Le contrat de concession du port de Bujumbura, entre le gouvernement du Burundi et la société EPB, expire ce 24 décembre 2012. Certains hauts placés du pouvoir cherchent à placer leurs pions pour la prochaine convention.
<doc4991|left>Bien tramé. Tout commence, officiellement, le 12 janvier 2011. Un arrêté en provenance de la 2ème vice-présidence, tombe. L’organe dirigeant de la société EPB, le conseil d’administration, est révoqué. Cette décision unilatérale suscite interrogations et suspicions. Selon une source au sein du conseil déchu, le gouvernement a joué le propriétaire exclusif de la société, alors qu’il n’était que simple actionnaire, quoique majoritaire (43% des actions). Les actionnaires privés avaient leur mot à dire.
Là où le bat blesse, indique cette source, c’est que le directoire mis en place, en suppléance, est doté de prérogatives qui outrepassent celles de l’Assemblée Générale, organe suprême de la société. Et d’après l’arrêté, le directoire peut : « Nommer et révoquer les cadres et agents de la société, fixer leurs attributions et leurs traitements ; adopter le budget de fonctionnement et d’investissement de l’EPB… » La même source explique que ces compétences ne reviennent qu’à l’Assemblée Générale. Pour elle, ces manœuvres n’avaient d’autre but que de créer la confusion au sein de sa direction pour faciliter sa récupération.
Les actionnaires privés dans le collimateur du SNR
Sur ordre d’un haut placé de la Présidence, révèle une source au sein de l’Olucome, le Service National de Renseignements a été sommé d’inculper les actionnaires privés qui ne sont pas dans les bonnes grâces du pouvoir. « C’est ainsi que la police présidentielle, en avril, a produit un rapport qui accuse la majorité des actionnaires de tendre un piège au gouvernement pour la négociation de la nouvelle convention, en boycottant les réunions du Directoire », souligne cette source.
Pour ce, « le gouvernement doit identifier tous les actionnaires privés qui constitueraient un obstacle à la signature d’une nouvelle convention tels Arnolac, la succession Ndamama, Yofani Leonard, S.E.P. Burundi et s’enquérir de leur situation fiscale actuelle et celle qui s’étend sur les dix dernières années, ce qui constitue le point faible desdits actionnaires », affirme le rapport.
« Ce n’est qu’un prétexte », affirme la source au sein de l’Olucome. Pour lui, ces personnalités cherchent, à la loupe, ce qui pourrait peser contre ces actionnaires afin de les écarter. Leur tactique consisterait « à ramener la société entière aux mains du gouvernement, pour ensuite, sous prétexte de privatisation, la confier à leurs préférés, ou à eux-mêmes ! »
Pour éplucher la situation, la source remonte aux événements précédents. Mars 2008, rappelle-t-il, le ministre des transports, Philippe Njoni, présente un rapport au Conseil des Ministres pour expliquer que l’EPB s’est approprié les biens de l’Etat. On remarquera, dit-il, que le ministre s’est référé à un procès-verbal de remise de 1967, qui n’existe pas. A en croire ses dires, M. Njoni était sous injonction du président du parti au pouvoir de l’époque (CNDD-FDD). Et de préciser que toute démarche, envers ledit ministre, faite par la direction de l’EPB pour prouver le contraire, s’est heurtée à un refus de dialogue. « Le ministre n’était devenu qu’une simple marionnette du pouvoir », indique-t-il.
<doc4992|left>Le ministère de Bonne Gouvernance vs celui des Transports
31 mars 2009, L’Inspection Générale de l’Etat (IGE), sur ordre du ministre de la bonne gouvernance, sort un rapport définitif de contrôle de l’EPB. Face à l’imbroglio, l’IGE tranche : elle recommande au ministre des transports de faire un effort particulier pour chercher et rendre disponible ce procès-verbal pour départager les parties. Elle recommande en outre, à l’Etat de tout faire pour que cette question soit résolue avant de signer une autre convention de concession. « Requêtes qui n’ont jamais eu de suite favorable », note la source de l’Olucome.
Ce n’est pas tout. Vu que le 24 décembre 2012 approche, date d’expiration de l’actuel contrat, le ministère des transports vient de lancer un avis d’appel d’offres, ce 16 mai dernier, pour un nouveau concessionnaire. Mais l’acte ne passe pas inaperçu aux yeux du ministre de la bonne gouvernance. Car deux mois après, le 18 juillet, il adresse une correspondance au ministre des transports, dans laquelle il demande la suspension de cet avis d’appel d’offres. Motif : attendre la promulgation de la loi déterminant la liste des sociétés à participation publique à privatiser pour les cinq prochaines années.
En guise de réponse, le ministre des transports balaie du revers de la main sa demande. Deux jours après, le 20 juillet, ce dernier précise : « …le ministre des transports…n’entend pas arrêter le processus déjà engagé dans l’intérêt de la continuité du service public au port de Bujumbura ».
Parmi ses justifications, les arguments de son homologue de la bonne gouvernance ne tiennent pas débout. « La loi à laquelle il est fait référence ne concernait pas la société EPB, dont la gestion est déjà privatisée », indique sa correspondance.
Iwacu a cherché à faire parler les actionnaires privés de l’EPB, en vain. Ils n’ont pas souhaité s’exprimer sur l’affaire. Précisons que le port de Bujumbura constitue le grand carrefour commercial du pays. Le gros des marchandises entrant sur le territoire national doit passer par le port pour dédouanement.
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{ Construit en 1932, par des operateurs privés belges , regroupés au sein de la société « Compagnie des Chemins de fer du Congo Supérieur aux Grands Lacs Africains », le port de Bujumbura revient, en 1967, pour la première fois, dans les mains de l’EPB. Une convention de trente ans renouvelable, avec l’autorité burundaise, est signée. La composition de son actionnariat : la Banque de la République du Burundi, la Banque de Crédit de Bujumbura, la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burundi (CCIB), la Compagnie des Grands Lacs, Arnolac, Ferdinand de Block, Theodore de Coster et Georges de Plecker.
1992 est marquée par l’entrée de l’Etat burundais dans l’actionnariat, et la sortie des trois derniers actionnaires susmentionnés dont les actions sont achetées par la Succession Ndamama. Dès lors, le capital social passe de 30 à 350 millions. A la même date, une nouvelle convention est signée avec l’EPB, avec 10 ans de validité, restant renouvelable. Actuellement, les actions de l’EPB sont réparties comme suit : l’Etat du Burundi en a 2.029, la Succession Ndamama 1.800, 367 actions revenant à la SEP, Arnolac 316, la BCB 160, BRB 134 et M. Léonard Yofanie 65. On saura qu’une action vaut 70.000Fbu. }