Divergence entre le pouvoir et ses partenaires politiques sur la mise en place de l’équipe de la CENI. Pour le parti présidentiel, on ne change pas une équipe qui gagne. Quant aux autres protagonistes politiques, ils estiment qu’il faut d’abord assainir le climat politique.
<doc5201|left>Pour aboutir à des élections paisibles et crédibles, Pierre Nkurunziza, président de la République promet un dialogue autour du processus électoral. Chose promise, chose due, dit-on.
Lundi, 3 septembre 2012 à Kigobe. Des sources dignes de foi affirment que Léonce Ngendakumana, président de la coalition ADC Ikibiri, se voit convoqué par les services présidentiels devant Pie Ntavyohanyuma, président de l’Assemblée nationale et Gabriel Ntisezerana, président du Sénat. Pascal Nyabenda, président du parti présidentiel, noblesse oblige, est aussi convié. Pourtant, nos sources signalent l’absence du Dr Jean Minani et de Bonaventure Niyoyankana, respectivement présidents des partis Sahwanya Frodebu Iragi rya Ndadaye et de l’Uprona. Toujours selon nos sources, le parti au pouvoir aurait expliqué que ces derniers ne causent pas de problème parce que ce sont leurs partenaires au gouvernement. Cependant, d’autres sources dignes de foi révèlent que le parti présidentiel n’aurait pas voulu que Bonaventure Niyoyankana représente l’Uprona. A la place, il aurait sollicité le concours de Thérence Sinunguruza, 1er vice-président de la République, qui était contacté par téléphones quand des questions concernant l’Uprona surgissaient.
Les consultations venaient de commencer. Comme le pouvoir ne veut pas entendre Léonce Ngendakumana dire qu’il agit au nom de l’ADC Ikibiri, il accepte de représenter l’opposition extraparlementaire. « Peu importe la dénomination, pourvu que je parle au nom des partis qui ont refusé de cautionner la mascarade électorale de 2010 », affirme M. Ngendakumana.
Sur quoi portent ces consultations ?
Pendant les quatre jours passés dans l’enceinte de l’hémicycle de Kigobe où ont eu lieu ces consultations, il se fixe un agenda des élections en trois axes : politique, légal et technique. Il faut libérer l’espace politique par le retour des exilés, régler la question des jeunes Imbonerakure qui risquent de dégénérer en une milice, etc. Sur la révision du cadre légal, ils conviennent de débattre de certaines dispositions de lois dont celles qui régissent le fonctionnement des partis politiques, les réunions et manifestations publiques, la loi régissant l’opposition, celle de la presse, etc.
D’après Léonce Ngendakumana, les parties en consultation devraient fixer un chronogramme d’activités dans lequel la question de la CENI allait être analysée. Des propositions de noms issus de différents groupes politiques, CNDD-FDD, Uprona et l’opposition extraparlementaire étaient déjà là. L’ADC donne comme noms Me Fabien Segatwa du Sahwanya Frodebu, Me Sébastien Ntahongendera du CDP et une certaine Alexandrine du MSD. Toutefois, le FNL d’Agathon Rwasa refuse de donner son candidat tant que le pouvoir n’a pas encore compris que le président des FNL est M. Rwasa et non Emmanuel Miburo. Quant au parti présidentiel, il recommande Thérence Mbonabuca, directeur de l’administration territoriale au ministère de l’Intérieur, Pierre Claver Ndayicariye et Prosper Ntahorwamiye, de la CENI sortante.
Le rendez-vous manqué
Des délibérations pour arrêter définitivement les noms des commissaires et la signature du procès verbal devraient attester l’entente entre les partenaires politiques en consultation. Et ce, pour vendredi, 7 septembre dans l’après-midi. Léonce Ngendakumana persiste et affirme qu’il a essayé de rejoindre les présidents de l’Assemblée, du Sénat et celui du parti présidentiel mais en vain. Il apprendra que celui du Sénat s’était envolé en Chine. Pourtant, des sources proches de Pie Ntavyohanyuma indiquent qu’il n’a pas éteint son téléphone ce jour. Pascal Nyabenda appelle Léonce Ngendakumana à être honnête car de sa vie, il n’éteint jamais son appareil. Et au président de l’ADC de s’interroger pourquoi M. Ntavyohanyuma et Nyabenda n’ont pas cherché à leur tour à le contacter. M. Ngendakumana ajoute qu’il a tenté aussi de les contacter samedi et dimanche toujours sans succès.
