Invitée à répondre aux questions des sénateurs le mardi 9 janvier 2024, impuissante, la ministre de la Santé publique et la lutte contre le sida, Dr Lyduine Baradahana a reconnu que l’exode massif des médecins sera difficile à résoudre aussi longtemps que la question liée à leurs salaires ne sera pas maîtrisée. Les syndicats recommandent l’application de la loi qui régissait les dispositions particulières applicables au personnel du secteur de la santé.
Ce qui se voulait être une occasion pour présenter les quelques pistes de solutions face aux problèmes auxquels est confronté son ministère n’a été qu’une tribune « de lamentations ».
Bien sûr, tout n’est pas si noir que cela depuis sa nomination. La ministre Baradahana commence par esquisser quelques réalisations et certains projets en phase de finition. Ce sont notamment ceux concernant la politique du gouvernement de doter tous les hôpitaux publics, surtout ceux communaux d’un plateau technique moderne (radiographie, échographie, laboratoires mobiles et bien d’autres activités).
Dr Lyduine Baradahana en est venue à l’épineuse question en rapport avec l’insuffisance de médecins et leur départ massif pour prester à l’étranger.
Le moment choisi pour elle de lâcher ses vérités : « La cause ? C’est suite au manque de moyens. Imaginez-vous ! Un médecin spécialiste chez nous gagne 650 000 BIF. Au Rwanda, il gagne 1 300 000 FRW. Au Kenya, c’est 3 000 USD, en Tanzanie, il touche 1 300 USD », a-t-elle lâché.
De quoi alors se demander ce que le gouvernement burundais serait en train de faire afin de stabiliser et fidéliser les médecins burundais, surtout que le mouvement risque de s’amplifier au regard des récents départs en grand nombre de médecins burundais en France.
Un fait nouveau
Ce mouvement s’étendrait de plus en plus aux médecins spécialistes pourtant « à l’abri » avec des carrières professionnelles relativement stables. Quid des hôpitaux qui se voient dépouillés de certains de leurs meilleurs éléments ? Une réalité devenue quasi quotidienne quoique difficile à accepter. Et pour les patients, il s’agit d’une pilule difficile à avaler.
« Le pire, c’est lorsqu’un médecin te fixe un rendez-vous pour une consultation et qu’une semaine après, la réceptionniste te contacte pour dire que le mieux serait que tu te fasses soigner dans une autre structure hospitalière, car le médecin-consultant en question est parti exercer à l’étranger », raconte le prénommé Jules.
Après avoir consulté un chirurgien exerçant dans un hôpital de Bujumbura, le natif de Ruyigi doit retourner chez lui rassembler l’argent nécessaire pour une opération de l’estomac. Sur proposition dudit praticien, le rendez-vous est fixé. Toutefois, un hic ! Une semaine après à son retour prêt pour l’opération, le patient est désolé d’apprendre que le chirurgien n’est plus disponible.
Furieuse et à force d’être interrogée sur les raisons de l’indisponibilité du médecin, la réceptionniste finit par lui dire que ledit chirurgien est parti travailler à l’étranger. Que faire face à l’urgence ? Jules confie qu’il s’est résolu à chercher un autre hôpital pour se faire opérer. Ce qui a occasionné « une perte de temps et d’argent, parce que j’ai dû payer d’autres frais de consultation et pour les examens. »
Une tendance qui ne fléchit pas
Rien que depuis 2020, selon certaines sources du Bureau des ressources humaines du ministère de tutelle, environ trente médecins spécialisés dans plusieurs domaines et des centaines de médecins généralistes ont quitté le Burundi. La destination très prisée se trouve être le Rwanda.
Mais, depuis un certain temps, le pays de Kagame voit le Kenya le surpasser comme terre d’accueil des praticiens burundais dans la sous-région. « Le mouvement n’est plus celui des années passées », raconte le prénommé Didier, un médecin-généraliste de retour de « l’exode rwandais ». Il confie qu’après la période post-Covid-19, plusieurs de ses confrères ont regagné le pays.
L’aspect quelque peu protectionniste de certains hôpitaux rwandais qui privilégient les médecins rwandais au détriment des étrangers en est l’explication. Avec cette politique, il confie que certains d’entre eux ont pris la décision de tenter l’aventure ailleurs.
