Vendredi 22 novembre 2024

Économie

Endettement public : Risque d’une banqueroute?

16/12/2019 Commentaires fermés sur Endettement public : Risque d’une banqueroute?
Endettement public : Risque d’une banqueroute?
Gabriel Rufyiri : "Il y a risque grave de tomber dans la banqueroute si nous ne sommes pas déjà dedans."

La dette publique ne cesse de s’accroître, selon le rapport 2018 de la Banque de la République du Burundi (BRB). Une situation inquiétante selon les économistes. L’Olucome n’hésite pas à parler d’un risque d’une banqueroute.

« La dette publique a augmenté de 13,5%, passant de 2.426,1 à 2.753,5 milliards de BIF. Cet accroissement a porté aussi bien sur la dette intérieure (+17,6%) que sur la dette extérieure (+4,8%). Rapportée au PIB, la dette publique totale représente 45,8% en 2018, contre 43,6% en 2017 », a écrit la BRB dans son rapport annuel, exercice 2018.

Selon la Banque centrale, l’encours de la dette intérieure s’est accru de 17,6%, passant de 1.647,8 à 1.937,8 milliards BIF. « Cette augmentation est particulièrement liée à l’accroissement des engagements de l’Etat envers les banques commerciales, soit 277,06 milliards de BIF ». Par contre, poursuit-elle, les engagements de l’Etat envers la Banque Centrale ont baissé de 15,09 milliards de BIF.

L’encours des titres du Trésor a augmenté de 33,4%, passant de 829,8 à 1.106,8 de BIF. Cet accroissement a porté sur les obligations du Trésor, soit 681,4 milliards de BIF tandis que l’encours des bons du Trésor ont baissé de 404,3 milliards de BIF.

Quant à la dette extérieure, elle s’est accrue de 4,8%, passant de 778.292,4 à 815.659,1 milliards de BIF d’une année à l’autre. « Cette augmentation a résulté des tirages sur emprunts extérieurs de 41,2 milliards de BIF et des plus-values de réévaluation de 8,05 milliards de BIF qui ont contrebalancé l’amortissement de la dette en principal de 11.9 milliards de BIF ».

D’après la BRB, les nouveaux tirages ont porté sur la dette directe provenant de l’OPEP (11,6 milliards de BIF), de la BADEA (7,4 milliards de BIF), d’EXIM BANK (3,3 milliards de BIF), du Fonds Koweït (12,4 milliards de BIF) et du Fonds saoudien (6,6 milliards de BIF). « Ces financements ont été orientés vers le secteur routier (30,5 milliards de BIF), les projets de développement agricole et d’élevage (6,8 milliards de BIF) et les projets divers, essentiellement dans le domaine des mines et énergies (3,9 milliards de BIF) ». Et d’ajouter que la dette extérieure a principalement financé les équipements publics (47,8%), les projets divers (26,4%), les secteurs productifs (18,9%) et les secteurs sociaux (6,9%).

Une situation catastrophique

« Le Burundi est entre le marteau et l’enclume en matière économique parce que la situation de la dette actuelle est très préoccupante », relève Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome. Il fait savoir que son organisation avait déjà tiré la sonnette en 2016 lorsque la dette oscillait autour de 700 milliards de BIF. « Elle continue de s’accroître d’année en année d’une façon extraordinaire. Cette année, la dette vient d’atteindre un record jamais atteint dans l’histoire du Burundi ».

Selon Gabriel Rufyiri, les recettes publiques qui tournent autour de 800 milliards de BIF ne peuvent pas financer le paiement des salaires et les services que le gouvernement est appelé à offrir à ses citoyens. « Tout cela prouve que nous sommes dans une situation gravissime. Cette dette de 2753 milliards de BIF est presque le double du budget national car les prévisions budgétaires oscillent autour de 1500 milliards de BIF ».

Des conséquences énormes….

Prosper Niyoboke : « La montée en flèche de l’endettement intérieur montre que le secteur privé est en souffrance. »

D’après Prosper Niyoboke, enseignant à l’Université du Lac Tanganyika, cette augmentation de la dette intérieure est causée, d’une part, par la mauvaise affectation des ressources publiques. D’autre part, le manque de rigueur dans la gestion du budget et des finances publiques explique en grande partie l’accroissement démesuré de la dette. « La montée en flèche de l’endettement intérieur montre que le secteur privé est en souffrance ».

Selon lui, d’un côté, l’Etat ne parvient pas à payer tous les biens et services consommés. De l’autre, il ne rembourse pas en totalité les prêts consentis dans le secteur financier. De ce fait, les factures impayées entravent les activités des entreprises fournisseuses. Faute de moyens financiers suffisants, certaines ne parviennent pas à s’approvisionner en matières premières. Ce qui entraîne la baisse de la production et de revenus. Souvent, elles sont contraintes à diminuer le personnel.

D’après cet économiste, ces entreprises sont également sous pression de leurs prêteurs parce qu’elles peinent à rembourser les prêts contractés. « Pour celles qui ne parviennent pas à tenir le coup, elles risquent de fermer. Ainsi, leurs employés perdront l’emploi ou se retrouveront au chômage. Du coup, il y a risque du ralentissement de l’activité économique et la réduction des recettes publiques s’en suivra ».

Pour Gabriel Rufyiri, ces dettes sont indues surtout qu’elles ne vont pas générer des intérêts. « Nous ne devrons pas vivre au-dessus de nos moyens ». Il relève plusieurs conséquences sur l’économie. Selon lui, l’économie burundaise ne peut pas se relever avec une situation de dette à ce niveau. Il indique que les importations risquent de s’arrêter, aucun projet important au niveau social ne peut être mené que ce soit au niveau de l’éducation, de la santé, de la culture, etc. « Il y a risque grave de tomber dans la banqueroute si nous ne sommes pas déjà dedans. Dans certains pays, c’est même une infraction grave pour les gestionnaires de l’Etat ».

….mais aussi des pistes de solutions

« La stabilisation politique est la base de tout avec bien-sûr la démocratisation du pays. Il faut que les partenaires du Burundi aient confiance en l’actuel gouvernement. Il faut également rassurer les investisseurs étrangers pour qu’ils amènent des devises », propose Gabriel Rufyiri. De plus, ajoute-t-il, il faut investir dans le secteur de l’agriculture surtout dans les cultures industrielles comme le thé, le café et le coton mais aussi dans le secteur de l’énergie et mines.

Pour lui, des mesures d’encouragement pour le secteur privé s’imposent. « L’endettement intérieur ou extérieur ou la dévaluation de la monnaie sont des mesures suicidaires qui hypothèquent malheureusement l’avenir des générations futures ». Pour lui, il faut rompre avec ce genre de raccourcis mais plutôt recourir à l’investissement afin d’accroître la production.

« Il y a plusieurs pistes de solutions mais comme nos politiciens ont la tête ailleurs, personne ne fait aucun effort pour les exploiter. La situation est devenue catastrophique car les corrompus ont pris le devant».

Pour s’en sortir, M. Niyoboke suggère à l’Etat d’identifier et supprimer toutes charges improductives alourdissant le budget de l’Etat. Il demande aussi la création d’un fonds de la dette publique pouvant rembourser régulièrement les arriérés de la dette.

Fabrice Manirakiza
Pierre Claver Banyankiye

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