À environ sept mois des élections parlementaires et communales, l’intention d’un vaste rassemblement est sur les rails dans le milieu de l’opposition burundaise. Dans un communiqué conjoint, Patrick Nkurunziza et Jean Minani s’engagent pour un « Frodebu uni ». Certains observateurs considèrent ce rapprochement inattendu comme un « mariage contre nature et qui risque de coûter cher au Frodebu ». Patrick Nkurunziza donne des explications.
Le samedi 9 novembre 2024, les partis Sahwanya-Frodebu et Sahwanya Frodebu Nyakuri iragi rya Ndadaye se sont rafistolé après plus de quinze ans de brouille.
Ce rapprochement préélectoral Frodebu-Frodebu Nyakuri, qui intervient à quelques mois des élections de 2025, est sous-tendue par la volonté de « réconciliation ». Dans un communiqué conjoint signé à Nairobi au Kenya, Patrick Nkurunziza et Jean Minani s’engagent pour un Frodebu uni.
« Dans le cadre de la réconciliation du Frodebu avec lui-même, les présidents des partis Sahwanya-Frodebu d’une part et Sahwanya-Frodebu Nyakuri iragi rya Ndadaye d’autre part, se conviennent désormais sur un Frodebu uni », peut-on lire dans le communiqué.
Il précise en outre que les deux leaders se conviennent également pour un cadre ouvert, en vue de constituer un vaste rassemblement pour le changement au Burundi.
Le Frodebu considère d’ailleurs cette alliance comme une décision historique. « C’est un pas important vers la réconciliation et la démocratie au Burundi ». Et d’insister : « Nous construisons un avenir meilleur pour la justice et l’unité ».
Un mariage polémique
La décision du Frodebu de s’allier à Minani fait délier les langues. Sur les réseaux sociaux, dans les groupes de discussion sur WhatsApp, certains tirent à boulets rouges sur le Frodebu.
Ils estiment que « cette alliance est contre nature » arguant que Minani figure déjà sur la liste des trente-quatre « présumés putschistes ». Ils évoquent même une décision « qui ignore le contexte dans lequel se joue actuellement la politique au Burundi ».
« Qu’est-ce que Minani va apporter comme plus-value au Frodebu dans le cadre des prochaines élections ? Pourquoi a-t-il signé cette alliance pour le compte d’un parti politique qui n’existe plus ? Va-t-il rentrer au pays pour aider le Frodebu à battre campagne et demander à ses militants, s’ils existent encore, de réintégrer le Frodebu ? », s’interrogent certains.
Selon Félicien Nduwuburundi, président du Forum des partis politiques burundais, le Frodebu a fait une alliance avec un parti politique qui n’existe pas. « Cette alliance est nulle et non avenue puisqu’au moment de l’agrément du Conseil pour la Démocratie et le Développement durable du Burundi, Codebu-Iragi rya Ndadaye, le Frodebu Nyakuri n’est plus ».
Sur son compte X, l’ambassadeur Edouard Bizimana et professeur d’université n’y va pas avec le dos de la cuillère : « S’allier à Jean Minani qui vit entre Bruxelles et Kigali actuellement risque de coûter cher au Frodebu ».
Par contre, d’autres saluent cette « bonne initiative » du Frodebu qui, selon eux, marque un « élan vers la restauration de la démocratie ». « Si ça se concrétise, ce sera l’une des bonnes nouvelles de l’année. Je les encourage à aller plus loin qu’un simple rassemblement : je veux dire un hommage à Ndadaye qui fut, en son temps, l’homme par qui des citoyens, guidés par un esprit civique gagnent la bataille de juin 1993 », commente, sur son compte X, Déo Hakizimana, ancien commissaire de la Commission Vérité-Réconciliation (CVR).
Pour rappel, en 2015, accusé d’être impliqué dans le putsch manqué au Burundi, tout comme de nombreux politiciens burundais, Jean Minani prend le chemin de l’exil.
