Aide alimentaire, soins de santé, adduction d’eau potable, réhabilitation des ponts, construction des écoles… Les militaires burundais déployés en Somalie dans le cadre de l’Atmis sont très appréciés. Un journaliste d’Iwacu s’est rendu en Somalie. Reportage.
Jowhar Air Field. C’est là que se trouve l’Etat-major du contingent burundais faisant partie de la mission de transition de l’Union africaine en Somalie (Atmis). C’est au Nord-est de la Somalie, à 120 km de Mogadiscio, la capitale, dans l’Etat fédéré de Hirshabelle. Un pays presque désertique, pas de végétation, une plaine à perte de vue. Pas de montagnes, de collines. Tout est plat. Non loin de là, un site de déplacés somaliens.
Il fait très chaud. À première vue, c’est la pauvreté qui règne. La majorité des maisonnettes sont faites d’acacias que l’on appelle chez nous (« umugunguma ». Les huttes sont couvertes de tentes ou de vieux tissus. D’autres sont faites de tôles totalement rouillées, usées. La totalité des femmes et jeunes filles portent le voile intégral. La majorité des enfants présentent des signes de malnutrition.
Le kwashiorkor est bien là, conséquence de la famine qui fait rage dans ce pays. Une situation qui ne laisse pas indifférents les militaires burundais de l’Atmis.
« Chaque jeudi, mes troupes ont décidé de faire le jeûne pour mettre de côté de la nourriture pour assister ces Somaliens. Ils sont vraiment dans le besoin. Et à midi, on leur donne des aliments cuits, chaque famille reçoit aussi un kit qui lui permet de tenir au moins quelques jours », confie Général de Brigade Elie Ndizigiye, commandant du 14ème contingent burundais.
Le moment tant attendu
Nous sommes, mardi 12 octobre 2022. Il est 14h. L’heure de la distribution d’aliments cuits est très attendue. Sous un soleil de plomb, des femmes, des enfants, quelques hommes sortent du camp de déplacés. Casseroles en mains, ils traversent la route séparant leur site et le camp militaire. Ils s’approchent en courant le long des fils barbelés et des gros sacs de sables qui servent de protection à l’Etat-major du 14ème contingent burundais.
Les Somaliens courent et une personne non avisée et qui ne parle pas leur langue croirait à que c’est une révolte. Ils se bousculent, se donnent des coups de poing. Des enfants tentent de se frayer un chemin pour se placer devant, en vain. C’est le sauve-qui-peut. Dans leur langue, ils essaient d’attirer la sympathie des militaires, … La scène est vraiment triste.
Quelques militaires burundais sortent du camp. Ils portent la tenue militaire, avec gilets anti-balles et casques, ils tiennent à deux de gros casseroles remplies de riz, du haricot, etc. C’est la ruée. Des enfants crient.
Ils montrent leurs ventres creux et tentent de passer en dessous des fils barbelés dans l’espoir d’être servis les premiers. D’autres militaires burundais essaient de calmer la foule. Parmi les Somaliens quelques jeunes garçons et filles sont choisis pour servir la foule. Un travail pas facile qui va prendre une trentaine de minutes.
Après cette distribution, ils rebroussent chemin vers leur site. Ce geste est très apprécié par ces déplacés somaliens.
Et selon Colonel Ildefonse Kaburundi, chef CIMIC (Civilian military coordination), tous les deux mois et demi, les Somaliens les plus démunis reçoivent une assistance alimentaire en nature faite du riz, du haricot, du sucre, etc.
Les soins de santé et le bien-être
A côté de l’aide alimentaire, ces militaires burundais donnent des soins à ces populations. Lieutenant Docteur Evode Ndayegamiye indique qu’à Jowhar Air Field, en moyenne 20 patients Somaliens sont accueillis par jour. « A côté des consultations, des examens dans un laboratoire bien équipé, on leur donne des médicaments », précise-t-il. Il signale que les pathologies couramment traitées sont les maladies dermatologiques, celles du système respiratoire (pour les enfants) ou digestif, les maladies diarrhéiques, les parasitoses intestinales (pour les enfants et les adultes). «Très souvent, on a aussi à affaire à des maladies liées à la malnutrition avec des anémies. Aussi, des cas de maladies chroniques comme le diabète, hypertension sont aussi répertoriés ainsi que des morsures des scorpions, des serpents et des chiens. »
Dans cette structure sanitaire, les militaires burundais offrent des services curatifs, les consultations médicales, les petites chirurgies, la radiologie et les échographies.