Quid de leur destination ? Ce jeune médecin explique que nombre d’entre eux sont revenus non pas pour chercher du travail, mais pour renouveler leurs documents de voyage et ainsi pouvoir partir sous d’autres cieux à la quête de nouvelles opportunités.
Ce qui est plus inquiétant, glisse-t-il, c’est qu’il y a, parmi eux, ceux qui préfèrent ne pas rejoindre leur poste d’attache alors qu’ils ont été affectés dès leur retour au bercail. Ils optent plutôt d’attendre une éventuelle opportunité, soit dans une structure hospitalière privée du pays soit à l’étranger même s’ils ont un numéro matricule pour prester au sein du ministère burundais de la Santé publique.
Les hôpitaux privés ne sont pas épargnés
Kira Hospital, CMCK, Tanganyika Polyclinic Care, Bumerec, ,.. Tous ces hôpitaux privés de Bujumbura réputés pour bien payer son personnel médical sont frappés par cet exode de certains de leurs meilleurs éléments. Une preuve supplémentaire que la situation devient de plus en plus intenable, la nouvelle tendance des médecins étant de troquer leur blouse blanche contre le pécuniaire. « Après tout, on doit faire vivre nos familles. L’essentiel, c’est l’argent que l’on gagne », confie l’un d’eux.
Et ceux qui ne se sont pas encore reconvertis dans différents métiers tendent une reconversion en tant qu’administratifs dans le secteur de la santé. Il suffit de voir de près le nombre de médecins qui désirent intégrer les programmes de master en gestion hospitalière ou en santé publique ou ceux qui attendent jusqu’à ce qu’ils soient affectés en tant que managers des hôpitaux et non comme simples cliniciens.
Ces pratiques sont bien évidemment décriées par la population. Elle ne cesse en effet de se demander si le serment d’Hippocrate qu’ils prêtent promettant de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux, n’est plus qu’une futile mise en scène.
Des salaires indécents…
Parmi les causes à l’origine de ces départs figure notamment le manque de volonté du gouvernement pour stabiliser la carrière professionnelle des médecins. « Imaginez-vous un médecin qui n’est pas en mesure d’offrir la meilleure scolarité qui soit à son enfant parce qu’il lui est même impossible de joindre les deux bouts du mois », confie avec amertume L.F, médecin généraliste à l’hôpital Prince Régent Charles.
Ce qui est plus affligeant, déplore-t-il, c’est lorsque tu sais que ton confrère de la même promotion, avec la même expérience, gagne plus de 5,10 ou 20 fois ton salaire parce qu’il travaille dans une structure hospitalière privée à Bujumbura ou a eu la chance de dégoter un emploi à Nairobi, en France ou ailleurs.
Et de lâcher : « Le secteur privé ne peut pas nous embaucher tous. Avec la volatilité du franc burundais et l’inflation galopante, quand bien même tu t’épuiserais à faire des gardes de nuit pendant un mois, il est impossible de vivre avec les 500 000 BIF que le ministère de tutelle donne comme salaire. »
L’absence d’un plateau technique à la hauteur figure aussi parmi les raisons qui poussent de plus en plus les médecins burundais à aller voir ailleurs. « Figurez-vous par exemple le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Kamenge qui ne possède pas de scanner ou d’IRM alors que les étudiants sont censés connaître son fonctionnement. Il en est de même pour les résidents en chirurgie qui ne sauront jamais comment on fait la cœlioscopie (technique de chirurgie permettant d’accéder à l’intérieur de l’abdomen par de petites incisions de la paroi abdominale, NDLR) alors qu’elle est actuellement la plus utilisée en chirurgie ».
Un état de fait couplé à l’absence d’un budget spécifique alloué à la recherche fait que certains praticiens burundais, au lieu de faire de la « marche sur place intellectuelle et financière », préfèrent tenter leurs chances ailleurs. « Comme la médecine évolue, les médecins doivent donc actualiser leur savoir, renforcer leurs capacités. Visiblement, c’est de loin être une préoccupation du ministère de tutelle », conclut-il.
