Dans l’émission génération grands lacs, le témoin des grands lacs est Sylvestre Ntibantunganya, ancien président du Burundi de 1994 et 1996. Dans un entretien exclusif avec Joyce Guilaine Imanishimwe de la radio Bonesha FM, il porte un regard sur les périodes des guerres civiles. Il donne des pistes pour résoudre les tensions dans la sous-région.
Vous avez été à la tête du Burundi de 1994 à 1996. Quelles étaient les relations entre les pays des grands lacs ?
À l’époque, les pays des grands lacs connaissaient d’énormes graves difficultés qui ont d’ailleurs. Le Burundi venait de subir l’assassinat du premier chef d’Etat démocratiquement élu. Cela a fait que le pays entre dans une période très tourmentée de guerre civile de 1993 à 2003. Le Rwanda connaissait également une guerre depuis 1990 qui malheureusement a culminé dans le génocide des tutsi en 1994. Ces sont ces situations-là sur j’ai trouvé quand j’ai accédé à la magistrature suprême dans des conditions internes extrêmement difficiles. On ressentait une résistance des partisans de l’ancien système à tout ce qui pouvait être perçu comme un changement. La guerre civile au Burundi comme le génocide au Rwanda, ont provoqué des mouvements des réfugiés qui ont pesé également de manière très lourde sur le Zaïre (actuelle RDC). Les conséquences se sont manifestées à travers des guerres que ce pays a connues. Elles ont abouti au changement du régime à l’époque avec le départ du président Mobutu Seseko. Il a été remplacé par le président Laurent Désiré Kabila.
Alors quelles étaient les relations avec les peuples des grands lacs ?
Au niveau des peuples, il n’y a eu jamais de problème en tant que tel. Lors des moments les plus difficiles, partout dans le monde, les relations entre peuples gardent des signaux d’espoir. Les problèmes se trouvent au niveau des États et des gouvernements. À l’époque, on peut dire qu’il y avait des changements qui s’opéraient dans les systèmes qui prédominaient pendant une vingtaine ou trentaine d’années autant au Burundi qu’au Rwanda. Cela amenait à des modifications autant mentales que réelles dans les relations et perceptions des différents leaders dans la région. Ça a pris du temps pour que les uns et les autres comprennent les orientations prises et à les respecter. Malgré des fermetures de frontières, des relations restent entre les peuples.
Pourquoi notre région est en conflit permanent depuis des années ?
C’est un problème de leadership. Prenons le cas du Burundi. Combien de temps a-t-on attendu jusqu’à maintenant. Quand je regarde ce qui s’est passé en 1964 sous le parti Uprona même si ce n’était pas un parti unique légal, il était un parti unique de fait, mais divisé. Ils ont organisé ce qu’ils ont appelé cette année-là un congrès de réconciliation au sein de l’Uprona. Mais qu’est-ce qu’il a produit ? Après, on a connu des problèmes. On avance jusqu’en 1990-1991. J’étais membre d’une commission nationale chargée d’étude de la question d’unité nationale. Ça a abouti à la mise en place de la charte de l’unité nationale le 5 février 1991. Est-ce que cela a empêché que deux ans après on ait la grave situation du 21 octobre 1993, avec l’assassinat de Melchior Ndadaye toutes les violences des droits de l’homme ? C’est non. On a négocié à Arusha entre 1998 et 2000 et l’accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi a été signé. Est-ce que cela a empêché ce qui s’est passé en 2015 ? C’est-à-dire qu’il y a quelque part les responsabilités du leadership. Ce sont les mêmes au niveau des stratégies diplomatiques régionales destinées à résoudre les conflits. Les trois pays notamment Rwanda, Rwanda et Zaïre (actuelle RDC), ont créé la communauté économique des pays des grands lacs) 1976. Qu’est-ce qu’elle a fait aujourd’hui par rapport aux problèmes existants ? Elle devrait être active maintenant surtout à l’est de la RDC. On ne le voit pas même si elle est créée pour la gestion et résolution des problèmes d’ordre de sécurité. On parle davantage de l’EAC et de la SADEC. Il y a un problème de leadership et ne pas respecter la parole donnée. Beaucoup des Accords et Conventions ont été signés dans la région pour favoriser la dynamique de la paix et la sécurité. Des gens ne respectent pas leurs engagements.
Y a-t-il espoir qu’un jour notre région puisse retrouver la paix tant souhaitée ?
Bien sûr. Ça arrivera. Il y a une situation compliquée dans le monde, mais qui a été résolue. Comme exemple, le conflit entre les USA et la Chine. C’est vrai que chacun a son orientation idéologique, mais des efforts sont faits pour toujours éviter des confrontations. La France et l’Allemagne étaient en conflit depuis à la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle. Actuellement, les deux pays sont des piliers de l’Union européenne. Je pense que dans notre région, au bout du compte, on finira par avoir des solutions. Personnellement, je compte beaucoup plus sur des nouvelles générations. Ces dernières n’ont pas été marquées par les génocides de 1972 au Burundi, celui fait au Rwanda sans oublier des violations graves des droits de l’homme en RDC. Il leur appartient donc de se protéger et de ne pas se culpabiliser. Ils doivent penser à gérer les Etats de manière à dépasser les clivages et à favoriser le « plus jamais ça ». Les voies sont claires. Il s’agit du respect des droits de l’homme, s’orienter dans la gestion démocratique des Etats et enfin promouvoir la justice pour tous. Il faut un accent particulier sur l’accès à l’éducation. À mon avis, quand on est suffisamment éduqué, il y a des manipulations auxquelles on peut résister.
L’émission Génération Grands-Lacs est un rendez-vous hebdomadaire par les jeunes et pour les jeunes. C’est une occasion pour les jeunes de donner leurs avis et contribution sur des questions de leur région. C’est une production de Search for Common Ground en collaboration avec les radios, Bonesha FM de Bujumbura, radio Isango star de Kigali, mama radio de Bukavu, la radio notre dame de Tanganyika, RNDT d’Uvira et la radio Kivu star de Goma.