Droit ou obligation civique ? La polémique enfle entre les intellectuels autour de l’enrôlement des électeurs. Même parmi les citoyens lambda, le débat est houleux. Et entre temps, quatre personnes sont emprisonnées dans les cachots de la zone Mutambu en province de Bujumbura pour ne pas s’être fait enrôler. Pour certains, c’est une violation des droits de l’Homme. Pour d’autres, la loi a été respectée. Qui croire ?
Depuis quelques jours, quatre personnes sont incarcérées dans les cachots de la zone Mutambu. D’après des sources sur place, ces personnes ne se sont pas faites enrôler pour les élections de 2025.
L’administratrice de la commune Mutambu, Lydwine Habonimana, ne nie pas que ces gens sont emprisonnés. Toutefois, elle botte en touche lorsqu’il s’agit du motif de leur emprisonnement. « C’est difficile de répondre à cette question. Quelqu’un peut être interpellé pour diverses raisons. Pour avoir la vérité, il faut discuter avec elles. »
Déo Ciza, chef de la colline Nyankere, localité d’origine des détenus, n’y va pas par le dos de la cuillère. Il charge l’administratrice. « En tant que chef de colline, je n’ai fait qu’exécuter les ordres. L’ordre d’arrêter et d’emprisonner ces citoyens émanait directement de l’administratrice. »
Selon lui, il ne disposait d’aucun pouvoir d’arrêter ou d’emprisonner qui que ce soit de sa propre initiative. Il ajoute que l’administratrice aurait même exigé que chaque habitant présente un récépissé d’enrôlement lors des contrôles. Toutefois, Déo Ciza affirme que sur les quatre personnes arrêtées, seules deux ont été incarcérées, les autres ayant été relâchées en cours de route.
Ces cas rappellent le cas de Simon Bizimana, un cultivateur de la colline Gisoro, zone Twinkwavu en commune Cendajuru (Cankuzo). Fidèle à ses convictions religieuses, il a refusé de s’inscrire pour le vote du référendum de mai 2018. Arrêté et emprisonné, il a succombé le 18 mars 2018 à l’hôpital provincial des suites « d’actes de torture ».
Polémiques
S’exprimant sur Indundi TV, le politologue et professeur d’universités, Denis Banshimiyubusa fait savoir que ces décisions prises par les différentes autorités du pays, notamment les autorités locales, les ministres et d’autres cadres ministériels, ne semblent pas avoir de fondement légal solide, en particulier au regard de la Constitution burundaise. D’après lui, l’article 87 de la Constitution stipule clairement que « le droit de vote est garanti ». Ce qui signifie, selon lui, que le vote est un droit et non une obligation. « La Constitution est formelle sur ce point. »
Or, poursuit-il, les autorités semblent vouloir inverser cette disposition en présentant le vote comme un devoir civique, voire une obligation, allant jusqu’à menacer de sanctions ceux qui ne s’inscriront pas sur les listes électorales. Et de se poser la question. Sur quelle base légale peuvent-elles justifier de telles sanctions et de quelle manière comptent-elles les appliquer ?
Denis Banshimiyubusa trouve surprenant d’entendre les hautes autorités, notamment le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) affirmer que le vote, bien qu’étant un droit, est aussi un devoir civique.
La première explication du politologue est que les Burundais n’ont pas l’habitude de respecter la loi et ils veulent prendre des raccourcis en utilisant la force au lieu de sensibiliser la population aux enjeux du vote et à l’importance de participer à la vie démocratique.
Pour le politologue, les élections organisées dans un tel contexte ne peuvent pas donner lieu à des mandats légitimes. « Pour qu’une élection soit démocratique, elle doit se dérouler dans un climat de liberté et de respect des droits de l’Homme. Or, la contrainte et la coercition ne sont pas compatibles avec ces principes. On peut légitimement se demander si les personnes contraintes à s’inscrire sur les listes électorales iront effectivement voter et si leur vote sera libre et sincère. Forcer les citoyens à participer à un scrutin ne fait qu’affaiblir la légitimité des institutions et des élus. Il serait bien plus judicieux de sensibiliser la population aux enjeux du vote et à l’importance de participer à la vie démocratique. »
Le porte-parole de la Ceni est d’un autre avis
Réagissant aux propos de Denis Banshimiyubusa, François Bizimana porte-parole de la Ceni, fait savoir que ce politologue a fait une lecture qui n’est pas correcte au regard de la Constitution de la république du Burundi adoptée par voie référendaire en 2018.
Il évoque l’article 70 de cette Constitution qui stipule que : « Tous les citoyens sont tenus de s’acquitter de leurs obligations civiques et se faire enrôler ». « N’est-il pas une obligation civique ? Où est la violation du droit d’un citoyen ? », s’interroge-t-il tout en martelant que « se faire enrôler reste une obligation »
Pour le porte-parole de la Ceni, la mise en application des textes adoptés revient au gouvernement, et partant, insiste-t-il, il appartient à ce même gouvernement d’adopter des mesures pour que les réformes et les lois soient mises en application.
« Imaginez-vous un jour si un citoyen x qui a participé à l’adoption de cette Constitution venait à être distrait. A la fin de la période d’enrôlement, il se réveille et il constate qu’il ne s’est pas fait enrôler. Il indexera le gouvernement à qui il avait confié ses destinées », fait observer François Bizimana.
Le gouvernement, conclut-il, était dans l’obligation de mettre en place toutes les mesures pour que cet article soit opérationnalisé.
Dès le début de l’enrôlement des électeurs, le Pr Stef Vandeginste, constitutionnaliste belge et chercheur à l’Université d’Anvers, avait fait savoir qu’il est bien clair qu’à l’heure actuelle, étant donné que le Code électoral du Burundi n’oblige personne à aller voter, on ne peut pas a fortiori obliger les citoyens à s’enrôler pour des élections auxquelles ils ne sont pas obligés à participer.
Un autre constitutionaliste qui a requis l’anonymat renchérit : « L´article 70 de la Constitution parle des obligations civiques … mais contrairement par exemple à l’obligation de payer des impôts, à respecter le Code de la route, à ne pas maltraiter ses enfants, … l’enrôlement ne constitue pas une obligation, ni aux termes de la Constitution, ni aux termes du Code électoral ou d’une autre disposition légale. »
Et d’ajouter : « L’Etat fait bien d’encourager la participation aux élections et donc l’enrôlement, … mais obliger et sanctionner les citoyens, par exemple interdire l’accès au marché ou emprisonner les gens est une aberration. »
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