D’autres sources racontent que la partie CNDD-FDD aurait été convoquée par l’Etat-major général de ce parti pour analyser les conséquences de la signature de ce document : « C’est accepter de négocier avec l’ADC Ikibiri alors que nous avons gagné les élections et avons la légitimité du peuple. »
La grande surprise
Lundi, 10 septembre. Le président de la République convoque les deux chambres du parlement pour se prononcer. Pour les partis de l’ADC Ikibiri, cette convocation venait de mettre un coup de frein à la dynamique de concertation telle qu’annoncée par le numéro un burundais.
A l’Assemblée nationale, les députés ont répondu massivement à cet appel mais restent en concertation jusque dans l’après-midi. Les concertations accoucheront d’une souris quand les députés de l’Uprona décident les premiers de boycotter la séance. Au sénat, ils ont attendu le signal de l’Assemblée nationale. Quand ça capote là bas, ils n’attendent pas non plus, ils vident les lieux.
Mardi, 11 septembre. La plénière est prévue pour 9 heures. Cependant, jusqu’à 10h30min, des députés arrivent encore. Une quarantaine de députés attendent dans la salle. Certains ont ouvert leurs ordinateurs. Au lieu de s’ennuyer, ils s’occupent « utilement » en lançant des blagues en lingala ou en regardant des clips vidéo. Vers 11h, les députés de l’Uprona réapparaissent. Depuis 9heures, ils étaient en concertation. Ils se réservent de tout commentaire et sortent de l’hémicycle de Kigobe. C’est à la fin de la journée du mardi que Pie Ntavyohanyuma déclarera la fin des « travaux » de cette session extraordinaire : « Nous vous remercions pour votre générosité, les partenaires politiques continuent les débats, nous vous tiendrons au courant de la prochaine session. »
<img5204|right>« Les élections sans l’ADC ne sont pas possibles »
Le président du parti Sahwanya Frodebu et de la coalition Ikibiri est direct : « C’est la déception totale. Il s’agit ni moins ni plus de l’étouffement du processus électoral à travers une escroquerie politique orchestrée par le pouvoir CNDD-FDD. » Selon M. Ngendakumana, l’absence de procès verbal montre que le souci du pouvoir CNDD-FDD était le règlement de la question de la CENI : « Le pouvoir croit qu’il nous a trompé, au contraire, c’est lui qui s’est piégé. » Il constate qu’il y a des pouvoirs qui se renversent eux-mêmes. Cette attitude, conclut-il, vise la fraude électorale de 2015.
<img5205|right>« C’est vraiment un sabotage, une humiliation »
Jacques Bigirimana, secrétaire exécutif des FNL, est catégorique : « Nous allons suspendre toutes les activités que nous menions au sein du FDP. Si rien n’est fait pour mener un dialogue franc entre le pouvoir et le parti FNL, on ne se présentera pas aux élections de 2015. Comment est-ce qu’ils peuvent passer outre le parti FNL alors que les élections de 2010 nous classe 2ème formation politique ? Qu’ils ne nous écartent pas parce que nous sommes disposés à discuter sur tous les points qui engagent notre pays.»
<img5202|left>« On doit concilier deux aspects »
Jean Marie Vianney Kavumbagu, président sortant de la coalition de la société civile pour le monitoring électoral (COSOME), estime qu’il y a deux aspects à concilier. D’après lui, puisque le mandat de la CENI avait expiré, il fallait remplacer les membres. Néanmoins, déplore-t-il, il y a eu une mésentente autour des nouveaux membres de cette commission. Le 2ème aspect est que le contexte politique est difficile pour le moment : « Il y a des exilés politiques et des partis politiques subdivisés en différentes ailes. » Jean Marie Vianney Kavumbagu invite alors tous les protagonistes à s’asseoir ensemble pour mettre en place une équipe de la CENI consensuelle. Le président de la COSOME demande à tous les concernés d’assainir le climat politique afin que tous ceux qui ont fui le pays rentrent.
