Innocent Ngendakuriyo, alias Nzarabu, principal suspect dans ce massacre, et Lt. François Niyonkuru, ont répondu aux questions des juges au Tribunal de Grande Instance de Bujumbura, ce 13 décembre. Pour leurs avocats, il y a beaucoup de zones d’ombre dans le procès qui se déroulait en audience publique.
<doc2339|left>Le ministère public les accuse d’être auteurs et co-auteurs du massacre de 39 personnes dans le bistrot Chez lez amis à Gatumba, et d’avoir volé des médicaments dans une pharmacie d’en face. C’était le soir du 18 septembre 2011. La même accusation est portée contre 19 autres accusés, incarcérés dans différentes prisons du pays.
Nzarabu a réaffirmé, devant les juges, sa non-participation dans ce massacre. Il raconte avoir été mandaté par de hauts gradés de la police et des agents du Service National de Renseignement (SNR), pour tendre un piège à Carmel alias Mukono, auteur de plusieurs vols à mains armées dans la plaine de Rukoko (Ouest du pays, à la frontière de la RDC). Nzarabu et ses avocats, maîtres Fabien Segatwa et Scolastique Negamiye ont demandé au procureur du Tribunal de Grande Instance de Bujumbura d’entendre aussi les présumés organisateurs du massacre, cités comme tels par Nzarabu. Mais le Ministère Public leur a fait savoir, qu’après une enquête, il n’a pas trouvé nécessaire de les faire comparaitre. Une réponse qui a suscité des chuchotements dans la salle et des cris de douleurs des familles éprouvées, des voisins et des amis des victimes à l’extérieur où étaient placés des haut-parleurs.
Nzarabu a cité notamment Désire Uwamahoro, commandant du Groupement Mobile d’Intervention Rapide (GMIR), Gervais Ndirakobuca alias Ndakugarika, directeur général adjoint de la police, Maurice Mbonimpa, secrétaire permanent au ministre de la Sécurité Publique, un certain policier appelé Kazungu, Jérémie Bihorimana (démobilisé) et Karenzo, tous du SNR. Ils auraient participé, poursuit Nzarabu, à des réunions dans les bureaux de Maurice Mbonimpa et dans un bistrot en face de l’alimentation Fidodido quelques temps avant le forfait à Gatumba. Ils étaient, précise Nzarabu qui était du nombre, en compagnie d’un certain Serge, Dieudonné (SNR/Bubanza), Ferdinand Ngabireyimana alias Mubele et Karenzo du SNR.
La deuxième inquiétude de la part de la défense est la falsification des relevés téléphoniques de Nzarabu reçus de l’Agence de Régulation et de Contrôle des Télécommunications (ARCT). Nzarabu affirme qu’il les avait soulignés avec un marqueur, mais qu’une autre liste leur a été présentée lors de ce procès, avec seulement la mention du numéro de Jérémie Bibonyimana (78 698 036), appels émis le 8 septembre 2011 à 14h44, 16h27 et à 16h34/cote 464. Les juges ont fait semblant de ne rien voir. La défense se demande pourquoi les autres numéros ont été enlevés.
<doc2340|right>Maître Scolastique a également signalé à la Cour que Nzarabu est incarcéré et isolé à Rumonge, loin du parquet, en violation de la loi, d’autant qu’il est présumé coupable. Nzarabu affirme qu’il a peur que d’être assassiné d’un moment à l’autre. Ses avocats ont aussi demandé pourquoi leur client a été torturé, le tribunal restant passif face à ce traitement.
Ce dernier a demandé de fournir des preuves, avant que Nzarabu leur montre des cicatrices au niveau de ses poignées et sur les jambes : « J’ai été menotté sur une grillage, les mains en l’air, pendant deux jours et deux nuits. Ils m’ont aussi frappé à l’aide d’un fer à béton », témoigne-il.
Quant au Lt. François Niyonkuru, il est poursuivit pour avoir donné une paire de bottines usagées et une tenue militaire à Mukono. L’accusé réfute ces accusations et affirme qu’il était, par contre, "en mission spéciale pour tuer Mukono". Il précise que ces effets militaires allaient lui permettre de créer des liens avec Mukono et ainsi lui servir d’appât pour mieux l’atteindre : « La mission a échoué à la dernière minute. Mukono est lui aussi intelligent : il connaît bien la région pour déjouer les plans de l’ennemi. Ainsi, la mission m’a été retirée », s’explique-t-il. Son avocat, maître Remy Kururu, ignore toujours les raisons de son arrestation : « Quel crime a-t-il commis alors qu’il était en mission qui lui a été confiée par ses supérieurs ? », s’interroge-t-il.
Toutes les 21 personnes accusées et emprisonnées trouvent que les procès verbaux que détient le Ministère Public ne concordent en aucun cas à ce qu’ils ont dit lors des interrogatoires. Sauf Nzarabu qui affirme avoir dit ce que lui dictait Désiré Uwamahoro : « Après qu’ils m’aient torturé, j’ai eu peur pour ma vie. » Le reste de ceux qui n’avaient pas encore de témoins à charge, parce que menacés, comparaissent ce 14 décembre 2011.