Mais des défis se posent. M.Ndayegamiye évoque principalement le manque de matériel. Ce qui fait que certains cas doivent être transférés dans d’autres hôpitaux comme à Mogadiscio. A cause de la famine, il y a des rechutes : « Sans ressources pour manger convenablement, le système immunitaire de la majorité des habitants de ce site Towfik est faible. »
D’autres actions humanitaires sont à l’actif des militaires burundais en Somalie. Colonel Kaburundi fait état de six robinets construits à Towfik, cinq à Eleman et trois autres à Mahaday. « A côté de ces robinets, on donne à ces déplacés 95 mille litres d’eau à boire par semaine », Un marché et une école y ont aussi été construits à l’initiative des Burundais. « Cette école possède quatre salles de classe et compte 80 élèves et quatre enseignants payés par l’Etat Somalien. Seulement, elle ne fonctionne pas convenablement par manque du matériel scolaire. »
Des actions salutaires
« Nous sommes vraiment satisfaits de l’assistance des militaires burundais. Ils sont devenus nos frères, nos pères. A côté de notre sécurité, ils se soucient de notre bien-être, de notre santé », témoigne une Somalienne du camp de déplacés de Towfik. Elle souligne que grâce à l’installation des robinets d’eau dans leur site, les déplacés trouvent facilement de l’eau à boire, à donner à leur bétail. Un autre Somalien, la soixantaine apprécie le fait que les militaires burundais leur donnent de quoi manger : « En tout cas, sans leur intervention, nos enfants seraient déjà morts. » Mieux, d’après elle, lorsque la base de Jowhar Air Field a été construite, certains Somaliens y ont trouvé du travail. Ainsi, affirme-t-il, ils ont, à leur tour, pu se construire des maisons un peu décentes ou subvenir à d’autres besoins.
De son côté, Mohamed, un autre déplacé, il indique qu’avant l’installation des militaires burundais dans cette zone, la situation était critique : « On n’avait pas où se faire soigner. Une fois malade, on attendait impuissamment la mort. Mais aujourd’hui, ils sont là pour nous sécuriser et nous soigner. »
La situation sécuritaire améliorée mais la menace terroriste persiste…
« Globalement, il y a un léger mieux côté sécuritaire dans notre secteur comparativement aux années précédentes. Car, à cette époque, les attaques terroristes du mouvement Al-Chabab étaient très fréquentes, mais aujourd’hui, ses actions terroristes ont sensiblement diminué », affirme Général de Brigade Elie Ndizigiye, commandant du 14ème contingent.
La preuve, au mois de mars, avril et mai, ces militaires ont sécurisé les élections législatives et sénatoriales dans cet Etat. « Et elles se sont déroulées sans aucun incident sécuritaire », se félicite-t-il.
Néanmoins, reconnaît-il, ce mouvement terroriste existe encore dans son secteur. En effet, explique-t-il, c’est là qu’on trouve quelques boisements et qu’on pratique des activités agro-pastorales. « Ces terroristes peuvent trouver des cachettes et de la nourriture facilement. »
Le Général de Brigade Elie Ndizigiye indique que ces terroristes mènent encore des attaques, tuent la population et tendent des pièges sur les axes routiers à l’aide des mines et autres engins explosifs fabriqués localement.
Il assure, cependant, que les troupes sont à l’œuvre pour mener à bien leur mission de sécuriser la population et les nouvelles institutions. Ainsi, des formations en déminage sont faites. « Lors du déplacement de nos troupes, on doit s’assurer que les routes ne sont pas minées. En cas de détection d’un piège, nous avons des démineurs dans nos rangs». Aujourd’hui, les opérations sont préparées et menées conjointement avec les militaires Somaliens, d’après l’officier burundais.
