Jeudi 21 novembre 2024

Politique

FRAD : Armée parallèle ou armée stagiaire ?

FRAD : Armée parallèle ou armée stagiaire ?
Le 11 avril, le ministre en charge de la Défense nationale, Alain-Tribert Mutabazi, a défendu à l’Assemblée nationale, un projet de loi de réforme des FDN qui suscite la controverse.

Le 11 avril, le ministre de la Défense a présenté un projet de loi qui instaure une Force de Réserve et d’Appui au Développement. Une structure qui cristallise les critiques de l’opposition et la société civile.

Par Alphonse Yikeze et Keyna Iteriteka

Un projet de loi réveille des peurs et des inquiétudes. Le 11 avril, Alain-Tribert Mutabazi, ministre de la Défense et des anciens Combattants, était à l’Assemblée nationale pour présenter un projet de loi de réforme des Forces de défense nationale (FDN).

Une disposition de ce texte est au cœur de toutes les attentions : la FRAD (Force de Réserve et d’Appui au Développement). Dans son exposé des motifs, le ministre Mutabazi parle d’une entité qui sera dévouée à ‘’l’encadrement patriotique des fils et filles du pays et à l’appui au développement’’.

L’article 65 soulève particulièrement la controverse au sein de l’opposition politique et la société civile. Le texte prévoit l’organisation de formations paramilitaires dans le cadre de l’encadrement patriotique. Suite aux accusations d’armée parallèle exprimées par certains députés, le ministre de la Défense se défend . Il parle d’une structure qui sera sous le commandement de l’état-major de l’armée burundaise.
Un argument que balaie l’article 44 de ce projet de loi. Cette disposition, détaillant la structure de fonctionnement de la FRAD, parle d’un état-major, d’unités de production et des centres de formation, d’encadrement patriotique et de recyclage des réservistes.

Quant à la composition de la FRAD, les textes contenus dans le projet de loi sont laconiques. Ils se bornent à parler de retraités de l’armée n’excédant pas deux ans après la fin de leurs prestations dans les FDN et de jeunes sur lesquels aucun détail n’est fourni.

A part le fait que les recrus ne seront pas rémunérés, considérés comme « stagiaires », aucune information sur le mode de recrutement et la temporalité de cette activité n’a été donnée. Joint par Iwacu, un député avance que ces interrogations trouveront leurs réponses dans le décret qui régira cette nouvelle loi.
Contacté, le porte-parole des FDN, Floribert Biyereke, a promis de réagir ultérieurement.


Des appréhensions et des questions des parlementaires…

Le député Agathon Rwasa estime que plusieurs des nouvelles unités figurant dans le projet de loi, existent déjà au sein des FDN.

Au cours de la séance plénière du parlement du 11 avril animée par le ministre de la Défense, Alain-Tribert Mutabazi, plusieurs parlementaires ont montré leur incompréhension par rapport aux missions de cette nouvelle unité avant adoption de ce projet de loi.

« Quand vous parlez d’unité de réserve, s’agit-il des forces déjà disponibles auxquelles on va attribuer des fonctions ? J’ai failli confondre les missions de cette nouvelle unité avec les forces démobilisées qui ont déjà pareilles missions et qui sont dirigés à la FDN», a demandé la députée Patricie Nduwimana.

Et la députée Jacky Chantal Nkurunziza d’ajouter qu’une partie de ceux qui ont fait le service militaire obligatoire sont aussi des forces de réserve.
« Ma question est proche de celle de l’honorable Patricie Nduwimana, une partie de ceux qui ont fait le service militaire obligatoire pense toujours être réserviste jusqu’à aujourd’hui, pourquoi une autre unité ? »

Jacky Chantal a également posé la question de savoir la loi qui régira les retraités qui seront reconduits au service dans cette unité après leur retraite.

« S’il advient qu’il y ait des militaires à la retraite qui seront appelés pour servir dans cette force pendant deux ou trois ans, quelle sera la loi qui va les régir ? » a-t-elle ajouté.

Le député Agathon Rwasa et président du parti CNL se dit « confus » par rapport aux dispositions de la création de cette force . D’après lui, les missions de l’armée sont définies par la Constitution et que certains bureaux notamment le « UOS » (Unité des Opérations spéciales) existent déjà dans l’armée actuelle.

« Dans l’exposé des motifs, il est spécifié que cette unité est créée sur recommandation de la super structure. Ne serait-il pas une substitution de cette super structure à la Constitution de la République qui définit clairement les missions de l’armée ? L’unité chargée des renseignements et des opérations spéciales existe déjà à l’armée burundaise. Ne serait-il donc pas incongru de créer une armée au sein d’une armée préexistante ? Pourquoi dépenser de l’argent sur une nouvelle force ayant les mêmes missions que les forces existantes ? »

Le député Agathon Rwasa s’inquiète par rapport à la coordination de toutes ces unités qui se créent du jour au jour au sein de l’armée burundaise.
« Personnellement je trouve que la création des unités spéciales ici et là a tendance à rendre notre armée très bureaucratique au point que même la coordination sera difficile, on continue au même rythme. »

Plusieurs autres députés ont insisté sur l’existence des forces de réserve constituées par les anciens combattants. Certains ont même proposé un encadrement des unités de réserves déjà existantes au lieu de la création d’une nouvelle unité.

