L’histoire des quatre journalistes d’Iwacu détenus à Bubanza est en train de prendre une dimension burlesque. Si la liberté de nos quatre collègues n’était pas en jeu, cela ferait sourire. Souvenez-vous, l’équipe des reporters et leur chauffeur sont arrêtés dans l’après-midi du 22 octobre 2019 alors qu’ils sont en reportage à Bubanza: des affrontements avaient été signalés et ils étaient allés voir pour comprendre ce qui s’était passé. Bref, faire leur métier.
A Musigati, la saga commence par une arrestation musclée. Les journalistes et leur chauffeur se retrouvent dans un cachot insalubre, isolés, traités comme des criminels. Devant le tollé général, les conditions sont adoucies. Ils sont finalement inculpés: « Complicité d’atteinte à la sureté intérieure de l’Etat ». L’accusation est grave, passible de la prison à perpétuité.
Mais Iwacu attend le procès avec sérénité. On sait qu’ils sont innocents. Pendant plus de deux mois, les journalistes végètent dans la prison de Bubanza. Arrive enfin le procès. A court d’accusations, le ministère exhume le fameux message whatsApp. « On va aider les rebelles ».L’argument est démonté: une boutade, à la limite maladroite. Malgré tout, le réquisitoire du ministère public est sévère. Il demande 15 ans de réclusion criminelle. La Cour doit se prononcer dans 30 jours maximum. Iwacu reste encore malgré tout serein. Les journalistes n’ont commis aucune infraction.
Le 30 janvier, les juges se retrouvent devant un dilemme: condamner les journalistes pour une blague sur whatsApp ? Trop gros. Le ridicule de la situation ne leur échappe pas. Les relaxer ? Ce que le droit leur commande, ils n’osent pas. Ils n’ont pas ce courage, car ce serait reconnaître qu’ils se sont trompés. Reconnaître ses erreurs est un acte de grandeur. C’est une vertu qui n’est pas donnée à tout le monde.
Ce jeudi 30 janvier, les trois juges s’enferment durant de longues heures. Les relaxer ? Pas le courage. Les condamner ? Pour quelle infraction ?
Une heure. Deux .Trois heures. Eurêka ! Après plusieurs heures, ils trouvent enfin ! Ils vont requalifier l’infraction. De « complicité d’atteinte à la sureté intérieure de l’Etat », les journalistes se retrouvent accusés de « tentative impossible d’atteinte à la sûreté de l’Etat’ ». Mais quel coup de génie !
En fait l’infraction existe bien dans le droit pénal burundais. Il s’agit de l’article 16 du Code pénal qui dit « qu’il y’a tentative impossible lorsqu’un délinquant en puissance a fait tout ce qui était en son pouvoir pour commettre une infraction alors que celle-ci ne pouvait se réaliser par suite d’une impossibilité qu’il ignorait. »
Ces journalistes, considérés désormais comme « délinquants », auraient donc quitté Iwacu pour se rendre à Bubanza afin de commettre leur infraction, mais arrivés là-bas, ils se sont retrouvés dans l’impossibilité de commettre leur forfait et ils ignoraient cela . N’essayez pas de comprendre. Il n’y’ a rien à comprendre. Interrogés, plusieurs spécialistes de la loi, Burundais et étrangers, sont stupéfaits . Ils disent qu’à défaut de dire le droit, « les juges de Bubanza sont très créatifs… »