« Normal que le numéro un des Burundais pense à la mise en place des membres de cette commission »
<doc5203|right>Pierre Nkurunziza, président de la République privilégie le dialogue, d’après le porte-parole du président de la République. C’est pourquoi, il vient d’accorder encore trois mois aux membres de la CENI, dans un décret n°100/246 du 11 septembre portant prorogation du mandat de la commission électorale nationale indépendante (CENI) avant de se convenir avec tous acteurs politiques concernés sur d’autres.
« Il dû être obligé de réagir puisqu’il ne s’attendait pas à ce que sa proposition soit refusée, surtout par des parlementaires du parti Uprona, principal partenaire du parti au pouvoir. Il est le garant de la stabilité des institutions », déclare Léonidas Hatungimana. Néanmoins, raconte le porte-parole, c’est avec stupéfaction et consternation que le président de la République a accueilli le désistement des upronistes.
Cette décision tombe au moment où une certaine opinion parle d’empressement obscur de la présidence dans la mise en place de cette commission au lieu d’assainir d’abord le climat politique. Le porte-parole estime que c’est une interprétation erronée : « Le 12 septembre était la fin de leur mandat, qui a été prorogée de 6 mois au mois de mars 2012. Il est normal que le numéro Un des Burundais pense à la mise en place des membres de cette commission. »
« Rien n’empêchera la mise en place la mise en place de la CENI »
Pascal Nyabenda, président du parti Cndd-Fdd, estime que le temps qui reste avant les élections de 2015 n’est pas aussi long que certains le croient. D’autant plus que des certains articles du code électorale ou de la constitution seront probablement retouchés : « C’est le moment opportun quitte à ce qu’au moment des discussions sur les amendements de ces textes de lois, la commission soit déjà mise en place. Il faut tout simplement que la CENI puisse commencer à travailler à temps pour, qu’arrivée en 2015, tous les éléments soient en place pour un bon déroulement du processus électoral. »
Quant à la prorogation du mandant de la CENI de trois mois, Pascal Nyabenda approuve « la décision sage du président de la République. » Il estime que si il y a volonté politique de tous les concernés par cette question, ce temps est largement suffisant pour trouver un consensus sur les membres de la commission.
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– [Rôle et mise en place de la CENI->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article3688]
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Interrogé ce que ferait le parti Cnnd-Fdd si le parti Uprona campe sur sa position, il souligne que ce n’est pas l’Uprona qui a gagné les élections : « Si les autres partis ainsi que d’autres personnes qui ont un mot à dire en ce qui concerne la mise en place de la CENI, s’entendent et que l’Uprona dit non et qu’il est seul, rien n’empêchera sa mise en place. » Il assure que le parti au pouvoir ne risque pas, ne souhaite même pas de faire cavalier seul lors des élections de 2015: « Nous ferons la compétition avec d’autres partis politiques. Nous avons intérêt à ce que tout le monde participe. » Il affirme que le souhait du parti au pouvoir est que les politiciens exilés puissent rentrer afin qu’ils participent au processus électoral de 2015.
Le président du parti Cndd-Fdd, n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le pouvoir en place se précipite dans la mise en place des membres de la CENI : « Le climat politique est sain. Pourquoi parle de l’assainir ? Cela n’a pas de sens. Mais cela dépend de celui qui le dit». Il estime que les gens confondent le retour des politiciens exilés et l’assainissement du climat politique. Pour lui, l’essentiel est qu’il y ait, au pays, des représentants des politiciens exilés : « Même s’il arrive qu’on se mette autour de la table pour discuter de certains problèmes ou revoir certains articles de loi, tout le monde sera représenté d’autant plus que tous les représentants des partis politiques sont au pays. » Il donne l’exemple d’un exilé pourrait rentrer mais ne pas pour autant participer au processus électoral en manifestant un esprit de boycott. Malgré cela, « le président de la République ne cesse de lancer des appels pour que ces exilés rentrent au bercail. »