Sur les réseaux sociaux, les compatriotes du Prince Louis Rwagasore, aussi bien des officiels que de simples citoyens, ne tournent pas le dos à la tendance générale du désir de s’affirmer et surtout de s’exposer aux autres, en continu, tel un torrent qu’aucune digue ne peut contenir. Comme si le fait d’y déverser son ressenti sans filtre était une marque d’authenticité donnant un sens à sa vie.
A l’ère de la dictature de l’instant, pas de place pour la nuance qui passe par le bouton pause de la réflexion. La Toile s’apparente à une fabrique où l’émotion en reine du logis s’active pour produire des jugements hâtifs. Certains sont des piques aussi imprévisibles que saugrenues, d’autres sont si virulentes qu’elles valent une mort sociale à leurs cibles.
L’ambition, sur les réseaux sociaux, n’est alors pas de toucher les cœurs et les esprits, mais d’occuper l’espace, capter l’attention sur soi. Ce que l’on pense, le moindre mouvement d’humeur devient une chose à dire. Le doute devient un ‘’gros mot’’ sur les réseaux sociaux tant il se trouve en terre étrangère. Et pour cause, ce moteur de l’esprit critique pourrait murmurer à l’oreille que le silence est plus beau. Ce qui importe est d’être connu, reconnu.
Etre populaire sur les réseaux sociaux ne suffit plus à un petit cercle. Seul importe à ses membres le statut de mâle alpha avec sa meute, celui de gourou exerçant une fascination autour de sa personne. Le politiquement correct, en vogue sous d’autres cieux, parlera plutôt d’influenceur. Ils auront l’intelligence de niveler l’autorité en se présentant comme un compagnon de route. Leur message est une autre bonne nouvelle sur Terre. Après celle du « Christ est ressuscité », voici venue celle du maître à son esclave consentant : « Suis-moi car je sais quel chemin prendre, que faire, quoi aimer ou détester, quelle opinion avoir sur ce dont tout le monde parle. »
L’influenceur s’érige ainsi en modèle à suivre pour être parvenu, assure-t-il, à lever toutes les barrières à l’affirmation de soi. Sa méthode pour forger la ‘’meilleure version’’ de lui-même a une prétention universelle.
La promesse d’être vrai tout en étant codifié réalise une nouvelle forme d’asservissement. De quoi faire retourner le philosophe Emmanuel Kant dans sa tombe, lui qui a légué à la postérité la devise mémorable des Lumières : « Aie le courage de te servir de ton propre entendement. » Le conseil de Nietzsche d’être le maître et le sculpteur de soi-même n’a pas pris une ride.
Guibert Mbonimpa