Les défis sur terrain
Entre autres principaux défis, Général de Brigade Ndizigiye cite d’abord la barrière linguistique : « Ce n’est pas facile de s’entendre avec ces Somaliens parce qu’on ne maîtrise pas leur langue. Ce qui nous oblige de recourir à des interprètes. Et cela affecte notre calendrier de travail. Une opération programmée pour une semaine s’allonge sur deux semaines. »
L’autre défi de taille, poursuit-il, le groupe Al-Shebabs a installé plusieurs mines dans les routes. « Ce qui limite notre rapidité dans les déplacements pour mener une opération. Cela nous prend d’abord du temps pour le déminage. Et quelques fois, ces engins font des victimes parmi la population. Et dans ce cas, on doit d’abord secourir la population. »
Il évoque aussi la configuration pédologique du secteur 5 : « En cas de pluies, nous ne pouvons pas nous déplacer. Le sol devient très glissant. Nos blindés ne peuvent pas rouler. Alors, quand la pluie tombe, on suspend tout mouvement. »
Enfin, le Général de Brigade Elie Ndizigiye déplore le manque des équipements modernes, adaptés, comme des avions de combat, des drones, du matériel de détection des mines, etc. « Cette mission Atmis exige d’avoir du matériel susceptible de protéger les militaires. C’est ce qu’on appelle des équipements multiplicateurs des forces». Il espère que ces moyens seront bientôt disponibles.
RENCONTRE
« Nous espérons que ces problèmes de retard de paiement ne vont plus avoir lieu »
Quelle est la différence entre l’Amisom et l’Atmis ?
L’Amisom (African Mission in Somalia) et l’Atmis (African Union Transition Mission in Somalia) sont différents. Tout d’abord, l’Amisom a bien accompli sa mission de sécuriser la Somalie. Lorsque cette mission a été déployée en 2007, le pays était complétement disparu. Mais, heureusement, suite à l’effort de l’UA, avec ses partenaires, on a pu rétablir la sécurité en Somalie.
Maintenant, plus de 70 % du territoire somalien est sous le contrôle gouvernemental. La population vit en paix et les grands centres urbains sont vivants, fonctionnels. Bref, la mission de réduire la menace Al-Shebabs a été accomplie bien qu’il y ait encore des sanctuaires importants de ce mouvement.
Ainsi, après avoir constaté un progrès dans la lutte contre le mouvement el-Shebabs, le gouvernement somalien en consultation avec l’UA, l’observation de l’UE et des NU qui sont les grands bailleurs de cette mission, se sont convenus pour réduire progressivement les forces de l’UA et les remplacer par la force nationale somalienne. C’est ainsi qu’est née le 1er avril 2022 l’Atmis. Bref, Atmis est donc très différente de l’Amisom
Sur le terrain, comment se manifeste cette différence ?
Premièrement, l’Atmis va quitter la posture défensive pour la posture offensive afin de totalement anéantir la menace Al-Shebabs. Ce qui va permettre aux forces somaliennes de maintenir la sécurité. Pour cela, des éléments mobiles seront créés avec des équipements pour les mouvements des troupes, notamment les hélicoptères, les appareils de navigation nocturne, les drones de surveillance, les engins d’ingénierie, seront dotés à ces bataillons pour permettre de mieux anéantir l’ennemi.
La deuxième différence, c’est que c’est la Somalie qui va assurer le leadership. Avant, au début, l’UA conduisait les opérations. Par la suite, on le faisait conjointement. Maintenant, c’est la Somalie qui va prendre le leadership, l’UA ne sera là-bas que pour appuyer la Somalie.
Enfin, pour s’assurer de l’efficacité et éviter les problèmes qui sont survenus par le passé, tous les six mois, il y aura une mission d’évaluation. On va s’assurer que les forces somaliennes sont capables, que les tâches fixées par l’Atmis sont en train d’être réalisées. Ainsi, on pourra assurer une transition efficace et parfaite entre l’Atmis et les forces somaliennes qui vont prendre la relève des forces africaines.
L’objectif visé pour la fin de l’Atmis c’est décembre 2024. Est-ce vous croyez que c’est réaliste. Quels sont les défis à relever ?
Je pense que la mission est réalisable. Parce que le plan Atmis est sorti des négociations entre l’UA et le gouvernement somalien avec l’observation de l’UE et des NU.