Sur toutes ces questions des parlementaires, d’ailleurs jugés de « pas facile » par le président de l’Assemblée nationale Gélase Ndabirabe, le ministre de la Défense nationale et des anciens Combattants, Alain Tribert Mutabazi, a répondu que ce projet de loi ne vient pas pour remplacer l’actuelle loi régissant le corps de l’armée, mais plutôt pour « la compléter. »


>>Réactions

Léonce Ngendakumana : « Une réforme anticonstitutionnelle »

Le Vice-président du parti Sahwanya-Frodebu fustige un projet de loi non conforme à la Constitution : « La Constitution du Burundi prévoit une armée et une police nationales ainsi qu’un service national de renseignements. Elle interdit strictement la constitution de milices.»

Et d’enfoncer le clou : « Ladite réforme ne visant pas l’agrandissement de l’armée, de la Police ou du SNR, elle est purement et simplement anticonstitutionnelle.»

Pour M. Ngendakumana, les concepteurs de cette réforme auraient dû veiller à ce que cette nouvelle structure soit sous le commandement de l’armée nationale pour éviter le risque de créer une armée parallèle. Et de s’interroger ensuite sur les moyens destinés à la nouvelle Force : « Le Gouvernement agit déjà avec un budget de fonctionnement et non d’investissement. Où trouvera-t-il les moyens de gérer une telle structure ? »

L’acteur politique suggère plutôt que s’il y a besoin de force d’appui à l’armée, la formation militaire doit concerner tous les citoyens et non pas une partie d’entre eux. « Avec ce projet, c’est le risque d’une partie de la population qui va s’armer au détriment d’une autre. Et cela est très dangereux ! »

Et de pointer du doigt une réforme inopportune. « Jusqu’à maintenant, il ne nous a jamais été annoncé que l’armée et la Police ont failli dans leur mission de protéger les citoyens. Sans oublier qu’il y a des réservistes au sein de l’armée. Tout cela a-t-il échoué ? »

Kefa Nibizi : « L’encadrement des forces réservistes a tardé au Burundi »

Selon Kefa Nibizi, président du parti CODEBU Iragi rya Ndadaye, tous les pays disposent d’une unité de réservistes. Il est très important d’en avoir une dans le cas du Burundi.

« Dans un pays comme le Burundi qui compte des démobilisés issus de tout bord, et où l’âge de retraite arrive alors que la plupart ont encore la force de travailler, je pense que cet encadrement des réservistes a tardé. Il aurait fallu qu’il se fasse depuis longtemps. »

Kefa Nibizi dénombre plusieurs raisons qui expliquent l’importance de l’établissement d’une force de réservistes surtout à l’endroit des démobilisés et des militaires à la retraite.

« Ils ont besoin d’être encadrés d’abord pour qu’ils puissent contribuer dans le développement et dans les missions de maintien de la paix que ça soit au Burundi ou ailleurs. Il faut les encadrer également pour qu’ils ne soient pas tentés d’intégrer des organisations criminelles. Ils pourraient être appelés à combattre en cas de menaces contre le pays. »

Kefa Nibizi lance un appel au gouvernement d’éviter toute sorte d’exclusion basée sur l’appartenance politique ou idéologique dans le recrutement de ces forces réservistes. Il salue également l’intégration du volet développement dans les prérogatives de cette nouvelle formation militaire.

Olivier Nkurunziza : « Le recrutement des jeunes doit être éclairci »

Pour le président du parti Uprona, les conditions de recrutement des jeunes annoncé dans le cadre de cette réforme doivent être mises en lumière. « Nous devons connaître le profil des jeunes qui vont intégrer la FRAD : leur âge, leur niveau de formation … A l’image de l’ancien service militaire obligatoire (SMO) réservé aux lauréats du secondaire ».

Olivier Nkurunziza estime que la mise en place de cette nouvelle instance n’était pas une nécessité absolue. Il demande un meilleur encadrement des jeunes qui y seront enrôlés. « Des jeunes laissés à eux-mêmes et en possession, c’est le risque de bavures surtout une fois de retour sur leurs collines d’origine ».

Quant aux craintes de formation d’une armée parallèle, le président du parti de Rwagasore parle d’inquiétudes « légitimes » dues au comportement de jeunes affiliés à des partis politiques et dont l’action sur terrain ressemble à celle mené par les forces de sécurité. « C’est une attitude qui inspire souvent la peur à la population, notamment sur les collines ».

Il demander une vigilance sur le fonctionnement pratique de la FRAD de la part des acteurs politiques, médias et société civile et au gouvernement une prise en compte des inquiétudes de la population.

Zénon Nimubona : « Il est temps de mobiliser pour la production et non pour la guerre »

Le président du parti Parena dénonce un projet de loi qui regorge d’ambiguïtés y compris dans la forme : « C’est assez bizarre que cette réforme soit présentée par le ministre de la Défense dont dépend l’armée alors que l’armée sera visiblement en dehors du commandement de la nouvelle structure»
Zénon Nimubona estime que c’était à l’armée de préciser ses besoins en matière de ressources humaines. « L’armée nationale aurait pu démontrer son manque d’effectifs dans de tel ou tel secteur relevant d’elle, ce qui aurait occasionné une réorganisation sans nécessité d’une nouvelle loi ».

