455 lauréats de l’examen d’Etat 2019-2020 n’ont pas été orientés à l’Université du Burundi. L’une des raisons évoquées par la direction, l’incompatibilité des filières suivies avec les facultés de l’UB. Un expert parle d’un sérieux problème de planification.
« C’est un coup de poignard dans le dos. Je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas orienté, alors que j’ai réussi l’examen d’Etat à 61%. » A.N., lauréat de la section Economie au Lycée Rutovu, est mécontent. Il ne s’est pas retrouvé sur les listes d’orientation.
A.N. voulait poursuivre dans les filières Economie de sciences et de gestion, Commerce et marketing ou comptabilité à l’UB. C’est le choix qu’il a fait lors de l’inscription provisoire où les lauréats étaient appelés à indiquer trois départements de leur choix.
Son mécontentement est d’autant plus grand qu’il n’a pas les moyens de se payer l’université privée. Originaire de Makamba, commune Kayogoro et orphelin de père, sa mère ne vit que de l’agriculture. « A peine, nous obtenons de quoi manger».
Le recteur de l’UB, François Havyarimana, a évoqué deux raisons : la capacité d’accueil limitée et le manque de correspondance entre les sections suivies au post-fondamental et les filières disponibles à l′UB.
Il évoque surtout les sections techniques : « Celui qui a fait la couture, par exemple, dans quelle faculté nous pouvons le mettre ? » D’après lui, un lauréat d’une section technique est supposé déjà capable de travailler. « Sinon, il n’y a pas d’autre choix, ils vont aller dans les universités privées », tranchera le recteur de l’UB.
Un choix limité
La Directrice générale des curricula et innovations pédagogiques au ministère de l’Education, Chantal Bajinyura, reconnaît que les sections techniques ont une incompatibilité avec les filières de l’UB : « Les lauréats de certaines sections ont de sérieux problèmes. Par exemple, celui qui a fait les arts plastiques, quel département de l’UB peut-il fréquenter ? Ceux des sections Economie et Agronomie peuvent s’y retrouver. »
L’enseignement post-fondamental dispose de 8 sections techniques qui comprennent 26 filières. Il s’agit de l’Agronomie, Construction, Arts plastiques, Services aux personnes, Hôtellerie et tourisme, Textile et habillement, Economie et Electricité industrielle.
Mme Bajinyura affirme qu’il n’y a pas d’autre solution, les lauréats qui restent vont être insérés dans les autres facultés qui ont de la place. Elle indique qu’ils sont en train de faire les recours. « L’UB a affiché les départements qui restent. Les lauréats pourront faire leur choix», conclut-elle.
Mauvaise planification et risque d’échec !
Les programmes de formation ont été mal planifiés, assure le pédagogue Joseph Ndayisaba. Une situation qui expose les nouveaux étudiants à l’échec.
« Quand le gouvernement a créé certaines sections techniques au post-fondamental, il a pris un risque. Ce sont des sections sans continuité », observe le pédagogue Joseph Ndayisaba.
Il souligne une situation paradoxale : « Le gouvernement encourage les élèves à fréquenter les sections techniques. Mais l’enseignement technique n’est organisé qu’au post-fondamental, mais pas à l’université. »
Quand les élèves choisissent de fréquenter ce genre de filières, explique-t-il, ils prennent un risque de ne pas avoir de pont pour traverser jusqu’à l’enseignement supérieur. Mais l’on ne peut pas reprocher aux élèves d’avoir suivi une section artistique, selon ce professeur d’université.
« Soit il faut créer des filières artistiques à l’université, soit il faut informer les élèves que ces sections techniques n’ont pas de correspondance à l’enseignement supérieur pour qu’ils les suivent en connaissance de cause et en conséquence. » Et le Pr Ndayisaba d’ajouter aussitôt : « Ils peuvent gagner leur vie parfaitement sans avoir fait l’enseignement supérieur. C’est d’ailleurs des sections qui présentent plus d’opportunités d’emploi. »
Pour ce pédagogue, ces lauréats qui ne sont pas orientés sont victimes d’un problème de programmation. « Tant qu’ils sont soumis à l’examen d’Etat, c’est-à-dire qu’ils ont le droit de poursuivre à l’enseignement supérieur s’ils réussissent l’examen ».
L’échec se fait sentir…
Concernant l’insertion des lauréats techniques dans n’importe quelle filière de l’UB, Joseph Ndayisaba met en garde : « Il ne faut pas tromper ces enfants. Ce serait encourir un grand risque d’échec. » Il fait savoir que les programmes de formation (« curricula ») ressemblent à des anneaux qui s’emboîtent. « La logique est qu’il y ait un lien de la maternelle jusqu’à l’université. Si un élève est formé en art au post- fondamental, je ne peux pas comprendre comment il peut passer des humanités artistiques à des études de droit ou d’ingénierie ».
Résoudre ce problème requiert des moyens énormes, selon ce pédagogue. Construire les filières techniques à l’enseignement supérieur, former les enseignants, les payer, etc. « Malheureusement, même ceux qui avaient l’intention d’aider sont découragés par la situation malsaine au niveau politique».
Ce professeur affirme que l’UB a déjà atteint son summum d’accueil, depuis longtemps. Certaines facultés comprennent entre 300 et 400 étudiants en première année. « Imaginez un enseignant qui se retrouve devant une classe de 400 étudiants».
Aujourd’hui, le Burundi en est à 70 mille candidats à l’examen d’Etat. Alors que l’UB a la capacité d’accueil de 4.000 étudiants en première année, au maximum, selon ce pédagogue.
Ce qui est dommage, estime-t-il, c’est que le gros du budget de l’Education est réservé au fondamental et pas à l’enseignement supérieur. « Même les bailleurs financent plus le fondamental».