Donc, le gouvernement somalien s’est engagé à accomplir la tâche avec conscience. Ils sont prêts à le faire. Ce qu’on voit sur le terrain, avec la récente victoire, l’inauguration du nouveau pouvoir, on remarque qu’il y a la volonté de combattre le mouvement Al-Shebabs. Ils viennent de le démontrer dernièrement à partir du 9 septembre de cette année, ils ont lancé des offensives à grande échelle où les forces de sécurité associées à la population ont pu anéantir l’ennemi dans l’Etat de Hirshabelle et le plan se poursuit. Il y a la volonté au niveau politique pour en finir définitivement avec le mouvement Al-Shebabs. Mais, certainement, tout cela va dépendre de l’engagement de tous les acteurs.
C’est-à-dire ?
Premièrement, le gouvernement somalien. C’est lui qui doit générer les forces nécessaires pour prendre la relève C’est lui qui doit en premier lieu équiper, professionnaliser ses troupes. Bien sûr avec les partenaires, c’est à dire communauté internationale, les Nations Unies et l’UA. Ils se sont engagés depuis longtemps et doivent poursuivre leur soutien. Ce qui renvoie aux pays bailleurs qui, certainement, sont chargés de former et d’équiper les forces somaliennes. Et sans toutefois oublier les pays contributeurs des troupes. Eux, ils se sont engagés à équiper leurs contingents avec des moyens modernes pour bien mener ces offensives. La part de tout un chacun est nécessaire. Il y a aussi un autre défi qui n’est pas moindre. C’est la disponibilité des moyens financiers. Cette mission exige des moyens. Et c’est le manque de moyens qui a handicapé l’Amisom.
Cette mission veut avoir des finances qui sont programmées pour toute sa durée jusqu’en 2024. Et ils doivent être disponibles à temps et dans les délais.
Enfin, il y a une chose très importante : la disponibilité des équipements des deux côtés Du côté des forces somaliennes pour assurer la relève et du côté des troupes de l’UA pour qu’elles puissent passer à l’offensive telle que demandée par la Communauté internationale.
Des militaires en mission en Somalie déplorent des retards répétitifs de paiement de leurs indemnités. Qu’est ce qui manque ? Est-ce que cela ne risque pas d’affecter le moral des troupes ?
Certes, le manque des finances impacte beaucoup sur le moral des troupes en mission de maintien de la paix. Mais, il faut noter que ces moyens financiers sont aussi nécessaires pour accomplir d’autres tâches de la mission. Certainement, comme vous êtes au courant, que ça soit l’Amisom, l’Atmis, c’est une mission complexe, pionnière de l’UA. C’est une mission qui a beaucoup de problèmes.
Entre autres ?
Pour se focaliser essentiellement sur le financement, les financements, les soldes des troupes sont assurés par l’Union européenne (UE). Et je vous signale qu’elles sont insuffisantes par rapport aux salaires donnés par les Nations Unies (NU). On a discuté qu’il faut aligner les salaires sur ceux des missions des NU. Deuxièmement, elles ne sont pas seulement insuffisantes, mais elles ne sont même pas disponibles. On attend longtemps les salaires …
Qu’est-ce que vous proposez ?
Il faut un financement continuel bien assuré sur les trois ans de la mission. Il faut noter qu’il y a d’autres projets connexes. Après l’anéantissement de l’ennemi, on doit aussi aider très vite la population qui est victime, déplacée. Elle a besoin de médicaments. Elle doit faire face à des besoins primaires, les finances sont donc primordiales. Ce point a été discuté entre tous les acteurs avant de générer le plan Atmis. Ils se sont entendus pour disponibiliser les moyens pour toute la mission.
Heureusement, la semaine passée, l’UE a signé un contrat avec l’UA pour disponibiliser les finances pour l’année en cours 2022-2023. L’UE a déjà pris un engagement pour un montant total de 600 millions d’euros pour toute la durée de la mission. Certes, il y a un déficit qui sera partiellement comblé par le Royaume Uni et probablement par d’autres bailleurs. Je pense que la solution est là, espérons que ces problèmes de retard de paiement ne vont plus avoir lieu pendant toute la durée de l’Atmis.
Qu’ils gardent cet esprit au retour et protègent les barundi des agresseurs internes si la police n’y arrive pas.