Selon le communiqué de presse du Parquet général de la République du 2 février 2016, Jean Minani figure sur la liste des trente-quatre présumés putschistes et dont les mandats d’arrêt internationaux ont été déjà prononcés.
« Le Frodebu ne peut en aucun cas abandonner ses militants »
« L’honorable Dr Jean Minani a pris cette décision en âme et conscience. Le Frodebu en a pris acte, car, avant tout, le Dr Jean Minani est un ancien dignitaire du Frodebu. Il fut président de l’Assemblée nationale et président du Frodebu. Comme le Frodebu est en train de se réconcilier avec lui-même, il ne pouvait pas rater cette occasion », réagit Patrick Nkurunziza, président du parti Frodebu.
Il souligne que le Frodebu n’a pas empêché la justice de poursuivre le « présumé putschiste », Dr Jean Minani.
Mais, nuance-t-il, le Frodebu ne peut en aucun cas abandonner ses militants pour l’unique raison qu’ils sont en difficulté, lui-même étant régulièrement confronté à d’énormes tracasseries
À propos des polémiques sur la décision de Nairobi, le président du Frodebu n’y va pas par quatre chemins : « Le Frodebu est un front où se malaxent beaucoup d’idées, un front qui accepte des critiques et même des courants contradictoires en son sein ».
« Je pense que le parti Frodebu en a pesé les avantages et les inconvénients », dixit Kefa Nibizi.
Le président du Codebu-Iragi rya Ndandaye considère quant à lui le retour de Jean Minani au Frodebu comme le fruit normal de la transhumance politique. « Ce n’est qu’un simple retour d’un militant au bercail. Il n’y a rien de spécial ».
Kefa Nibizi, qui a fait tomber Jean Minani et qui dirige actuellement le parti Codebu iragi rya Ndadaye, voit d’ailleurs la décision de Nairobi comme un habillage, c’est-à-dire un système créé pour que Jean Minani puisse regagner son parti d’origine. « Sinon, vous savez que sur l’échiquier politique burundais, le parti Sahwanya-Frodebu Nyakuri iragi rya Ndadaye n’existe plus ».
Concernant le fait que Jean Minani est recherché par la justice et qu’il a signé une alliance avec le Sahwanya-Frodebu, le président du Codebu tranche : « Je pense que le parti Frodebu a pesé les avantages et les inconvénients avant de signer le retour de Jean Minani ».
Pour rappel, à l’issue d’un congrès ordinaire tenu le samedi 15 mai 2021 à Bujumbura, Kefa Nibizi, jusque-là président du Frodebu Nyakuri (puisque Minani était déjà exclu) a été largement réélu à la tête du parti. A cette occasion, le parti a mis en place de nouveaux statuts et s’est doté de nouveaux insignes et d’une nouvelle dénomination. Il s’appellera désormais le « Codebu-Iragi rya Ndadaye ».
Des militants se réjouissent, mais…
« C’est une très bonne nouvelle. Cette décision redore l’image de notre parti à quelques mois des élections. Elle va permettre d’accroître le niveau de mobilisation », apprécie C.N, un jeune militant du Frodebu. Le hic pour lui est que, vu le contexte politique actuel au Burundi, le Frodebu risque d’être accusé de vouloir s’associer aux putschistes.
Même voix chez E.I., un des représentants du Frodebu dans la nouvelle province de Bujumbura. « Cette décision est vraiment à saluer vu que le Frodebu a déjà lancé son programme de réintégration des anciens membres. Avoir encore une fois Jean Minani de notre côté est un pas franchi vers la réconciliation » exprime sa satisfaction.
Selon J.M., un étudiant militant du Frodebu, la décision de Nairobi montre que le parti Frodebu est un canal où toutes les forces de changement doivent passer. « Le Frodebu incarne aujourd’hui la possibilité d’alternance ».
