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Exécutions extrajudiciaires au Burundi : un pays, deux réalités

05/05/2013 Commentaires fermés sur Exécutions extrajudiciaires au Burundi : un pays, deux réalités

[Pour le Procureur Général de la République, il n’y a pas eu d’exécutions extrajudiciaires au Burundi->http://www.iwacu-burundi.org/spip.php?article3565], conclusion saluée par le gouvernement et le Cndd-Fdd. Mais les autres acteurs de la nation sont étonnés, déçus et s’inquiètent pour l’avenir.

<doc5069|left>Le 23 août dernier, la commission mise sur pied par le Procureur Général de la République pour enquêter sur les cas d’exécutions extrajudiciaires et de torture, dénoncés par la communauté internationale et les organisations nationales de défense des droits de l’Homme, a présenté son rapport : elle n’a constaté aucun cas répondant à la définition d’exécution extrajudiciaire.
« L’exécution extrajudiciaire est la mise à mort d’une personne ou d’un groupe de personnes sur l’initiative d’un gouvernement ou de l’un de ses organes en ayant recours à la force publique, mais cela demande que la personne soit explicitement ciblée et que l’on démontre que le gouvernement l’a ciblée délibérément. » C’est la définition donnée par Valentin Bagorikunda, Procureur général de la République, dans une conférence de presse pour présenter le rapport de la commission.

Définition également reconnue par les Nations unies, mais dont les 61 cas d’exécutions extrajudiciaires reconnus par son Conseil de Sécurité ont été paradoxalement balayés d’un revers de la main par Mr Bagorikunda. Car, pour lui, les huit personnes arrêtées par la commission et actuellement détenues ont avoué avoir agi à titre personnel, sans aucun mandat du gouvernement, et sont poursuivies individuellement.

Un espoir vite déçu

Il faut rappeler que ces arrestations avaient soulevé l’enthousiasme et la reconnaissance mitigés des victimes et des associations de défense des droits de l’Homme. Le filet tendu par la commission d’enquête sur les exécutions extrajudiciaires avait attrapé l’ancien vice commissaire de police à Gitega, Michel Nurweze alias Rwembe, et l’ancien responsable de la police à Gihanga, Guillaume Magorwa, pour ne citer que ceux-là.

Cette retenue s’explique, aujourd’hui, car tout ce monde déchante devant les conclusions d’une commission dont le travail a été pourtant salué par le président de la République et le porte-parole du parti au pouvoir.
Pour le premier, le travail accompli par cette commission est fort important, et ses conclusions vont pouvoir lever les équivoques sur le nombre de crimes ainsi que l’identité de leurs présumés auteurs. Pierre Nkurunziza s’est plutôt joint au procureur général de la république en plaidant pour plus d’attention à l’endroit de ceux qui propagent les informations fausses.

Quant à Onésime Ndikumana, porte-parole du Cndd-Fdd, ceux qui ont confectionné ce rapport sur les exécutions extrajudiciaires avaient les compétences requises et ont bien fait leur travail. Pour lui, pas besoin d’une commission internationale pour un travail qu’on peut faire soi-même.

<doc5068|left>Une réalité propre au pouvoir

Le professeur Gertrude Kazoviyo, analyste du langage et du discours, a conclu qu’il y a une divergence totale entre le désir du président de la République et les désidératas de la communauté internationale.
Pour plusieurs observateurs, le travail de la commission a été bâclé et il est plus que temps, propose Pacifique Nininahazwe, délégué général du FORSC, de mettre en place une commission internationale pour enquêter sur ces cas.  
Le parti Uprona, par le biais de son porte-parole, le député Charles Nditije, considère que dès lors qu’un agent de l’ordre exécute une personne sous mandat d’arrêt, c’est l’Etat qui est responsable. L’Uprona est d’avis que seule une commission mixte pourra faire la lumière sur ces exécutions extrajudiciaires. A défaut, ce parti pense que cela va consacrer l’impunité au Burundi.

« Quand un prisonnier est retiré de la prison par un policier, en tenue policière, armé d’un fusils de l’Etat, en utilisant aussi un véhicule dont le numéro d’immatriculation montre qu’il s’agit d’un véhicule de l’Etat et qu’on le retrouve plus tard décapité, c’est une exécution extrajudiciaire », dixit Pierre Claver Mbonimpa,  président de l’Aprodh. Il pense aussi que le procureur devrait s’atteler à mener des enquêtes et donner de vrais mobiles sur ces cas d’assassinats, qu’il y ait incompréhension ou pas sur la terminologie.  

Un rapport « protecteur » ?

Ce dernier point est plus ou moins, partagé par Frère Emmanuel Ntakarutimana, président de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH). Il suggère que la définition du terme « exécutions extrajudiciaires » soit analysée par des experts pour mettre fin à la polémique. Cependant, il ajoute que, lorsque des autorités sont accusées du meurtre de personnes et que le gouvernement garde le silence, celui-ci peut être accusé de ce que l’on a désigné comme exécution extrajudiciaire.

Une certaine opinion accuse le Procureur Général de la République et les six membres de sa commission d’avoir craint de condamner le gouvernement qui les a mandatés. Ainsi, certains individus ont été sacrifiés afin de protéger leurs commanditaires qui se situent dans les hautes sphères du pouvoir.
A tort ou à raison, une autre opinion semble craindre la réaction des principaux bailleurs du pays, en l’occurrence l’Union européenne, qui s’est dite souvent préoccupée par la situation des droits de l’Homme au Burundi, malgré le discours rassurant du Chef de l’Etat.

Quid d’une commission internationale ?

Quoi qu’en pensent les proches du pouvoir, les conseils de Philip Alston devraient nous inspirer dans une situation pareille. Le 03 juin 2010, ce rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires présentait son rapport annuel au Conseil des Droits de l’Homme, réuni pour sa 14ème session, à Genève en Suisse. Il a plaidé pour l’instauration d’enquêtes internationales dans les cas sérieux d’exécutions extrajudiciaires qui ne font pas l’objet d’enquêtes nationales suffisantes.
« Dans de nombreux cas, les commissions d’enquêtes nationales débouchent sur une large impunité. En général, la trace laissée par ces enquêtes est particulièrement faible », a-t-il regretté, lors de la présentation du compte rendu de ses travaux.

Ce rapporteur spécial estime que « la communauté internationale a souvent besoin d’insister pour qu’une commission d’enquête internationale voit le jour, notamment pour les cas les plus graves, ou lorsque les initiatives nationales ont été peu convaincantes. Dans de telles circonstances, a-t-il souligné, affirmer que ces enquêtes doivent être entièrement laissées à la charge des autorités nationales équivaut à abdiquer pour la communauté internationale.

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