Dans un contexte post-conflit, le clivage « EUX » contre « Nous » consacre la séparation, la tension et polarisation. Pour le Professeur historien Evariste Ngayimpenda, le Burundi a de plus en plus besoin de compréhension, de nuance et d’unité afin de trouver ensemble des solutions aux problèmes existants.
Que peut-on comprendre par le « EUX » et « NOUS » dans un contexte post-conflit ?
Normalement dans un contexte, post-conflit, on est censé sortir progressivement de la dualité. Si dans un tel contexte, il y a la persistance de « EUX » contre « NOUS », cela veut dire qu’on n’a pas encore dépassé le conflit, on est pas encore sorti tout à fait de la psychose et de l’état d’esprit conflictuel. On peut être sorti de la confrontation, de la violence, mais cela signifie qu’il y a quand même une certaine méfiance qui persiste. On continue à cultiver une image négative de l’autre. Il est perçu comme mauvais, injuste, méchant, usurpateur, envahisseur. Donc, une image négativement connotée vis-à-vis de l’autre continue à vous habiter. Vous continuez à percevoir l’autre comme non seulement fondamentalement différent, mais opposé à vous.
Il est chargé de tout ce qu’on peut imaginer comme valeur négative quand vous cultivez une image absolument candide, angélique de vous-même. En fait, construire une image négative de l’autre va de pair avec l’image positive de soi. Ici, on dit le « NOUS », en tant que membre d’un groupe et donc vous vous créditez de beaucoup de qualités quand vous bourrez l’autre de beaucoup de défauts. L’autre l’est, car vous vous percevez comme suffisamment bon. Si vous vous définissez comme intelligent, vous considérez l’autre comme absolument nul, bête. Vous donnez tout ce qui est détestable, d’abominable à lui. Vous trouvez des qualificatifs pour l’étiqueter. Bref, cela signifie qu’il y a beaucoup à faire pour sortir de ce conflit.
Que représente cette polarisation comme danger dans la communauté ?
L’opérationnalisation de ce couple antithétique présente le danger pour la société. C’est la persistance du refus d’acceptation et de compréhension de l’autre. En fait, c’est quoi la sortie et le dépassement d’un conflit ? C’est l’engagement que les deux groupes en conflit prennent pour aller chacun vers l’autre. C’est-à-dire apprendre à se « réhumaniser » quand dans le conflit ils étaient occupés à se déshumaniser. Ils astreignent un effort conscient de destruction de la mauvaise image entretenue vis-à-vis de l’autre. Malheureusement, continuer à cultiver cette image négative, c’est refuser ce pas vers l’autre, une étape de changement et de transformation. Ils refusent les valeurs positives qu’il faut incarner et perpétuent le clivage.
Que faire pour éviter l’irréparable ?
Le premier pas est de refuser les identités de groupe. Il faut définir l’autre par rapport à ce qu’il est et ce qu’il fait et dit, mais pas par rapport à son groupe d’appartenance. Cela n’est possible que si vous faites des efforts précisément d’aller vers lui, le comprendre et de le considérer comme un humain au même titre que vous. Si vous le faisiez comme ça, vous allez découvrir la construction fabriquée autour de lui était un fantasme. Si vous acceptez de refuser et dépasser les préjugés et prénotions, vous vous placez dans une logique de valorisation de l’individu. C’est une façon de développer un effort de compréhension, de dialogue et de débat. On finit par découvrir que l’autre est votre semblable avec les mêmes droits.
Concrètement ?
Il faut définir des cadres de promotion des valeurs positives. Cela exige l’effort de tout le monde, car un effort de » EUX » vers « NOUS » n’est possible que s’il y a le même effort de « NOUS » vers « EUX ». Sans cela, on n’avance pas. Ça demande une volonté concertée et partagée. Cette possibilité ne se présente que lorsqu’au sein des groupes, il y a l’émergence des leaders. Le leadership est cette capacité de conduire le groupe et ses membres à dépasser les clivages pour bâtir une société juste et prospère.
Propos recueillis par Jérémie Misago