Sans doute le mois d’avril s’y prêtant bien ((C’est d’une part la période durant laquelle chaque année les Rwandais ont décidé de commémorer le souvenir du génocide des Tutsi perpétré en 1994 ; c’est d’autre part durant cette même période que chez nous au Burundi en 1972 un génocide des Hutu a été orchestré par le régime Micombero)) , ce jeudi 25 avril le Club littéraire « Samandari » a organisé une soirée dédiée au génocide rwandais.
L’invité du jour était le célèbre comédien Diogène alias « Atome » qui a tenté – avec bonheur, à mes yeux – de rendre l’atmosphère, l’esprit et la psychologie qui ont guidé et caractérisé cet acte criminel classé au plus haut degré du palmarès des crimes de « lèse humanité » ((Expression empruntée à René Cassin (1887-1976), prix Nobel de la paix et prix des droits de l’homme des Nations unies)) . Pourtant, à travers le débat qui s’en est suivi il m’est apparu que le sujet demeure générateur de crispations et de frustrations aveuglant l’esprit critique de la plupart des participants à la rencontre.
L’école rwandaise
Le premier sujet de malaise, me semble-t-il, est causé par la façon dont le régime de Kigali ((Quoique cela soit extrêmement important, il me semblerait inexact de donner la paternité à cette politique à qui que ce soit d’autre si ce n’est au pouvoir issu de la guerre et du génocide des années 90’ au Rwanda)) a su théoriser et entretenir la mémoire du génocide des Tutsi rwandais ((Cfr Avocat Sans Frontières, Vade Mecum : Le Crime de génocide et les crimes contre l’humanité devant les juridictions ordinaires du Rwanda, Kigali – Bruxelles, 2004)) . Le pouvoir de Kigali a su maintenir la flamme du souvenir, il n’a pas eu peur de mettre en exergue les crimes indicibles commis pour effacer sur terre un groupe humain comme cela s’est produit pour les Juifs lors de la Shoa. Tous ceux qui n’ont pas pu ou voulu en faire autant pour les leurs en sont subjugués. Au lieu de prendre exemple sur le Rwanda et apprendre à honorer son passé et les siens disparus, les Burundais et surtout les Congolais réagissent souvent sentimentalement et apportent en conséquence des solutions tronquées ou subjectives, quand elles ne sont pas biaisées…
Une histoire obstinément méconnue
La seconde raison d’embarras est sans doute le fait qu’au Burundi, comme au Kivu en RDC, les massacres se suivent et se ressemblent. Toute tuerie est taxée de « génocide » parce que l’on est désormais persuadé que c’est le qualificatif idéal pour attirer sympathie et compassion du reste de l’humanité ((Cfr Finkelstein, N. G., The Holocaust industry: Reflections on the Exploiting of Jewish Suffering, London-New York, Verso, 2000.)). Pour ce faire, peu importe que l’histoire soit travestie ou les termes galvaudés ((J’ai en horreur le titre du livre de Jean-Pierre Chrétien et Jean-François Dupaquier, Burundi 1972 : Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007. Que signifie être « au bord » d’un génocide ? C’est jouer avec des réalités graves pour les intéressés…)) . Chacun y va de son génocide et qu’importe ce qui est advenu à l’autre ; si je suis Congolais de souche, je souffre dans mon être pour ce qui arrive aux miens mais je me préoccupe peu des Congolais rwandophones. Si je suis Burundais, je suis hanté par le martyr des miens, mais je fais peu cas des autres ; Hutu, le sort des Tutsi m’intéresse peu ; Tutsi, le cas des Hutu me touche à peine …
Qu’un crime soit un génocide ou un crime de masses, il est tout autant condamnable et ce sont les mêmes lois internationales qui les régissent ((Cfr a) Convention pour la prévention et la répression des génocides, Paris, le 9 décembre 1948. B) Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, New York, le 26 novembre 1968)) . L’important pour nous qui en avons souffert et qui voulons ne plus les vivre, c’est de questionner l’histoire et d’établir les faits avant de les qualifier, avant même de condamner qui que ce soit. Pour ce faire, associons à notre quête de la vérité tous les Barundi pour le cas du Burundi, tous les gens des Kivu en RDC afin que notre réconciliation ne soit pas l’histoire écrite par les « victorieux », mais bien celle de toute l’humanité.