Depuis le kidnapping de Jean-Marie Vianney Badogomba, le 19 septembre dernier, sa famille ne sait plus à quel saint se vouer. Les proches demandent à la justice de faire correctement son travail et d’interroger les suspects cités dans ce dossier. D’autant plus que l’un d’entre eux a été arrêté, transféré à la prison de Mpimba, puis aurait été relâché sans procès.
« Nous voulons savoir ce qui lui est arrivé et les motifs de son enlèvement », indique un membre de la famille de Jean-Marie Vianney Badogomba. Ce père de 3 enfants, la quarantaine et résident à Kanyosha en mairie de Bujumbura, a été enlevé le 19 septembre 2021. D’après sa famille, il a été kidnappé alors qu’il arrivait au niveau de l’Avenue de l’Université dans la zone Bwiza, commune Mukaza en mairie de Bujumbura. « Une autre voiture l’a heurté à l’arrière. Lorsqu’il est sorti de son véhicule pour voir ce qui venait de se passer, il a été jeté dans cette voiture puis l’autre voiture est partie en trombe».
Selon un membre de la famille du porté disparu, l’épouse de Badogomba a téléphoné les proches le lendemain pour leur dire que son mari n’est pas rentré. « Nous avons cherché dans tous les cachots en vain. Par après, nous avons su que son véhicule se trouve à la police spéciale de roulage. Ils nous ont dit que la voiture gênait la circulation et ils ont été obligés de le déplacer. Même le téléphone de Vianney se trouvait toujours dans la voiture », confie un autre membre de la famille.
Le guet-apens
Avec la permission de la police judiciaire, la famille s’est procurée, auprès des compagnies de téléphonie, la liste des derniers appels entrants et sortants de Badogomba. Le dernier appel était celui d’un certain Jean Bosco Nibitegeka alias Bujiginya. Ce dernier a été appelé par un membre de la famille et il a confirmé qu’il partageait un verre avec Jean-Marie Vianney Badogomba au Bar « Kumpene » situé à l’Avenue Muyinga, zone Rohero de la commune Mukaza. « On le connaît dans la famille. Ils étudiaient ensemble au Lycée de Rubanga. Il nous a dit qu’ils se sont séparés à 16h. Nous avons continué à chercher sans trouver aucune piste. », confie un proche de Badogomba. Selon la famille, elle ne soupçonnait pas Bujiginya d’être impliqué dans l’enlèvement, mais la dernière piste s’arrêtait à lui.
Bujiginya est arrêté le 21 septembre 2021 au centre-ville de Bujumbura.
Surprise. En consultant le téléphone de Bujiginya, les enquêteurs découvrent des messages qu’il a échangé, lorsqu’il était avec Badogomba, avec une autre personne utilisant un numéro de Lumitel. Selon des témoignages, le numéro appartient à un certain Onesphore Ndayishimiye, un adjudant-Major de l’armée burundaise. « On a été surpris. Il n’avait pas effacé les messages».
Citons quelques messages :
« Souvenez-vous qu’il a une voiture, il faut venir avec un chauffeur »
« Ok, donne-moi la plaque d’immatriculation »
« I 1556 a Probox »
« Elle est de quelle couleur ?»
« Blanc »
« Ok je vais passer tout près de vous », « Je vois I 1566 A, vérifie bien si tu ne t’es pas trompé »
« C’est vrai. Elle se trouve derrière une double cabine »
« Ok Komera. Nous sommes tout près du stade et nous voyons la voiture. S’il décide de partir, regarde bien et indique-nous la direction qu’il va prendre »
« Il est parti ? »
« Non, on commande une autre bouteille »
« S’il décide de partir, tu nous signales »
« Et le chauffeur ? Il faut rester tout près »
« Le chef a dit que nous allons laisser sa voiture dans la rue »
« Nous allons bientôt terminer »
« Je suis en train de suivre tout »
« Il va partir »
« OK »
« Approche »
« Nous voulons que la justice fasse son travail »
Jean Bosco Nibitegeka a été déféré devant le parquet puis transféré à la prison de Mpimba. L’autre interlocuteur n’a pas été inquiété. Selon des sources au parquet de Mukaza, le dossier du prévenu Jean Bosco Nibitegeka a été programmé trois fois pour la chambre de conseil, mais ce prévenu n’a jamais comparu.
Même les avocats de la famille de Badogomba ont envoyé une correspondance, le 26 novembre 2021, au procureur de la République en commune urbaine de Mukaza pour solliciter son intervention dans le dossier RMP 7488/NDAS : Ministère Public contre Nibitegeka Jean-Bosco et Ndayishimiye Onesphore afin que les prévenus cités puissent comparaître en chambre de conseil. « Cette situation est alarmante et choquante pour la famille et ses proches ; et ne savent quoi faire pour prendre des nouvelles de Jean Marie Vianney Badogomba et pire encore les présumés auteurs de son enlèvement ne comparaissent pas en chambre de conseil, depuis bientôt deux mois». Et d’ajouter : « Nous nous interrogeons aussi sur la situation carcérale du prévenu Nibitegeka Jean Bosco qui n’a jamais comparu devant le juge alors qu’il est à la disposition du parquet. »
Depuis rien n’a été fait. D’après les proches, ils ont même écrit au président de la République pour solliciter son aide, mais ils n’ont pas encore eu une réponse. De plus, ils ont approché la Commission nationale indépendante des droits l’homme (CNIDH), aucune réponse là aussi. « Nous voulons que les présumés coupables comparaissent car ils sont connus. Aujourd’hui, on se demande toujours pourquoi il a été enlevé. Il ne faisait pas de la politique. Il ne faisait pas aussi des affaires de gros sous qui lui auraient causé des ennuis. C’est le flou total et c’est traumatisant». D’après des sources concordantes, Jean Bosco Nibitegeka alias Bujiginya aurait été relâché. Iwacu a essayé de le joindre à maintes reprises par téléphone, mais il était éteint.