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Entreprises publiques et para-étatiques : la suppression des gratifications n’a rien sauvé

05/05/2013 Commentaires fermés sur Entreprises publiques et para-étatiques : la suppression des gratifications n’a rien sauvé

Les travailleurs des entreprises étatiques et à économie mixte déchantent. Ils n’ont pas reçu les traditionnelles primes de rendement ou gratifications à la fin de l’exercice 2011. La Présidence de la République qui a ordonné cette mesure l’explique par la mauvaise conjoncture économique. Mais cette décision risque de déclencher la démotivation chez les employés, et partant de mauvais rendements.

<doc2630|left>La décision vient du Chef de cabinet civil du Président de la République, Alain Guillaume Bunyoni. Le 23 décembre 2011, il écrit, au Premier et au Deuxième vice-président avec pour objet : « Suspension temporaire de distribution des gratifications, de tantièmes ou super jetons et de primes de bilan dans les entreprises publiques. » Et il justifie la décision par la mauvaise conjoncture économique que traverse le pays suite aux perturbations financières internationales. Dans une autre correspondance, le 30 décembre 2011, Alain Guillaume Bunyoni ajoute cette mesures concerne aussi les entreprises à économie mixte ou à participation publique.

Le 28 décembre 2011, Gabriel Toyi, Chef de cabinet du Deuxième vice-président de la République transmet le message à tous les ministres. A cet effet, il insiste en leur demandant de le répercuter la directive à tous les responsables des entreprises publiques, à économie mixte ou à participation publique sous leur tutelle : cette instruction doit être «  de la plus stricte application jusqu’à nouvel ordre. »

Mais la mesure est intervenue au moment où les employés des banques avaient déjà perçu leurs gratifications. Ceux de la Société d’Assurance du Burundi (SOCABU) et de certaines autres entreprises avaient également empoché l’argent. Dans d’autres entreprises, on leur avait annoncé que l’argent allait leur être payé.

Notons que les fonctionnaires de l’Etat ne reçoivent pas ces gratifications. Même s’il est arrivé qu’un chef d’Etat les décrète à la fin de l’année.  

« Le rendement des entreprises devra baisser »

Tharcisse Gahungu, président de la Confédération des syndicats du Burundi (COSYBU) affirme avoir appris avec consternation cette mesure de la Présidence : « Elle vient décourager les travailleurs de ces entreprises parce qu’il ne faut jamais niveler par le bas. » Pour M. Gahungu, ceux qui ont bien travaillé et ceux qui ont mal travaillé se retrouvent dans le même sac. Or, selon ce leader syndicaliste, chaque entreprise a sa situation économique propre au regard de ses résultats. Aussi souhaite-t-il que les travailleurs qui ont fait entrer beaucoup d’argent dans les entreprises soient gratifiés  pour les encourager à produire davantage.

Le président de la COSYBU estime, par ailleurs, qu’une décision pareille devait être prise par le conseil d’administration de chaque entreprise et non au niveau du cabinet de la Présidence de la République : « Les décisions du conseil d’administration doivent être validées par le ministre de tutelle de l’entreprise. C’est donc au sein des ministères dont relèvent les entreprises que cette décision aurait due être prise. »
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{ Questions de terminologie
Selon les sources syndicales, les gratifications sont données au personnel à la fin de l’année. Tandis que les super jetons sont réservés aux membres du conseil d’administration. A la fin de chaque exercice, on fait un bilan dans les entreprises. S’il est positif, les actionnaires décident comment le répartir ; mais aussi, généralement, on donne une prime au personnel. C’est ce qu’on appelle les primes de bilan. Ces dernières ne peuvent pas excéder un montant équivalent à trois mois de salaire, selon la situation de chaque entreprise. Pour les administrateurs, on donne ce qu’on appelle tantièmes.}
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<doc2631|right>Selon Tharcisse Gahungu, dans un pays comme le Burundi où les salaires sont très bas, , les travailleurs savaient sûrement qu’ils allaient recevoir cette gratification : « Il y en a d’autres qui l’avaient déjà reçue avant que cette mesure suspensive injuste ne soit annoncée. » Pour M. Gahungu, certains travailleurs avaient emprunté cet argent soit pour acheter des habits ou d’autres cadeaux pour leurs enfants et épouses, et pour fêter Noël et le nouvel an ou même pour d’autres projets. Car ils attendaient ces gratifications.

