Quel rôle et dans cadre s’inscrit l’engagement de la société civile burundaise ? Jean-Bosco, un lecteur d’Iwacu, a voulu participer au débat en proposant aux amis du journal cette longue réflexion.
Au Burundi, on observe une méfiance d’une partie de la population envers les organisations de la société civile qui sont censées défendre ses intérêts quand les élus et le gouvernement ne le font pas. Il suffit d’écouter les interventions de la population (à la radio Isanganiro par exemple) sur certaines déclarations et positionnements des organisations de la société civile, ou de lire les commentaires des jeunes sur Facebook sur les sujets en rapport avec les déclarations de ces associations, pour se rendre compte combien leur travail est très controversé. Et ici, on ne parle même pas des relations entre ces organisations et le pouvoir à Bujumbura qui se sont détériorées depuis la réélection du parti cndd-fdd.
Si ce n’est pas très étonnant que les relations entre ces associations et l’exécutif ne soient pas très bonnes, c’est quand même étrange que la population affiche une méfiance envers des associations qui ont comme mission, la défense des valeurs qui sont bénéfiques à l’ensemble de la population. Pourquoi alors une partie de la population n’approuve pas le travail de ces organisations ? Démontrent-elles un excès de zèle ? Les organisations de la société civile sont-elles apolitiques comme elles sont sensées l’être ? Quelle est la différence entre les organisations de la société civile et l’opposition politique ? Quelles sont les conséquences de la politisation du domaine de la société civile sur la démocratie ? Voilà quelques questions aux quelles nous allons tenter d’apporter des solutions dans cette analyse.
D’ abord les organisions de la société civile représentent-elles la société civile, ou parlent-elles au nom du peuple ?
Wikipédia fait une distinction entre les organisations de la société civile comme celles regroupées au sein du Forum pour le Renforcement de la Société Civile(FORSC), et la société civile, « qui est avant tout la totalité des citoyens d’une commune, d’une région, d’un État-nation » ; et rappelle le risque de confusion entre les deux : « (…) il y’a risque d’une certaine confusion entre la société comme ensemble des citoyens et des organisations censées représenter leur volonté, surtout quand certaines d’entre elles prétendent incarner l’ensemble des citoyens et s’attribuent ainsi une légitimité de représentant de "la" société civile en général », donc le peuple. Selon Wikipedia, une organisation de la société civile « (…) peut être considérée représentative à condition qu’elle ait été constituée sur la base de la volonté et des propres intérêts des citoyens se déclarant formellement et juridiquement membres de l’association ».
Sachant que les organisations de la société civile n’ont ni les moyens ni les mécanismes démocratiques clairs et accessibles pour permettre à tous les citoyens d’une nation (comme le Burundi) à adhérer à ces organisations, elles ne peuvent officiellement représenter que leurs membres. Imaginez-vous si demain M. Gilbert Bécaud Njangwa, représentant légal de la nouvelle plateforme PISC (Intégrale Burundaise de la Société Civile), une association dont le siège social pourrait se retrouver quelque part à Bujumbura dans une permanence du Cndd-Fdd (ou dont le loyer pourrait être payé par le Cndd-Fdd), dire qu‘il nous représente tous, et qu’il parle au nom du peuple Burundais. Je ne sais pas combien d’entre nous serions d’accord. On ne connaît pas d’ où il vient, encore moins de ses ambitions et de son agenda. Les associations de la société civile ne peuvent donc pas prétendre parler au nom du peuple, parce qu’elles n’ont pas le mandat de le faire.
Le rôle des associations de la société civile
Généralement parlant, le rôle des associations de la société civile comme celle des partis de l’opposition, est d’ abord et avant tout de dénoncer tout ce qui ne va pas dans leurs champs de compétence. Les organisations de la société civile peuvent donc s’exprimer sur n’ importe quelle politique gouvernementale.
Contrairement à l’opposition politique qui n’est pas obligée de donner des crédits au gouvernement qu’ il veut remplacer, on attend de la part des organisations apolitiques de la société civile, de moins d’extrapolation, un peu plus de vérité, et de la reconnaissance des bonnes politiques gouvernementales qui visent à améliorer le sort des populations pour lesquelles ces organisations prétendent défendre les intérêts.
De plus, contrairement à un politicien, comme nous l’avons mentionné en haut, un membre d’une organisation de la société civile ne peut pas prétendre parler au nom du peuple. Tout usage de ce genre de langage est une extrapolation de la vérité qui vise à donner plus du poids à son message, une stratégie qu’on observe surtout chez les politiciens.
