Samedi 27 juillet 2024

Politique

Gestion électorale 2025-2027: L’Église catholique s’en lave-t-elle les mains?

27/07/2024 1
Gestion électorale 2025-2027: L’Église catholique s’en lave-t-elle les mains?
Depuis 2020, la CECAB ne participe plus aux démembrements de la CENI

Alors que le processus électoral avance à grands pas, l’absence des membres de l’Église catholique dans les structures de gestion électorale récemment mises en place fait débat. Que reste-t-il de son engagement électoral? Plusieurs observateurs estiment qu’il s’agit d’un « désengagement progressif de l’Église ». La CECAB avance ses raisons. Des réactions fusent déjà.

Aussitôt après la présentation officielle par la CENI des membres des Commissions électorales provinciales indépendantes (CEPI), les langues se délient. Certains politiciens ne s’empêchent pas de rappeler une citation des psychologues disant que « les premières impressions déterminent à 80% les relations qui suivront. »

« Savez-vous le rôle de l’Église catholique dans ce pays ? Où se trouve-t-elle sur la liste des CEPI? », s’est interrogé un politicien burundais dans les colonnes d’Iwacu.
Partenaire électoral incontournable, l’Église catholique a, depuis longtemps, joué un rôle crucial dans les processus électoraux au Burundi. Mais l’absence de ses membres dans la CENI et ses démembrements déjà mis en place a suscité un tollé dans l’opinion.

La CENI s’explique

« Nous avons entendu des lamentations à travers différents médias. Mais les lamentations ne sont pas des plaintes. Puisque la loi prévoit que s’il y a des plaintes, elles doivent être directement adressées à la CENI, qui doit statuer dans un délai n’excédant pas quatre jours », souligne François Bizimana, commissaire à l’éducation électorale et chargé de la communication à la CENI.

Concernant l’Église catholique, François Bizimana précise qu’aucun dossier de manifestation d’intérêt de sa part n’a été reçu par la CENI. « Il n’y a eu aucun dossier présenté par l’Église catholique au niveau de la CENI. Il n’y avait donc pas moyen de l’inclure dans les démembrements sans qu’elle manifeste son intérêt. »

Par ailleurs, explique le chargé de communication, l’Église catholique était au courant de la période de dépôt de candidatures. « En date du 17 mai 2024, la CENI a organisé une rencontre à l’intention des partenaires électoraux, dont l’Église catholique. Cette dernière était présente, car elle avait été invitée par la CENI. Au cours de cette réunion, la CENI a informé tous les participants que du 22 mai au 7 juin 2024 à midi, ceux qui le souhaitent pouvaient présenter leurs dossiers pour faire partie des équipes des CEPI. »

Pour M. Bizimana, même le Conseil national des églises du Burundi (CNEB), dont les membres avaient déposé leurs dossiers, n’a eu aucun représentant. « Ce n’est pas un drame. Il était parmi les autres qui ont déposé leurs dossiers. L’important pour la CENI, c’est que les confessions religieuses soient représentées dans les CEPI. Et c’est ce qui a été fait. Sur un total de neuf groupes de confessions religieuses ayant présenté leurs dossiers, cinq font partie des CEPI sur tout le territoire national.», conclut-il.

L’Église catholique réagit

Contacté par Iwacu pour clarifier les raisons de la non-manifestation d’intérêt à appartenir aux organes de gestion électorale, Mgr Bonaventure Nahimana, archevêque de Gitega et président de la Conférence des Évêques Catholiques du Burundi (CECAB), indique que depuis 2020, la CECAB ne participe plus aux démembrements de la CENI mais s’engage pour l’observation électorale. « La CECAB accompagne le processus électoral et a déjà mis en place des comités au niveau provincial. Il suivra le niveau communal et les formations ont déjà commencé. »

Selon le président de la CECAB, trois principales raisons expliquent ce « désengagement » de l’Église catholique au sein des organes de gestion électorale (OGEs). « Premièrement, c’est un travail très engageant pour des curés de paroisses déjà suffisamment occupés. Deuxièmement, la mission d’observation est mieux indiquée pour l’Église, en raison de sa neutralité. Et enfin, il y a l’expérience de 2015 où la CECAB a dû retirer ses membres.»

