Depuis plus d’une trentaine d’années, les capitaux se ruent illégalement dans les pays étrangers. C’est une véritable saignée, un manque à gagner inestimable pour l’économie burundaise. Deux éminents économistes burundais montrent comment juguler ce fléau.
« Le Burundi a perdu 5,1 milliards de dollars américains de fuite des capitaux depuis 1985 jusqu’en 2015. », révèle le Pr Léonce Ndikumana, Doyen du département d’économie à l’université de Massachusetts aux Etats Unis. Les chiffres sont stupéfiants. Cette saignée est estimée à 10,5% de son produit intérieur brut actuel et 149% de son investissement. Une colossale hémorragie de capitaux.
C’était vendredi le 9 septembre dernier dans une conférence-débat qu’il a animée conjointement avec Docteur Janvier Désiré Nkurunziza, Chef de la section de recherche et d’analyse à la direction des produits de base de la CNUCED.
Dans son exposé « fuite de capitaux : une entrave au développement économique et social en Afrique », Professeur Léonce Ndikumana a d’abord défini la fuite des capitaux. Ce sont des fonds qui ont été enregistrés entrant dans un pays, mais dont l’utilisation ne peut pas être retracée dans les statistiques officielles. Bref, une différence entre les sources des devises et leur utilisation, telles qu’elles sont enregistrées dans la balance des paiements du pays.
Comment se fait la fuite des capitaux ?
« Ce phénomène illicite se produit de plusieurs manières », souligne Professeur Léonce Ndikumana. Mais les principaux canaux de fuite de capitaux sont : détournement de la dette publique et des recettes d’exportation, la contrebande de billets en devise, la surfacturation des importations et la sous-facturation des exportations.
En réalité, les décideurs publics corrompus sont responsables de ce crime. Ils détournent des fonds publics. Lorsqu’ils contractent les emprunts, ils agissent dans leurs propres intérêts. Ils négocient les commissions sur les prêts publics et surfacturent les marchés publics, etc. Ainsi, les fonds détournés sont transformés en avoirs privés puis transférés sur les comptes dans les banques étrangères.
Les décideurs corrompus en sont responsables
Pr Ndikumana dénonce, par ailleurs, que ces dettes ont été, soit contractées sans consentement de la population, soit engagées par des gouvernements autocratiques sans représentation effective du peuple. Ce qui est déplorable, ces prêts n’ont pas été dépensés pour le bien-être de la population, mais dans l’intérêt personnel des dirigeants.
Pour y parvenir, renchérit cet éminent professeur, ces décideurs publics reçoivent un coup de main pour opérer les virements dans l’ombre de la législation sur le secret bancaire.
Au Burundi, la falsification des factures de produits importés ou exportés, tant au niveau de la quantité que de la valeur, demeure le moyen le plus utilisé pour la fuite des capitaux au Burundi.
Les entreprises fictives ou réelles font la surfacturation. Elles gonflent la facture de leurs importations afin de bénéficier d’un virement maximal de devises au taux de change officiel. Cette technique frauduleuse consiste à majorer la valeur en douane déclarée à l’importation.
Ainsi, l’entreprise ou l’importateur émet une facture d’un montant supérieur au montant réel du produit. Ce qui lui permet surtout de dégager un excédent de devises, et donc de transférer de l’argent à l’étranger.
Pour les exportations, les opérateurs malhonnêtes font aussi la sous-facturation. Ils transigent sur des quantités exportées, souvent à des prix en deçà de leur valeur réelle. Ce qui leur permet d’obtenir des plus-values intéressantes, mais sans contrepartie réelle pour l’économie nationale. Ces opérateurs rapatrient une partie des revenus. Une autre est dissimulée dans les banques étrangères.
Et de souligner que les causes qui favorisent la fuite des capitaux au Burundi sont nombreuses. Mais les principales sont les suivantes : la mauvaise gouvernance économique, la mauvaise gestion des ressources naturelles et de la dette extérieure, le secret bancaire et paradis fiscaux sont les principales causes.
Les conséquences sont désastreuses
Sous thème : « Les effets de la fuite des capitaux sur la réduction de la pauvreté en Afrique.» Le consultant d’universités Désiré Nkurunziza, deuxième intervenant du jour a montré comment la fuite des capitaux a freiné la réduction de la pauvreté en Afrique et au Burundi en particulier.
La fuite des capitaux a considérablement sapé la croissance et le développement du Burundi en siphonnant le capital d’investissement potentiel hors du pays.
Ce phénomène illicite entraîne les difficultés économiques. La fuite des capitaux accapare le financement des services sociaux. « Ce vol de ressources également amenuise l’épargne publique et privée». Ce pillage compromet la mobilisation des ressources et l’efficacité du financement.
Cet expert économiste a fait savoir que la fuite des capitaux affecte surtout la population pauvre. Par ricochet, elle creuse également un fossé entre les riches et les pauvres.
Selon lui, si les capitaux qui ont fui en 2000 et 2010 avaient été investis, le taux moyen annuel aurait augmenté de 1.9 à 2.5 points de % par an. Par conséquent, la réduction de la pauvreté s’accélérait. Pour le Burundi, la fuite des capitaux a réduit la constitution du capital entravant les efforts en faveur de la réduction de la pauvreté estimée à 84% en 2016. Ce qui a freiné le développement économique et social.
Après les exposés, l’un des participants ne s’est pas retenu. « C’est donc une véritable hémorragie pour notre économie déjà quasiment à l’arrêt », murmure-t-il.
Dans ce débat riche entre les représentants des banques, des professeurs des universités, des organismes internationaux et les représentants, comment éradiquer ce fléau? Cette question a été posée par la majorité des intervenants.
Que faire ?
Selon ces deux éminents professeurs, comme on le dit, les problèmes complexes exigent des solutions complexes. C’est le cas de la lutte contre la fuite des capitaux.
Pour juguler ce fléau, une meilleure stratégie pour renforcer la capacité de détection des détournements de fonds et la fraude. Et d’augmenter les peines pour les crimes financiers.
En outre, une bonne gouvernance et des institutions solides qui contrôlent la corruption dans les secteurs privé et public sont également incontournables.
Particulièrement, il faut à tout prix casser le secret bancaire en appliquant une transparence sur toutes les opérations bancaires. Et mettre en place des mécanismes solides permettant de mesurer de façon rapide, transparente et précise le commerce international. Ce qui permettra de minimiser les fraudes.
En attendant la mise en œuvre de ces stratégies émises ci˗haut. Le gouvernement burundais doit également penser à rapatrier les capitaux qui fuient le pays. Un seul moyen lui ouvert. Accorder une amnistie économique aux personnes qui ont dissimilé des fonds dans les paradis fiscaux en leur promettant qu’une fois leur argent est arrivé au Burundi, il ne sera pas saisi.
Signalons que cette conférence-débat a été organisée par la Banque de la République du Burundi.