Mais la différence la plus importante entre l’opposition politique et les associations de la société civile, (après l’objectif d’accéder au pouvoir politique), repose surtout sur la prise des positions politiques partisanes. Selon Wikipédia « (…) L’apolitisme est par confusion conceptuelle souvent associé à la neutralité : une personne apolitique s’abstient de prendre parti, le plus souvent par souci d’impartialité ». Selon le dictionnaire en ligne « Internaute », une personne apolitique « refuse de prendre part à la politique ». L’apolitisme est aussi défini ailleurs comme étant l’« attitude qui consiste à ne pas se mêler de politique ».
Bien que la constitution burundaise n’interdise pas les membres des organisations de la société civile de faire de la politique, et que ces associations peuvent s’exprimer sur tous les politiques gouvernementales; par leur choix volontaire de travail dans un domaine apolitique, on peut dire que les leaders des associations de la société civile doivent tout au moins, si on veut être souple, s’abstenir de prendre des positions politiques partisanes. Ils sont censés défendre les intérêts de toute la population sans distinction, alors qu’un politicien comme un député, défend d’ abord les intérêts de son électorat avant de défendre l’intérêt de toutes les populations (dans une démocratie bien organisée. Mais ici on distingue le travail d’un député à celui d’un membre du gouvernement ou de l’exécutif). Un député à donc le droit de prendre des positions politiques partisanes, mais un membre d une association de la société civile ne l’a pas, par principe de l’apolitisme.
Les organisations de la société civile burundaise sont-elles apolitiques ou non-partisanes ?
Le caractère apolitique des associations de la société civile burundaise a été mis en cause depuis l’arrivée au pouvoir de l’ancienne rébellion Cndd-fdd. Par coïncidence ou pas, malgré le fait que beaucoup d’observateurs disent que ce pouvoir musèle les membres de ces associations ; c’est sous le pouvoir Cndd-Fdd qu’on a vu les associations de la société civile s’activer, prendre de la place dans les médias. Dans le passé on les entendait moins, alors que les victimes à défendre ou les cas de corruption à dénoncer ne manquaient pas. On peut donc en conclure que soit la liberté d’expression s’est améliorée sous le règne du Cndd-Fdd, ou que soit que ces associations ne faisaient pas leur travail comme il le fallait (peut être qu’elles étaient encore très jeunes).
Parce que nous ne savons pas les raisons qui les empêchaient de dénoncer les cas de violations des droits humains et de corruptions avant l’arrivée du Cndd-Fdd, pour être juste, regardons si elles sont apolitiques ou qu’elles ne prennent pas des positons politiques partisanes aujourd’hui. Nous allons y aller avec 3 exemples : le comportement de la société civile dans le conflit qui oppose le parti Cndd-Fdd et l’ADC-ikibiri, la légalité constitutionnelle de la candidature du président Nkurunziza, et finalement le cas de l’assassinat d’Ernest Manirumva et Léandre d’une part, et celui du président Ndadaye et Ntaryamira de l’autre.
Comme c’est connu de tous, la communauté internationale et les associations de la société civiles en place à Bujumbura reconnaissent que le parti Cndd-Fdd a gagné les élections de 2010. L’ADC-Ikibiri qui ne reconnaît pas la victoire du cndd-fdd, et exige des négociations, ce que le parti cdd-fdd refuse ; parce qu’il se veut vainqueur de ces élections. Un conflit très politisé est né, et chaque partie se cramponne sur ses positions. On est donc en face d’une situation très politisée, où, généralement une association apolitique ne doit pas avoir de parti pris. Contre toute attente, le représentant de FORSC, M. Pacifique Nininahazwe n’a pas caché sa position en déclarant publiquement que le gouvernement devait négocier avec l’ADC-ikibiri pour résoudre la question de l’insécurité, une position défendue par l’ADC-Ikibiri. En se positionnant du côté de l’ADC-Ikibiri, l’icône de la société civile se positionne contre la majorité des burundais qui s’est exprimé à travers les élections de 2010, et qui est contre la position de l’ADC-Ikibiri. Pour moi, ce fut une première violation des règles et le principe du jeu de l’apolitisme, parce qu’il a pris une position politique partisane.