Dans un communiqué daté du 7 juin 2024, la CECAB avait réaffirmé son engagement à accompagner le processus électoral en cours, « même si des problèmes ne manquent pas. »

L’Église catholique et la crise de 2015

De toutes les confessions religieuses présentes au Burundi, l’Église catholique, considérée comme la première force morale du pays, s’est particulièrement illustrée par ses prises de position tranchées et inhabituelles. Au cours de la période charnière du processus électoral, de mars à septembre 2015, la Conférence des Évêques Catholiques du Burundi (CECAB) est sortie de sa réserve habituelle au moins trois fois, par le biais de messages et/ou de communiqués.

Face à la candidature du feu président Pierre Nkurunziza, les prélats catholiques burundais ont plaidé pour une interprétation de la Constitution en accord avec l’Accord d’Arusha, dont elle est l’émanation et qui vise à renforcer le processus de paix et de réconciliation par la voie démocratique.

Partant de ce principe, la CECAB (2015a) a exprimé sa position claire en ces termes : « En interrogeant notre conscience de citoyens qui aiment leur patrie (…) [et] qui ne souhaitent point que le pays replonge dans des controverses, des divisions et dans la guerre, nous déclarons ceci : la parole claire et sans équivoque que les Burundais se sont donnée et qu’ils se sont engagés à respecter est que celui qui est élu comme Président de la République du Burundi, quel qu’il soit, ne peut pas dépasser deux mandats de cinq ans chacun » (p. 2).

Dans ses autres messages qui ont suivi, la CECAB a donné un ultimatum au gouvernement pour qu’il organise des élections dans un climat apaisé où chaque électeur puisse voter en toute liberté, des élections inclusives qui débouchent sur la réconciliation des Burundais. « Pour que les prêtres puissent participer aux démembrements de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) aux niveaux des provinces et des communes, nous avons dû leur donner une permission spéciale, car sans celle-ci, en tant que clercs, il leur est interdit de remplir ce genre de charges (cf. canon 285). C’est pour cela qu’il nous a fallu signer une convention avec les responsables de la CENI précisant les conditions de la participation de nos prêtres à ce travail. »

Cependant, ces hommes d’Église, ayant peut-être constaté la violation de cette Convention, ont finalement, le 26 mai 2015, annoncé que l’Église Catholique du Burundi se désengage totalement du processus électoral : « Après avoir considéré la manière dont ces élections sont organisées et leur évolution actuelle ; en prenant en compte la mission des prêtres de réconcilier les gens et de les rassembler dans l’unité, nous avons pris le temps d’échanger à cœur ouvert avec les membres de la CENI avec qui nous avons signé la Convention. Ils nous ont compris et nous les avons compris. C’est suite à cela que nous, Évêques de l’Église catholique, après une analyse approfondie de la situation, avons estimé qu’il convenait que les prêtres démissionnent et cèdent leur travail à ceux qui peuvent continuer à organiser ces élections. »


Réactions

Patrick Nkurunziza : « La présence ou l’absence de l’Église catholique dans les structures de gestion électorale ne change rien au résultat final »


Le président du parti Frodebu estime que la position de la CECAB est justifiée en raison de la manipulation et de la fraude électorale. Il pense que la présence ou l’absence de l’Église catholique dans les structures de gestion électorale ne change rien au résultat final, qui reste entaché de fraude.

« Fatiguée, découragée, déçue et même désespérée par la manipulation du processus électoral et la fraude électorale, l’Église catholique du Burundi a pris la décision de ne plus participer à un processus électoral qui n’améliore pas les conditions de vie de la population. » insiste-t-il.

Aloys Baricako : « La position de la CECAB est très bonne »


Le président du parti Ranac voit positivement la décision de la CECAB de se constituer en observatrice plutôt qu’en membre des structures de gestion électorale. Cela permet de maintenir une position neutre et de produire des rapports impartiaux sur les élections.
« La position de l’Église Catholique de se constituer en observateur est une très bonne chose. Être présente à la fois dans la CENI et ses démembrements et observatrice serait finalement difficile pour l’Église de faire des commentaires sur la conduite du processus électoral. »

Il estime aussi que ce modèle devrait inspirer d’autres confessions religieuses ou associations de la société civile, car « le pouvoir peut se cacher derrière ces dernières et amener des personnes considérées comme des membres des confessions religieuses ou organisations de la société civile alors qu’elles sont des militants des partis. »

Gabriel Banzawitonde : « Il est dans le droit de chacun de ne pas participer à l’organisation des élections. »

Le président du parti APDR soutient le droit de chaque entité de ne pas participer aux organes de gestion électorale. Il met l’accent sur l’importance de l’observation électorale, considérant que l’Église catholique peut jouer un rôle crucial dans ce domaine malgré sa faible présence dans les structures formelles. « Il est dans le droit de chacun de ne pas participer à l’organisation des élections. », souligne Banzawitonde.

