Des fidèles d’Agathon Rwasa sont persécutés et tués depuis plusieurs semaines. Les familles endeuillées accusent les services secrets burundais et demandent que justice soit faite. Iwacu revient sur quelques cas les plus récents.
Lundi 29 août. Vers 19h10 minutes, plusieurs coups de feu crépitent sur la colline Musave en zone Kayanza. Dédit Niyirera vient d’être assassiné par un commando. Un témoin affirme qu’un groupe de gens munis d’armes est descendu dans la vallée proche en toute vitesse après ces coups de feu. Serait-ce les bourreaux ? La femme de Dédit qui se trouve à la maison à cette heure, prise de panique, essaye de le joindre par téléphone ; mais en vain : « J’ai tout de suite compris que mon mari venait d’être tué. »
Arrivés sur le lieu du drame, à 300mètres du domicile de la victime, les voisins et proches le trouvent dans une mare de sang. L’un d’eux raconte : « La scène était horrible. Une des balles l’a atteint au dos. Plusieurs impacts étaient aussi visibles au niveau des hanches et des jambes. » Il avait un téléphone portable, de l’argent et des médicaments sur lui mais les assaillants n’ont pris que son portable, signale un de ses proches.
Des responsables administratifs arrivent un peu plus tard sur les lieux, mais personne ne se rend chez la victime. Pour les membres de la famille de Dédit Niyirera, ce sont les agents du SNR (Service National de Renseignement) qui sont responsables de ce crime.
Un homme qui se savait en danger
Membre des FNL et secrétaire exécutif du même parti, ce professeur de psychologie au lycée communal de Butaganzwa avait déjà reçu plusieurs menaces de mort. N.T, son voisin indique qu’il avait échappé à plusieurs attentats : « Un jour, quelqu’un du parti au pouvoir l’a mis en garde contre une embuscade qui lui était tendue. Il l’a échappé belle. Ces assaillants ont failli tirer sur quelqu’un d’autre pensant que c’était lui. »
N. T indique aussi que le défunt avait été un jour séquestré par Bonaventure Nzohabonimana, responsable du SNR à Kayanza : « Au cours de cette année, il est allé un jour à Ngozi avec ses amis. A leur retour, Bonaventure Nzohabonimana l’arrêté et lui a posé des questions sur son déplacement et ceux avec qui il était à Kirundo. »
Selon toujours la même source, la victime était filée à chaque instant. « Il me racontait souvent que des gens le suivaient partout, épiaient ses faits et gestes jusque dans les bistrots. » En plus de ces menaces, il avait été arrêté et passé deux semaines dans les cachots du SNR à Bujumbura en novembre 2010. « On l’avait appréhendé à Kayanza. C’est grâce aux efforts du BNUB qui a intercepté le véhicule qui l’amenait à Bujumbura qu’on a retrouvé sa trace. Il avait ensuite été libéré, mais son téléphone ne lui avait pas été restitué », rapporte sa femme.
« Il était menacé »
De l’avis de sa femme, il avait peur mais était serein. Pour elle, il se savait en danger, mais avait choisi de mourir pour ses idéaux : « Il avait rejoint les FNL d’Agathon Rwasa après avoir servi au sein du parti au pouvoir. Les cadres du CNDD-FDD à Kayanza n’ont pas digéré son départ, car il était considéré comme un grand élément au sein du parti. » Président du conseil communal de Butaganzwa en 2005, il avait par après occupé le poste de chargé de la planification à la Direction provinciale de l’enseignement(DPE) de Kayanza.
« Il faut que ces tueries cessent, car cette situation dépasse les limites. Mon mari était chef de famille », se plaint Diane Nzosaba, veuve de Dédit Niyirera. Elle indique que son mari aidait beaucoup les membres de sa famille car son père est mort récemment : « Il payait les études de ses frères et ils vont devoir tout arrêter. » Dédit Niyirera meurt à 37 ans, laissant une femme et deux filles, une de 3 ans et demi, une autre d’une année et 3 mois. Il a été enterré ce mardi 30 août au cimetière de Mihigo.
Oscar Nibitanga
Il était membre des FNL mais avait abandonné les activités politiques selon ses proches. Selon eux, il était en première année à l’Université du Lac Tanganyika. Oscar Nibitanga habitait dans la commune urbaine de Kamenge, à la 5ème avenue du quartier Heha. Arrêté pour la première fois le 14 juin par des agents de la documentation à Bubanza, il est accusé de distribuer des armes à des groupes de bandits. Il est transféré à la prison de Bubanza, le 22 du même mois. Mais là le motif d’arrestation change. Il est accusé d’avoir participé à l’assassinat d’un haut gradé de la police sur la route Bujumbura-Bubanza dans la localité de Kagwema. Le procureur de Bubanza le libère le 2 août 2011, faute de témoins à charge. Puis, le 15 août, un groupe d’agents du SNR l’enlève chez lui, la nuit. Son corps est retrouvé le lendemain à Maramvya, une zone de la commune Mutimbuzi, province de Bujumbura Rura, criblé de plus de 30 balles. Selon des membres de sa famille, Oscar Nibitanga avait révélé à sa mère que des agents du SNR voulaient qu’ils travaillent avec eux, notamment en leur montrant les membres des FNL d’Agathon Rwasa et leurs caches d’armes. Mais il avait rejeté cette offre.
Le cadavre de l’inconnu
Ce corps a été retrouvé au début du mois de juin dernier dans la localité de Rubirizi, en commune Mutimbuzi, province de Bujumbura. Il était criblé de balles au niveau de la gorge et de la tête. Selon des sources à Rubirizi, c’était un ancien combattant des FNL d’Agathon Rwasa.