Prenons ensuite l’exemple du positionnement des associations de la société civile sur la question de l’amendement constitutionnel proposé par le président Nkurunziza à la fin de l’année 2011. Avant même que le président annonce les dispositions constitutionnelles à amender, M. Nininahazwe n’a pas non plus tardé à démontrer publiquement son soutien à la version des opposants du président actuel, selon laquelle, le président Nkurunziza voulait amender la constitution pour pouvoir se présenter pour un 3e mandat, ce qui serait illégal selon l’opposition et les associations de la société civile. C’était une erreur de la part du leader de FORSC, parce que sa déclaration publique vient violer encore une fois les règles de l’apolitisme. Non seulement il a pris une position de l’opposition sur une question politique très sensible, mais aussi il n’avait pas raison [si on se fie au travail d’un constitutionnaliste indépendant, dont les conclusions motivées par des dizaines des pages d’analyses->http://www.ancl-radc.org.za/sites/default/files/images/wp_2012_03_eligibilite_president_burundi.pdf] ; étaient différentes de celles de l’opposition.
Et puis, nous avons tous vu les organisations de la société civile se donner la rue pour réclamer la justice pour Ernest Manirumva. Des déclarations publiques ont été lancées pour réclamer la justice pour Léandre Bukuru (ce qui est très louable et qui cadre bien avec leur mandat), mais ce que nous n’avons pas encore entendu ou vu, c’est une manifestation ou même une simple déclaration de la part de ces organisations de la société civile, pour réclamer la justice pour les président Ndadaye Melchior ou et Cyprien Ndaryamira. On se demande ce que répondraient les leaders desdites organisations aux veuves et orphelins de ces deux présidents, à la question de savoir pourquoi ils ne font pas pour eux, ce qu’ils font pour les familles d’Ernest Manirumva et de Bukuru. Est-il parce que les dossiers de ces époux, pères et anciens présidents sont moins intéressants ou moins importants que ceux de Léandre Burukuru et Ernest Manirumva ? Ou parce que leurs assassins les intéressent moins que les assassins de Léandre Bukuru et ceux de Manirumva Ernest ? Il revient aux leaders de ces associations de répondre à ces questions. Bien que ces associations n’aient ni le devoir ni les moyens pour réclamer la justice le monde comme l’est le ministère public, elles ont une obligation morale d’être juste et transparente envers toutes familles des victimes, sinon, une justice sélective devient une autre forme d’injustice. Ça serait donc intéressant de savoir les critères utilisés par nos associations de la société civile pour choisir les dossiers qu’elles défendent parmi les nombreux dossiers des victimes qui sont tués par jour.
Quid de la naissance de cette nouvelle plateforme, la PISC (Plateforme Intégrale Burundaise de la Société Civile) ? A entendre les déclarations des ses leaders, ça prend seulement les oreilles pour écouter et comprendre qu’elle vient diluer le poids des associations existantes de la société civile. Va-elle gagner le pari ? Très tôt pour juger.
On assiste donc à un gouvernement qui viole les lois et les règles démocratiques, et des leaders des organisations de la société civile, bien qu’ils font un bon travail dans l’ensemble, s’adonnent à violer le principe de l’apolitisme par des petit jeux politiques. Rien ne justifie ce comportement, même à l’absence d’une opposition politique, les organisations de la société civile doivent rester politiquement non-partisanes, parce que, comme disent les anglais « Two wrongs don’t make a right ».
Conséquences de la politisation des associations de la société civile
Après la Nyakurization des organisations existantes de la société civile, la mouvance gouvernementale aura la nouvelle plateforme comme une organisation satellite, et l’opposition gardera l’ancienne plateforme. Tout cela se fait au dépend des objectifs que ces associations se sont assignés comme le combat pour le respect des droits humains, la justice pour tout le monde, l’amélioration de la démocratie …etc. qui en souffriront. Sans la confiance de la population, le combat engagé par ces organisations risque d’être encore très long et plus difficile. Il incombe donc à ces associations de revenir au respect des règles du jeu pour regagner la confiance de toute la population, et éviter une polarisation des burundais ; ce qui risque de produire des effets négatifs, contraires à ceux qu’on s’attendait. Ce qui est sûr, dans une telle logique, le perdant ne sera pas le parti au pouvoir.
On peut donc en conclure qu’en plus des divisions ethniques et régionales qui ont endeuillé le Burundi, les leaders des associations de la société civile contribuent beaucoup à accentuer la méfiance de la population envers ces associations, par les violations des règles de jeu qu’ils ont volontairement chois, mais qu’ils ne veulent pas respecter.