Suite à cette mesure, le président de la COSYBU craint que le rendement des entreprises ne baisse alors qu’on a, aujourd’hui, besoin, plus que jamais, d’un meilleur rendement pour faire face à la conjoncture économique qui va de mal en pis. « Il risque aussi d’y avoir une situation d’incompréhension entre la direction et le personnel d’une part, et entre les ministères et les directions de ces entreprises, d’autre part», avertit-il.

Au nom de la COSYBU, il demande à l’autorité à l’origine de cette mesure qui lèse les entreprises et les travailleurs de revenir immédiatement sur sa décision : « Un travailleur mécontent rendra un mauvais travail.»

« Il ne me remboursera pas ! »

« J’avais prêté 350 mille Fbu à un ami qui travaille dans une entreprise. Il m’avait rassuré qu’avant la fin de l’année il me rembourserait cet argent », se lamente N. B., habitant la commune urbaine de Musaga. Il avait projeté de passer de très bons moments avec sa famille, mais a été désillusionné. Le 29 décembre 2010 à midi, il reçoit cet appel téléphonique de son emprunteur: « Mon ami, excuse-moi, je ne rembourserai pas ton argent, le gouvernement a suspendu les gratifications. » Nestor a senti comme un coup de poignard dans le dos. Il n’avait rien à expliquer à sa famille à la dernière minute.

Une veuve qui travaille à la Regideso pleure encore. Elle avait planifié d’ouvrir une cafeteria à Kanyosha où elle habite, pour subvenir à ses besoins. Et dans cette perspective, elle avait contracté un crédit bancaire pour ajouter à ces gratifications ; histoire de constituer un capital et ainsi améliorer sa situation: « Avec mon salaire, je ne parviens pas à joindre les deux bouts du mois, parce que je suis seule à nourrir ma famille. » Aujourd’hui, elle voit qu’elle va tout perdre alors qu’elle espérait gagner beaucoup. 

Ainsi, à la Regideso, les travailleurs n’ont pas été primés. Le président du Syndicat des travailleurs de cette société indique qu’une délégation a été voir le Chef de cabinet civil du Président de la République pour lui demander de revenir sur sa décision. Mais la réponse reçue est loin d’être satisfaisante. 

<doc2632|left>Un ordre sans effet

« Nous avons eu nos gratifications avant Noël», se réjouit A.N, une employée d’une société paraétatique ayant de siège dans la capitale. Pour sa part, le patron de la même société indique que l’octroi des gratifications à son personnel a été légal : « Nous pensons qu’on ne nous exigera pas de ramener l’argent qui a été donné. Si jamais le gouvernement décide de le faire, nous sommes prêts à négocier.» Et de reprocher au gouvernement d’avoir pris la mesure très tardivement : «La mesure est venue après le 25 décembre, or nous intéressons nos employés avant les fêtes de fin d’année. »

Pour Audace Bukuru, Directeur général de la SOSUMO (Société Sucrière de Moso), c’est aussi injuste que des gens ayant bien travaillé ne soient pas encouragés : « Le règlement d’ordre intérieur de la Sosumo, en vigueur depuis 2008, autorise l’octroi des gratifications et d’autres primes. A la Sosumo, nous avons accordé ces avantages à la fin du mois de mai 2011. Car notre exercice comptable commence le 1er juillet et se termine le 31 mai.» A propos des informations selon lesquelles la Sosumo aurait octroyé des montants trop élevés de gratifications, Audace Bukuru nie catégoriquement : « Tout dépend du résultat de l’exercice et nous ne pouvons aller au-delà des trois mois mentionnés dans le règlement. »

De même, la Régie nationale des postes (RNP) a accordé des gratifications, le 31 mai 2010. Mais, c’est sous l’appellation d’ « avance annuelle remboursable en 2012», indique une source proche de la direction de l’entreprise.
La mesure n’a donc pas frappé toutes les entreprises publiques et para-étatiques. Certains employeurs avaient donné ces gratifications à leurs travailleurs avant même la fin de l’année. C’est généralement le cas des banques qui payent leurs employés avant la fête de Noël.

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