui n’ont pas voté pour elle. Une autre préoccupation concerne la relation entre cette commission et la CNTB. Quid de la stratégie de la CVR pour amener ceux qui ont refusé d’accorder le pardon à se ressaisir. Et en cas de refus catégorique, où vont-ils porter plainte ? Est-ce que la CVR ne risque pas de réveiller les vieux démons? Pour la réparation, M. Kantize se demande s’il y a un fonds prévu à cet effet.
Chartier Ndayizeye juge qu’il y a des cas où la réparation n’est pas possible : « On peut constater que celui qui a tué des gens, volé… parvient à peine à trouver quelque chose à mettre sous la dent. Dans ces conditions, comment est-ce qu’elle pourra payer par exemple plus de 200 vaches ? »
De son côté, Clotilde Cishahayo ne voit pas d’un bon œil la libération des « criminels » après une période d’emprisonnement. Et M.Nzohabonayo de demander comment la CVR traitera les cas de tuerie perpétrés par des militaires.
Eclairage des commissaires
Face aux inquiétudes de la population, Père Désire Yamuremye, un des commissaires, signale que la CVR vise principalement la vérité et la réconciliation. Elle n’a pas un mandat judiciaire. Après avoir fini son travail, le rapport sera donné au Parlement qui pourra décider de la mise en place ou non d’un tribunal international spécial sur le Burundi. Par ailleurs, le tribunal constitue un des mécanismes de justice transitionnelle. Et le Burundi a préféré d’abord statuer sur le cas de la vérité. Quid de leur choix ? Père Yamuremye trouve que ce n’était pas facile : « Des 258 candidats, l’Assemblée nationale a fait le tri jusqu’à onze commissaires. Les qualités morales, les capacités de réconcilier les gens… figuraient parmi les critères de choix. »
Il estime que la CVR et la CNTB sont complémentaires : « Les deux sont appelées à réconcilier les gens en aidant à découvrir la vérité et en leur restituant leurs biens. » Concernant le pardon, il signale qu’il est volontaire. Et Clotilde Bizimana, commissaire, d’ajouter que les noms des disparus, des demandeurs de pardon et ceux qui l’auront accordé seront rendus publics. Un monument national commun et d’autres aux chefs-lieux des provinces et des communes seront érigés afin de permettre aux Burundais de se souvenir du mal qui a endeuillé le pays. Pour elle, la réécriture de l’histoire fait également partie des missions de la CVR. En vue de servir de modèles, les noms des gens qui ont sauvé des vies seront affichés publiquement. Pour le cas des militaires, Père Yamuremye signale qu’ils vont essayer de trouver le commandant. Et s’il n’est plus, il reviendra à l’Etat de répondre puisqu’il s’agit d’une institution étatique.
Quant à Didace Kiganahe, commissaire, il rassure que la CVR ne vient pas les faire retourner en arrière, mais renforcer l’étape de réconciliation déjà franchie. Pour la collecte des témoignages, il indique qu’ils se feront à huis-clos. Et après, la commission mènera des enquêtes pour vérifier leur véracité. Et les présumés coupables auront le temps de se justifier.
Mr. Ndabashinze,
Votre reportage est touchant. Je retiens que :
1) Les citoyens – rescapés et bourreaux essayent de cohabiter malgré les plaies qui ont de la peine à cicatriser
2) Si CVR, il y a, la lettre J pour « Justice » manque ! Les gens l’expriment clairement dans les interventions
3) Des inquiétudes légitimes des uns et des autres subsistent. À l’égard de ceux qui ne demanderont pas pardon et qui vont continuer à les narguer. À l’égard des criminels qui ne seront même pas punis et qui pourraient s’en prendre aux témoins. À l’égard de la CVR qui ne rassure pas à l’instar d’une CNTB qui s’est avérée une nuisance extrême pour la réconciliation nationale
4) Des réponses qui ne rassurent pas où les commissaires semblent avoir des réponses à tout, au lieu d’écouter et de prendre acte de ce que disent les citoyens.
Reka tuzobandanye tubikwirikira
Cordialement
JP-K
La CVR a fait une très grave erreur en enlevant le mot « Justice » ,parce que les gens devraient être condamnés,sans condamnation,pas de réconciliation. Comment voulez-vous vivre avec quelqu’un qui a exterminé toute votre famille? Sans justice?
La CVR n’a pas la prerogative de juger. Ce n’est pas une Cour judiciaire. C’est son rapport qui va determiner qui peut etre juge.