Dimanche 22 décembre 2024

Politique

Giheta, deux monuments se disputent la mémoire de 1972

02/10/2018 Commentaires fermés sur Giheta, deux monuments se disputent la mémoire de 1972
Giheta, deux monuments se disputent la mémoire de 1972
Le nouveau monument flambant neuf.

Un nouveau monument dédié aux victimes du génocide des Hutu en 1972 vient d’être érigé dans la vallée de Nyambeho à Giheta sur la frontière des communes Gitega et Giheta. La population des alentours parlent de spéculation.

Au bord de la route Bujumbura-Gitega, dans la vallée du ruisseau Nyambeho, à quelques mètres, un monument flambant neuf en fer de plus de 5m de hauteur défie l’ancien monument (une stèle appartenant à une autre association qui milite pour la reconnaissance du génocide des Hutu). Selon les sources concordantes, il a été construit dans la matinée du 21 septembre par des « inconnus ». De couleur bleu-ciel avec deux faces, les écriteaux sont visibles des deux côtés. En haut, un œil en larme fixe les passants et les mots comme : je me souviens, never again, « Zingatiya » (prendre à cœur). Un slogan (Avant 1972 et après)  du Collectif des Survivants et Victimes du Génocide hutu de 1972 entoure cet œil pleurant à chaudes larmes. Malgré sa forme imposante et sa couleur vive, la population de Giheta et Gitega s’étonne qu’il ait été construit sans qu’elle soit associée ni consultée. Interrogé, plusieurs habitants de la commune ont fait savoir que ces monuments construits côte à côte sèment plutôt le trouble parmi les victimes et les survivants du « génocide ».

« Personne ne nous a expliqué ce que ça signifie. Ceux qui savent lire nous disent que c’est un monument pour les victimes de 1972 », a confié un septuagénaire.

Pour cet homme qui indique avoir perdu son oncle en 1972, la construction de ce monument, alors qu’il y avait un autre, plus ancien, montre que la lecture commune sur les évènements qui ont endeuillé le Burundi est encore loin.

«  S’ils se réclament de la même cause, pourquoi érigent-ils deux monuments sur un même site ? », s’interroge-t-il.
Ce septuagénaire n’est pas le seul à se demander le bien-fondé de ce monument construit à la hâte et dont personne n’a voulu expliquer la signification.

« C’est pour leurs intérêts et non les nôtres. Que ces deux associations s’entendent et viennent nous montrer le vrai et le faux monument sinon c’est pour nous embrouiller », constate Joseph qui habite dans la commune Gitega tout près de Nyambeho.

« La mésentente était prévisible ! »

L’ancien monument

Pour beaucoup, la construction de ce monument à côté d’un autre ne surprend personne.

« Nous étions sûrs que ça finirait par arriver à voir comment deux groupes se disputaient la même cause  », fait savoir une femme veuve de 1972. En parlant de « chicanerie », cette femme fait allusion à deux groupes : celui de François-Xavier Nsabimana est venu sur ce site de Nyambeho le 28 avril et un autre groupe de Déogratias Nkinahamira est venu le lendemain.

« Xavier nous a affirmé que lui et ses compagnons sont les seuls qui sont reconnus officiellement et que nous devons chasser toute autre personne qui viendrait se réclamer du Collectif des Survivants et Victimes du Génocide Hutu. En l’espace de 24h, un autre groupe (même slogan, même sigle) est venu tambour battant lui aussi nous donner les mêmes injonctions », raconte un taxi vélo rencontré sur les lieux.

« Qu’ils se chamaillent, c’est leur droit mais qu’ils laissent nos parents reposer en paix », lâche Bernard qui rappelle que son père a été jeté dans une fosse sur ce même site de Nyambeho. La population, éberluée, regarde sans comprendre ce conflit entre deux organisations qui théoriquement militent pour une même cause.

«  Ils l’ont mis ici sans nous avertir et si demain un malfaiteur vient voler les tôles et les tubes métalliques de ce monument, ils vont accuser les gens d’être partisans de tel ou tel autre partie », craint Isidore.

A entendre cette population, beaucoup doutent de la bonne foi de ces deux associations qui se regardent en chiens de faïence.
« Ce sont des intérêts qui guident les leaders des deux organisations et non l’intérêt de la population’’, accusent-ils.

Par Jean Noël Manirakiza & Arnaud Igor Giriteka

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Réactions 

Mgr Jean Louis Nahimana : « On ne peut pas être juge et partie à la fois. » Pour le président de la Commission Vérité et Réconciliation(CVR), en qualifiant les évènements de 1972 de « Génocide » les concepteurs du monument sont allés vite en besogne. « La CVR ne s’est pas encore prononcée sur la qualification des crimes commis au Burundi ». Le prélat indique qu’ils ont devancé le travail de la commission. Il appelle à plus de patience et d’attendre les conclusions des travaux de la CVR. Cependant, Mgr Nahimana trouve normal que les membres d’une communauté se mettent ensemble pour revendiquer ses droits. Le problème survient quand elle se donne la prérogative de tirer des conclusions.  L’homme d’Eglise explique qu’on ne peut pas être juge et partie à la fois. Pour ce genre de situation le risque est de voir une partie monopoliser la souffrance. « Toutes les communautés ethniques ont été victimes de leurs identités et cela dans toutes les crises qui ont endeuillé le Burundi ». Ac Genocide: « Un monument non- réconciliateur » Terence Mushano, président de cette association, n’y va pas par quatre chemins : «C’est un monument discriminatoire et non réconciliateur.» Pour lui, les évènements de 1972 n’ont pas seulement fait de victimes chez les Hutu. « Qui ne sait pas que pendant les premiers jours des Tutsis ont été massacrés à Rumonge ou à Makamba. Seulement par après, l’armée de l’époque a réprimé dans le sang beaucoup de Hutu ». Pour M. Mushano, il faut qu’il y ait des mémoriaux partout où il y a eu des massacres. Et Cela pour perpétuer le plus jamais ça. « Faire un monument sur la crise de 1972 devait revêtir un caractère consensuel  », souligne-t-il. Gérard Nibigira : « Deux monuments à un même endroit, intolérable. » « L’administration ne va pas tolérer deux monuments pour une même cause à un même endroit » explique Gérard Nibigira, conseiller principal du gouverneur de Gitega. Pour l’heure, il a proposé aux concernés de se concerter avec l’administrateur de Giheta pour trouver un terrain d’entente. En l’absence de consensus entre les deux parties, les autorités vont être obligées de démolir un des monuments. Et de rappeler que la construction des monuments ne doit pas se faire en désordre. Par ailleurs, il indique que le gouverneur est prêt à les recevoir pour aider à vider cette question. François-Xavier Nsabimana : « Nous avons changé de logo » François-Xavier Nsabimana, président du Collectif international des victimes et survivants du génocide hutu de 1972, affirme avoir eu écho de ce monument. Cependant, il ne connaît pas ceux qui l’ont monté et leurs mobiles. «Cette association dont la dénomination est frappée sur la pancarte qui fait état de ce site mémorial diffère de celle pour laquelle j’assume la présidence. La nôtre revêt un aspect  international». Sur la ressemblance du logo de la pancarte avec celui de son collectif, il rétorque : « Nous avons changé de logo. Nous ne sommes plus ensemble avec les initiateurs de ce projet.»

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