Toutefois, ce jeune reste inquiet quant aux effets de cette décision : « Dernièrement, on a vu comment l’honorable Rwasa a été accusé de se coaliser avec les organisations terroristes par le simple fait que le CNL figurait sur la liste des forces politiques engagées dans le cadre d’action pour la réhabilitation de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi. Vu que Minani est un « présumé putschiste », le Frodebu pourrait courir le même risque ».
Iwacu a contacté Martin Niteretse, ministre burundais en charge des partis politiques, mais ce dernier s’est refusé de tout commentaire.
Quand les héritiers de Ndadaye se « rabibochent »
Avant de multiples embrouillaminis survenus au sein des coalitions formées en exil par la classe politique et certains ténors de la société civile, notamment le Conseil national pour le respect de l’Accord d’Arusha et la restauration d’un Etat de droit au Burundi, CNARED, tous opposés au mandat brigué par feu président Pierre Nkurunziza en 2015, le Dr Jean Minani entend prendre les devants, galvaniser les troupes.
Peu viables, ces coalitions composées de personnalités que tout opposait avec des intérêts et visions divergents peinaient à s’inscrire dans la durée, car portant en leur sein les gènes de leur propre destruction. Mais, le Dr Jean Minani s’est accroché.
Avant son nouvel exil, cet ancien ministre de la Santé publique sous Ndadaye et ancien président de l’Assemblée nationale, à deux reprises et même sous Buyoya, a été parmi les négociateurs de l’Accord d’Arusha. Il a également été président du parti Sahwanya-Frodebu.
Avec l’arrivée au pouvoir du CNDD-FDD, les anciens ténors de la lutte pour le retour à la démocratie, dont le Dr Jean Minani, se retrouvent en perte de vitesse. La nouvelle jeune génération les ignore, les écarte même.
Quelques grosses pointures ont des places ou carrément des strapontins dans quelques institutions. Mais, ils comprennent que leur règne est fini, que leurs heures de gloire appartiennent désormais au passé.
Des scissions au Frodebu avaient déjà commencé avec notamment la création, le 1er août 2002, du parti Sangwe Pader par feu Augustin Nzojibwami. La création d’ailes au sein des partis politiques ou des mouvements, avec une main invisible du pouvoir, faisait déjà ses effets ravageurs semant la zizanie et créant des embrouilles entre les militants d’une même cause.
Ce schisme politique porte un nom, à savoir la « Nyakurisation », un vocable tiré de la formation politique du Dr Jean Minani agréée le 29 juillet 2008 : le parti Sahwanya-Frodebu Nyakuri, iragi rya Ndadaye (le véritable Sahwanya-Frodebu, héritage de Ndadaye), suite aux mésententes très médiatisées entre lui et ses compagnons de lutte.
Et c’est le début pour ce personnage d’une errance politique, vacillant par rapport à ses intérêts changeants, s’alliant à qui les respecte ou s’éloignant de tout ce qui les mettrait en danger.
Cela vaut pour ses anciens proches et collaborateurs, unis pour une cause commune, mais désunis par le piège de la mangeoire. Il en est de même pour ses nouveaux alliés et frères d’armes en exil. Leur mariage de raison n’a pas fait long feu. La flamme n’y était pas. C’est une histoire de la fameuse « guerre des égos ».
Si les scissions « téléguidées d’en haut » observées sous Buyoya sont à classer dans la rubrique de la « Nyakurisation 1.0 », la « Nyakurisation première génération », c’est avec le Dr Jean Minani que la « Nyakurisation 2.0 » sera inaugurée, perpétuée et innovée avec l’avènement du CNDD-FDD au pouvoir.
Mais ironie du sort, après son divorce avec le Frodebu originel, dans la foulée, le Dr Jean Minani s’est vu évincé de son propre parti par un de ses adeptes, Kefa Nibizi.
Aujourd’hui, ce dernier a pris son propre chemin abandonnant même l’appellation héritée de Minani. Mais, l’heure des retrouvailles a sonné : tous ceux qui se réclament de Ndadaye entendent unir leurs forces.
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