« Même si l’Église catholique participait, je pense qu’elle aurait eu un ou deux membres seulement. L’APDR souhaite plutôt que la présence de l’Église soit élevée dans le rôle de l’observation. », tonne son président.

Kefa Nibizi : « La participation de l’Eglise aux OGEs pourrait masquer la fraude électoral »

Le président du parti Codebu est d’avis que l’Église catholique a raison de privilégier l’observation électorale, affirmant que sa participation dans la CENI pourrait être utilisée pour masquer la fraude électorale. Il rappelle que le processus électoral a été peu inclusif dès le début. « La présence de l’Église catholique dans les démembrements de la CENI pourrait être utilisée comme une couverture de la fraude électorale. » déclare Nibizi, tout en précisant que « la mise en place des démembrements de la CENI reflète bel et bien le caractère peu inclusif qui a entouré le processus électoral depuis son début. »

Anicet Niyonkuru : « Les inquiétudes ne manquent pas »


Le président du parti CDP exprime des inquiétudes quant à l’absence de l’Église catholique dans les organes de gestion électorale, affirmant que cette institution a toujours été objective et neutre. Néanmoins, il reste optimiste quant à la participation de son parti aux élections. « Le parti CDP que je représente a été négativement surpris par cette absence de taille de l’Église catholique dans les organes de gestion électorale. » reconnaît-il, mais ajoute : « Nous participerons à ces élections, car le vent peut tourner dans un sens inattendu. »

Gaspard Kobako : « C’est peut-être une raison de ne pas cautionner un processus électoral mal engagé »


Le président du parti AND-Intadohoka considère la non-participation de l’Église catholique comme un signe de mauvais augure. Il pense que cette absence pourrait être un moyen pour l’Église d’éviter de cautionner un processus électoral entaché d’irrégularités. « La non-participation de l’Église catholique, comme elle le faisait depuis fort longtemps à travers la Conférence des Évêques du Burundi (CECAB), est un signe des temps et, qui plus est, un signe de mauvais augure. » insiste-t-il, soulignant que « voilà une raison de plus pour laquelle l’Église catholique devrait être impliquée parce qu’incontournable. Négliger cela ne manquerait pas de susciter des inquiétudes. »

Jean de Dieu Mutabazi : « Le rôle de l’Église catholique est purement spirituel »

Le président du parti Radebu insiste sur le fait que le rôle de l’Église catholique est principalement spirituel et que son absence dans la chaîne d’organisation électorale ne devrait pas affecter le déroulement des élections. Il affirme que l’État et les organisations religieuses sont distincts et doivent le rester. « S’il ne figure pas dans la chaîne d’organisation des élections, il n’y a pas de conséquence sur le déroulement des élections. » déclare-t-il, en ajoutant que « le rôle de l’Église catholique est purement spirituel. »

Hamza Venant Burikukiye : « Il n’y a pas à s’alarmer »

Le représentant légal de Capès+ minimise l’absence de l’Église catholique dans la CENI ou les CEPI, affirmant que cela ne posera pas de problème et que les élections se dérouleront bien. Il suggère à l’Église de sensibiliser et de prier pour des élections pacifiques. Pour lui, « Si l’Église catholique n’est pas membre de la CENI ou des CEPI, ce n’est pas la première fois et les élections ont eu lieu et se sont bien déroulées. »

Il ajoute que « Cette absence de l’Église catholique parmi les membres de la CENI ou des CEPI n’alarme en rien. » concluant que l’Église devrait sensibiliser les fidèles à répondre massivement et sereinement aux élections et prier pour que la CENI conduise bien les élections, comme elle l’a déjà promis.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Voltaire Kaziri

    J’adore les interventions et points de vue se sieurs Mutabazi et Venant Burikukiye.
    Jesus Chrust , qu’ils sont si originaux.
    Les deux sont des miles du CNDD/FDD.
    Plus catholiques que le Pape, les 2 gentlemen.
    Mon point de vue: Les élections au Burundi seront à l’image du pays.
    Un pays ne peut pas devenir le plus pauvre et le plus corrompu au monde, sans raisons structurelles.

    Qui a dit : En Afrique, on n’organise pas des élections pour les perdre.

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