Documents exclusivement en français, une lenteur intenable, un accueil qui laisse à désirer… Les reproches des clients et usagers des banques sont nombreux. Pour un spécialiste en marketing, il n’existe pas de culture-client au sein des banques.
Mardi 17 janvier. Nous sommes dans l’une des banques les plus réputées de Bujumbura. Il est presque midi et l’affluence à l’intérieur ne faiblit pas. Ici, tous les documents sont rédigés en français. Certains clients qui ne maîtrisent pas la langue de Molière ont du mal à s’y retrouver.
C’est le cas de P.T. qui vient remplir une fiche de versement. Il nous emprunte notre stylo à bille et commence à remplir le petit papier. Très vite, nous nous rendons compte que P.T. ne comprend presque rien à ce qui est écrit. Nous prenons l’initiative de l’aider à remplir la petite fiche. Cela nous prend quelques secondes, ce qui permet à ce monsieur d’aller ensuite attendre son tour devant le guichet « Versement ».
L’obstacle linguistique ne se limite pas là. La voix du prompteur, celle qui annonce les numéros pour l’accès aux différents services, est française. Ce qui finit par agacer un usager assis à nos côtés. « Est-ce qu’ils pensent que c’est tout le monde qui comprend le français ? ».
« Pour un simple service, tu peux attendre près d’1h30 »
F.T. travaille pour une agence de communication. Avec ses collègues, ils se sont regroupés pour bénéficier d’un crédit collectif. Nous le retrouvons aux abords de la banque où il nous confie sa déception. « Pour bénéficier du simple document de non-redevabilité, j’ai dû attendre des heures et des heures. A un moment donné, celui qui s’en chargeait, qui se trouve être un ami, m’a dit d’aller flâner dehors le temps d’attendre».
Ce n’est pas le seul grief de F.T. à l’encontre de sa banque : « Ce n’est pas pour leur faire de la mauvaise publicité, mais il y a une telle lenteur dans la prise en charge du client. Pour un simple service, tu peux attendre près d’1h30 ! »
En plus, d’après lui, il n’est pas normal que les banques offrent leurs services en français alors qu’un certain nombre d’usagers ne sont pas passés sur le banc de l’école. F.T. prend aussi le soin de préciser un manque de cohérence dans l’octroi des services : « Pour un document, on ne te demande pas de fournir les mêmes pièces selon que tu vas au siège ou à l’agence de la banque. Ce n’est pas normal !»
Des clients d’autres banques que nous avons contactés nous ont fait part d’autres désagréments. « Au niveau de ma banque, il te faut au moins 2 mois pour bénéficier d’une carte bancaire », indique V.W., employée dans une compagnie d’assurances. Ce n’est pas tout.
Cette jeune maman nous fait savoir que la qualité de l’accueil des clients laisse à désirer : « Quand tu demandes une information, on te répond avec mépris. Un peu comme si tu les importunais alors qu’en principe, ils sont au service des clients. Quand tu sollicites un découvert bancaire, là alors, c’est comme si tu mendiais ! »
B.D., cliente dans une microfinance, se montre exaspérée. Elle nous raconte une mésaventure à laquelle elle a un jour fait face : « Un client s’est présenté et voulait verser une somme de 250.000.000 BIF. Les agents ont dû mobiliser les deux seuls guichets fonctionnels pour cette opération. Pour les autres, nous avons dû attendre que cela soit fini. C’était dingue parce qu’il y avait deux guichets vides à côté.»
Au niveau de certaines banques, les guichets automatiques ne sont parfois pas fonctionnels.
Réactions
Noël Nkurunziza : « On donne aux clients des documents à signer sans qu’on leur explique le contenu »
Le porte-parole de l’Association burundaise des Consommateurs (ABUCO) estime que les banques ne communiquent pas assez aux clients quant aux services offerts : « Souvent, on donne aux clients des documents à signer sans qu’on leur explique le contenu. Et dans une langue étrangère que ne maîtrise pas bon nombre d’usagers des banques. A la fin, on se retrouve avec des difficultés de remboursement des crédits parce que les termes du contrat n’ont pas été bien saisis par le client.»
Noël Nkurunziza assure que les banques se prêtent parfois à des facturations non justifiées : « Quand vous allez demander, par exemple, la situation de votre compte, certaines banques vous le font payer alors que la loi l’interdit.»
M. Nkurunziza demande aux établissements bancaires d’élargir la gamme des services et comme ce sont des services ouverts au public, ajoute-t-il, les banques devraient mettre des latrines à la disposition des usagers.
Jean-Paul Roux : « Les clients, il faut savoir les accueillir et leur parler »
Pour le spécialiste en marketing et consultant international, il n’existe pas de culture-gestion, de culture-client. « Les clients, il faut savoir les accueillir et leur parler ». Jean-Paul Roux souligne qu’il faut un certain niveau de connaissance pour mieux connaître les besoins des clients et pouvoir mieux les conseiller. Il souligne qu’il y a également un problème avec les guichets automatiques : « Souvent, sur quatre guichets automatiques, un seul est fonctionnel, ce qui entraîne souvent des files indiennes. Il y a clairement un problème d’organisation et de suivi.»
Pour améliorer les services bancaires, M. Roux recommande la maîtrise du concept des « 4C » qui met le client au centre de la stratégie de la Banque : « La connaissance du client. Il s’agira de comprendre quelles sont ses envies, ses attentes, ses exigences, et donc quels sont les moyens de le satisfaire. Mais cette démarche ne se limite pas aux besoins du client en termes de produits ou services. Il faut également prendre en compte ses attentes au niveau de l’avant-vente mais aussi de l’après-vente, « Cost to satisfy » (Prix de la satisfaction’’). L’établissement devra être en accord avec les besoins et attentes du client. Enfin, le Conseil et la Concrétisation exigent une qualification des vendeurs bancaires. »
Selon ce spécialiste en marketing, il doit y avoir une amélioration de la performance des agents et un renforcement des capacités des cadres et des agents des banques. Il convient donc de bien s’organiser pour fidéliser le client et définir la valeur client qui est un dispositif qui estime la rentabilité et le potentiel économique de chaque client d’un portefeuille de banque ou d’assurance.
Une enquête impartiale et méthodique est nécessaire. Il faudrait prendre un nombre de simples services (retrait au guichet, retrait au comptoir, dépôt, demande de crédit, etc.) et visiter au moins 3 agences de chaque banque et comparer la qualité du service : qualité de l’accueil, temps d’attente, facilité/difficultés des formulaires, support au client, langue de travail, nombre de visites et délais pour obtenir une réponse à une demande ou un document (relevés, crédit, transfert, etc),…
Une fois les données réunies, ne pas avoir froid froid aux yeux : publier les résultats, nommer les banques et leurs agences visitées et les comparer.
Je ne crois pas qu’en procédant ainsi on soit en train de diffamer qui que ce soit. C’est comme cela qu’on force du changement. Les banques se rendront compte qu’il vaut mieux changer que de perdre leurs clients… et les magots.