Alors le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana, déclare qu’il n’y a pas d’exécutions extrajudiciaires, Frère Emmanuel Ntakarutimana indique que sa commission a déjà enregistré un cas et poursuit les enquêtes.
Trois mois à la tête de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH), quel est l’état des lieux?
La situation est délicate. Suite au rejet des résultats des élections par une partie de la classe politique, il y a eu accroissement de la violence au niveau verbal mais aussi au niveau des sensibilités sociopolitiques. On observe certains phénomènes de résurgence des groupes armés qui conduisent inévitablement à des assassinats, des embuscades, incendie de véhicules et même mort d’hommes. On constate aussi qu’il y a un discours embarrassé des politiques, avec l’utilisation d’un vocabulaire assez différent pour qualifier la même chose.
Où avez-vous observé ces violences ?
Nous sommes au courant des morts à Muyinga, à l’Est du pays, à Bubanza, dans Bujumbura rural, etc. Il y en a même qui parlent d’exécutions extrajudiciaires. Cela crée un climat qui n’est pas favorable au respect et à la promotion des droits humains.
Les autorités réfutent l’existence d’exécutions extrajudiciaires. Auriez-vous déjà mené des enquêtes pour lever ces équivoques?
Pas beaucoup. Car les moyens de faires des investigations nous font défaut. Mais pour le cas de Bubanza sur l’assassinat d’un certain de Joël Sindaye, nous l’avons exprimé. Il s’agissait d’un cas type d’exécution extrajudiciaire. Dans tous les cas, si une personne est dans les mains d’une institution officiellement reconnue et qu’on n’arrive pas à trouver la filière entre son arrivée à cette institution et la découverte de son cadavre, sans qu’on puisse nous dire ce qui s’est passé, il y a toujours moyen de faire des hypothèses et vérifier s’il ne s’agit pas d’une exécution extrajudiciaire.
Le ministre de l’Intérieur accuse les médias et la société civile d’attiser la haine. Votre avis ?
L’Etat, les institutions gouvernementales, la société civile, les médias, etc. doivent faire chacun son travail de façon responsable. On ne peut pas demander à la société civile et aux médias de se taire. Ils doivent donner leur contribution. Ce sont des partenaires incontournables. D’ailleurs, ne dit-on pas que les médias constituent le 4ème pouvoir, un organe de vigilance. On l’a déjà vu à plusieurs occasions : qu’auraient été les élections sans le travail en synergie des médias? Dans d’autres cas, la société civile est un mécanisme d’alerte précoce : est-ce qu’on aurait évité les catastrophes sans celle-ci? Il faudrait arriver à une situation où chaque institution joue pleinement son rôle.
Nous sommes dans une ère nouvelle
Pour Frère Ntakarutimana, il y a des réflexes et une culture d’impunité qui s’étaient développés sur des décennies qu’il n’est pas facile d’éradiquer si rapidement. Mais les choses ont changé. Le Dominicain prévient : « Les gens doivent se rendre compte que nous sommes dans une nouvelle ère au niveau de la conscience historique et internationale. Avant, des gens pouvaient commettre des crimes et cela passait inaperçu. Aujourd’hui, des atrocités qui s’étaient passées au Soudan, au Congo, au nord de l’Ouganda, etc. il y a quelques années, sont en train de resurgir et même déférées devant la Cour Pénale Internationale. » Le message du président de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme est sans équivoque : « Nos gestionnaires devraient faire très attention. » Il estime que lorsqu’il y a un problème politique, la solution doit être politique aussi. Il faut, d’après lui, qu’il y ait plutôt une prise en main de la question politique.