Désiré Nsabimana
Au quartier Busoro de la commune urbaine de Kanyosha, la situation est à première vue calme. Des commerçants étalent les marchandises sur des tables. Des maçons s’activent toute la journée à construire des maisons. Les gens circulent. Pourtant, ils vivent la peur au ventre : « La situation s’est détériorée depuis samedi dernier quand des personnes armées de fusils ont tué un certain Désiré Nsabimana, militant des FNL d’Agathon Rwasa », explique un habitant sous couvert d’anonymat. Les habitants de ce quartier ont peur de témoigner à visage découvert : « Les membres du CNDD-FDD et ceux des FNL se regardent en chien de faïence », lance une dame de la place qui refuse d’être enregistrée. D’après Nadine Kwizerimana, veuve de Désiré Nsabimana, son mari a été assassiné à 11 heures du matin alors qu’il venait des travaux communautaires. Elle accuse un certain Magneto et Nepo, tous deux agents du SNR d’avoir tué son mari. D’après les habitants de Busoro, les fidèles à Agathon Rwasa sont systématiquement éliminés et les auteurs sont les jeunes Imbonerakure(jeunes du parti CNDD-FDD) et certains agents du SNR. Pour eux, Désiré Nsabimana a été tué à cause de son appartenance politique. « Il n’avait jamais commis d’actes de banditisme contrairement à ce qu’a déclaré Aoudou Abraham Bampoye, administrateur de la commune Kanyosha », martèlent-ils.
A l’est du Burundi
En province de Ruyigi, 22 membres du parti FNL d’Agathon Rwasa sont emprisonnés. Deux autres membres de ce parti ont été grièvement blessés par des inconnus récemment. Ils se font soigner à l’hôpital Rema de la même province.
Pour tous ces cas, les services secrets sont pointés du doigt. Mais nous avons contacté le porte-parole du SNR sans succès.
Une liste …
Des informations recueillies auprès des habitants de Kayanza font état d’une liste de membres des partis de l’opposition devant être tués, et qui existait depuis plusieurs semaines. La première personne est Dédit Niyirera, assassiné dans la nuit de ce lundi. Les autres sont Ildefonse Ngaruko et Barthazar Bucumi, respectivement chargés de la mobilisation et de la propagande à Kayanza (FNL Rwasa), Eugène Bigirimana, responsable des FNL en province Kayanza, Emeline Ndabashinze et un certain Nuru. Selon les mêmes sources évoquent certains membres du parti UPD-Zigamibanga figureraient sur la liste. Il s’agit notamment d’Enias Havyarimana, responsable de ce parti à Kayanza, Eric Mugabo, responsable des jeunes de l’UPD à Kayanza et un certain Boniface Harerimana.
Vrai ou faux ? «Des têtes sont déjà tombées. Ce qui est loin d’apaiser les esprits », commente un cadre résidant au chef-lieu de cette province du Nord du Burundi.
« Celui qui optera pour la révolte et la guerre, le coup d’envoi et le sifflet final retentiront uniquement chez lui.»
Avec insistance, le Président de la République demande à l’administration, aux corps de défense et de sécurité et à la Justice, de rester sur leurs gardes et de faire ce que la loi leur autorise pour protéger le pays et sa population. Et de renchérir : « Celui qui commet la faute en boit la sauce. En outre, celui qui optera pour la révolte et la guerre, le coup d’envoi et le sifflet final retentiront uniquement chez lui (en Kirundi {: bizohera mu rugo iwe biherere iwe nyene}). » M. Nkurunziza rappelle que « les pleurs et lamentations, la perte des nôtres et de nos biens, l’exil et la déstabilisation dont le peuple burundais a fait l’objet et dont il garde encore des plaies béantes devraient appeler à plus de prise de conscience. »
Polémique sur le discours
Pour Pacifique Nininahazwe, ce discours du Chef de l’Etat a été prononcé pour la première fois en 2006 à Muyinga, à la veille de l’arrestation des personnalités accusées de coup d’Etat, dont notamment le président Domitien Ndayizeye, son vice-président Alphonse Marie Kadege. « Ce discours, est-il lié à ce phénomène auquel on assiste aujourd’hui où les gens sont appelés des bandits, sont attaqués chez eux, puis arrêtés et tués ?», relève le Délégué général du Forum pour le Renforcement de la Société Civile (FORSC). M. Nininahazwe estime que la Présidence de la République doit des explications au peuple burundais de ce mot d’ordre du N°1 burundais, « sinon il y a lieu de faire un lien avec les arrestations et assassinats des militants des FNL. »
Les explications de la Présidence
Dans une interview accordée à Radio Isanganiro, Léonidas Hatungimana, porte-parole du Président Nkurunziza critique l’attitude du Délégué général du Forsc demandant des éclaircissements par médias interposés. Selon lui, il aurait dû s’adresser directement à la Présidence. Pour lui donc, le sens du discours présidentiel est que « le désordre, le trouble et la guerre sont préparés par une poignée de gens. Celle-ci le pense, le prépare, le programme pour enfin chercher des adeptes dans l’entourage et ailleurs. »
Le Président de la République, explique son porte-parole, « en faisant appel aux forces de défense et de sécurité, à la justice et à l’administration, c’est pour contrecarrer le désordre, la guerre et la désobéissance qu’occasionnerait l’action de ce petit groupe de malfaiteurs.» Et c’est pourquoi, selon toujours M. Hatungimana, « le Président déclare souvent que celui qui provoquera la guerre, elle commencera et se terminera chez lui. D’ailleurs, dans ses missions, il a le devoir de protéger la population contre toute mauvaise idéologie ».
Ainsi parle Léonidas Hatungimana pour tenter de désamorcer l’escalade verbale née sur fond de crise de confiance entre le pouvoir d’une part, et la société civile et l’opposition de l’autre.