Le président du parti fondé par l’ancien chef d’Etat Jean-Baptiste Bagaza juge aussi que l’heure est à des priorités plus cruciales pour la population. « Stabiliser les prix à la pompe, recruter des enseignants pour faire face aux classes pléthoriques, etc. Il y a vraiment d’autres urgences que la constitution d’une telle structure ».

D’après lui, la FRAD sera une perte d’argent qui pourrait servir pour d’autres activités génératrices de revenus. « Cela fait des années pour la guerre. Il serait temps de mobiliser pour la production».

Et de prévenir : « Sans une mobilisation pour la production, il peut naître une autre guerre que les militaires eux-mêmes ne pourront pas maîtriser.»


Gérard Birantamije : « Une dichotomisation de l’armée »

Pour le politologue spécialiste des questions de sécurité, l’environnement politique actuel justifie de moins en moins la nécessaire conscription de cette force de réserve. « Cette structure semble avoir des missions qui vont de la sécurité, la défense, inculquer l’esprit patriotique aux jeunes, ou encore le développement. Serait-ce la lutte contre l’insécurité qui impulse la mise en place de cette force ? Rien n’est clairement dit. Et rien ne semble justifier sa nécessité ».

Et de s’interroger sur l’investissement dans la mise en place d’une force de réserve plutôt que moderniser l’armée (et les autres forces de police et de renseignement) pour, dit-il, faire face aux menaces identifiées dans le « Livre blanc de la défense » (non publié).

Selon le spécialiste, il est anormal d’investir ‘dans les retraités’ quand des formations de réinsertion des candidats à la retraite sont prévues au sein de l’armée. « Pourquoi insister sur la nécessité de cette force lorsque le pouvoir en place est étiqueté de posséder une milice ? Serait-ce une ruse politique à peine voilée pour légitimer a posteriori l’action des miliciens qui fait parler d’elle-même au-delà des frontières nationales ? », s’interroge le politologue.

M. Birantamije se demande enfin la manière dont seront gérées deux armées parallèles, une statutaire et une autre de stagiaires, prend-il le soin de souligner. « Comment gérer au sein d’un même corps des soldats formés professionnellement et des réservistes à la formation paramilitaire ? »

Et de demander aux pouvoirs publics de fournir plus d’éclairage aux Burundais. « Parce qu’eux seuls seront confrontés aux conséquences de cette dichotomisation », conclut-il.

FDN

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Manisha

    Tiens tiens ! un sujet aussi sérieux que celui-ci n’a pas eu de réactions de vos lecteurs qui s’expriment souvent ?

    • Stan Siyomana

      @Manisha
      1. Il s’agit quand même d’un article sur notre chère « GRANDE MUETTE »
      « Quelle mouche a piqué la grande « muette » ? L’armée burundaise occupe rarement les colonnes d’Iwacu. Elle s’exprime peu d’ailleurs… »
      https://www.iwacu-burundi.org/la-grande-muette-invitee-a-redorer-son-image-ecornee/
      2. « Le fait de tourner sa langue dans sa bouche permet d’avoir plus de temps pour réfléchir et donc d’éviter de dire des choses impropres. Le choix du chiffre sept est dû au fait qu’il s’agit d’un chiffre fétiche qui est utilisé dans de nombreuses tournures : « les 7 péchés capitaux » par exemple… »
      https://www.questce.fr/expressions/il-faut-tourner-sept-fois-sa-langue-dans-sa-bouche-avant-de-parler-
      3. Mais disons qu’aujourd’hui c’est (enfin?) votre tour, votre chance de donner votre réaction sur cet article d’Iwacu-burundi.
      4. Ubu jewe icipfuzo canje ninagaruka i Burundi ku bwa gatatu ni kurondera uwuzomfasha akanyinjiza mw’ikambi y’igisoda y’i Ngozi, bishobotse nkahanywera aga fanta kuko aho niga kuri Collège Don Bosco(1963-1971, ubu ari Lycée de Ngozi) bamwe mu bagenzi banje bajayo mugabo jewe ata muntu nzi nja kuramutsayo.
      Mugabo sinzi ko passeport yanje izoshobora kuba intambamyi.
      Ndizeye ko bottes zishaka gusa n’iza Légion étrangère de l’Armée française naguze vuba kuri Amazon.com nzoba nkizifise. Zinyibutsa ibirato bikomeye vyiza abasoda bari bafise jewe ntashobora kubironka.

  2. Nabasomeye

    Cependant, il arrive que le temps qui passe fasse venir une justice qui en est une…même en Afrique :
    https://www.lepoint.fr/afrique/affaire-sankara-un-proces-pour-l-exemple-27-04-2022-2473555_3826.php

  3. Kamwenubusa

    Quand les soucis s’aggraveront, il ne faudra pas dire qu’on ne savait pas !

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