Réactions
Philbert Sendegeya : « Il faut faire preuve d’esprit patriotique »
« Il est vrai que depuis 2020, on a observé un départ des médecins généralistes et spécialistes vers les pays limitrophes et ailleurs comme en France. La raison étant un salaire maigre comparativement aux autres pays », reconnaît Philbert Sendegeya, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins au Burundi (Cnomb).
Il fait savoir qu’ailleurs, la prise en charge des médecins est alléchant. Il donne l’exemple de la France où un médecin généraliste perçoit environ 2 500 Euro et un médecin spécialiste perçoit autour de 5 000 Euro.
Interrogé s’il y aurait d’autres motifs qui poussent ces médecins à partir, Dr Sendegeya dit qu’il les ignore. « Au niveau de notre organisation, nous les ignorons parce que personne ne passe chez nous pour nous signaler qu’il part ».
Et d’ajouter qu’il n’a pas le chiffre exact de médecins qui sont déjà partis mais que son organisation est en train de collecter les données y relatives.
Malheureusement, déplore ce syndicaliste, le départ de ces médecins entraîne de lourdes conséquences surtout pour les patients qui ont des pathologies qui nécessitent l’intervention d’un spécialiste.
Quant aux pistes de solutions, le vice-président du Cnomb recommande au gouvernement d’accélérer le processus d’harmonisation des salaires pour mettre fin à la disparité salariale.
Il exhorte aussi ses collègues à faire preuve d’esprit patriotique. « Ils ont étudié sur les frais de l’Etat. Ils devraient servir avant tout leur patrie », interpelle-t-il.
Mélance Hakizimana : « Ce ne sont pas seulement les médecins qui partent »
« Les différentes catégories de professionnels de la santé partent à l’extérieur à la recherche du travail là où les conditions de travail sont les meilleures », constate Mélance Hakizimana, président de la Fédération nationale des syndicats du secteur de la santé (FNSS).
Il déplore qu’au Burundi les conditions de travail des prestataires de soins ne tiennent pas compte de la spécificité du secteur. Les personnels de la santé qui prestent dans les services publics sont insuffisants.
Par ailleurs, fait-il remarquer, il n’y a pas de normes en termes de nombre de patients à soigner, c’est-à-dire ce que l’on appelle ratio médecins- patients, ratio infirmiers-patients, ratio sages-femmes-patients. « Tous les patients qui se présentent doivent absolument avoir des soins requis par un, deux ou trois prestataires ».
En outre, les prestataires de soins n’ont pas d’heures de travail. Et de préciser que l’on ne peut pas fermer une structure sanitaire en disant aux patients qu’il est l’heure de rentrer. Encore moins le chirurgien qui ne peut pas interrompre son intervention. « Malheureusement, la rémunération est trop médiocre. Le salaire ne peut joindre les deux bouts du mois », regrette-t-il.
M. Hakizimana trouve que cette situation entraîne de lourdes conséquences. Il s’agit notamment de la surcharge et de la frustration du personnel restant ainsi que la diminution de la qualité des soins. Il s’agit aussi de la fermeture de certains services de spécialisation dans certaines structures sanitaires et de l’augmentation du coût des soins de la population.
Mélance Hakizimana épingle le Statut général des fonctionnaires et la Politique salariale équitable qui ne tiennent pas compte de la spécificité du secteur. « Le nouveau Statut général des fonctionnaires est venu suspendre tous les avantages que lui procurait la loi qui régissait les dispositions particulières applicables au personnel soignant au niveau des accords qui avaient été conclus entre les syndicats du secteur de la santé et le gouvernement. Il avait été convenu qu’avec la politique salariale équitable, on devrait améliorer leurs conditions salariales en augmentant le salaire de base et bien d’autres avantages ».
Il recommande la suspension de la mesure qui a abrogé la loi qui régissait les dispositions particulières applicables au personnel du secteur de la santé.
Il propose aussi la mise en application de la recommandation du Conseil des ministres qui ordonnait de mettre en place un statut spécial du personnel du secteur de la santé compte tenu de la spécificité du secteur. « Il s’agit de la recommandation qui a été émise lors du Conseil des ministres qui étudiait la déontologie des personnels de la santé ».