La solution du président Pierre Nkurunziza à la crise économique, dans un pays où les jeunes hommes payent des pots de vin pour aller à la guerre et où la plus importante ressource naturelle est en train d’étouffer sous la pollution, démontre qu’il pourrait être ce leader proverbial qui a gagné la guerre mais qui a perdu la paix.
{Par Trevor Analo}[[L’auteur de [cet article->http://www.africareview.com/Special+Reports/-/979182/1508732/-/xq5wnfz/-/index.html] est un journaliste qui a fait un stage au projet « Afrique » du groupe de presse {The Nation}, au Kenya. Les opinions exprimées dans cet article sont de la responsabilité exclusive de son auteur. Iwacu a voulu le publier pour que ses lecteurs sachent ce qui s’écrit dans les médias importants de la région sur notre pays]], traduction Iwacu.
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Question : {Est-ce que le Burundi est l’étoile brillante dont le potentiel est sous-estimé?}
Réponse : {Oui.}
Question : {Est-ce que le Burundi pourrait être [« la personne malade » de l’Afrique de l’Est comme une chronique du journal The East African->http://mobile.theeastafrican.co.ke/Opinion/La+pauvre+Burundi+the+neglected+child+of+the+family+/-/433846/1482686/-/format/xhtml/item/1/-/58gcb3/-/index.html] le demandait récemment?}
Réponse : {Oui et non.}
Question : {Est-ce que l’histoire du Burundi a été bien racontée dans les médias régionaux et internationaux?}
Réponse : {Non.}
Question : {Est-ce que le Burundi se sent confortable dans sa peau qui parle Kirundi- Français – Swahili?}
Réponse : {Non.}
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<doc5348|left>On raconte que le Burundi est un pays enclavé et qui est pauvre en ressources. Faux. Le Burundi possède de l’or bleu sous la forme du lac Tanganyika. Le lac est immense et, vue de l’extérieur, Bujumbura est belle à couper le souffle. En d’autres endroits, il y aurait de nombreuses personnes qui se font bronzer sur les plages du Lac Tanganyika et on verrait des maisons et des hôtels riches sur les rives du lac. Il n’en est pas ainsi à Bujumbura. Ce qu’il y a de plus remarquable près du lac, c’est le parc industriel. Il y a une douzaine de petits entrepôts, mais à part ça, il se passe peu de choses : le Burundi importe à peu près tout ce qu’on retrouve sur les étagères des commerces de détails, le savon, le jus de fruit, les biscuits, la viande traitée, le fromage, etc.
Attendez : il y a au moins une grosse usine. Elle produit de l’eau minérale.
On peut se demander pourquoi un pays choyé, ayant à sa disposition une grande partie de la deuxième plus importante source d’eau douce du monde, devrait posséder une usine de production d’eau minérale sur ses rives.
La réponse c’est que, alors que le lac Tanganyika est majestueux et qu’il est la seule source d’eau potable pour la ville, il est si pollué que presque personne à Bujumbura n’ose s’y baigner. Les gens restent sur la plage qui est couverte de bouteilles de plastique et d’algues et ils prennent quelques photos avant de rentrer à la maison. Un des signes de la crise : pour s’approvisionner en eau potable, on doit aller jusqu’à 8 kilomètres à l’intérieur du lac! Une statistique ahurissante nous apprend qu’au rythme où le lac est pollué aux abords de la ville, on estime qu’en 2020 on devra se déplacer à 18 kilomètres à l’intérieur du lac pour chercher de l’eau potable, c’est-à-dire à 2 kilomètres de la frontière du Sud-Kivu, en République Démocratique du Congo.
Cette situation conduirait à trois scénarios effrayants. Le premier : le Burundi, bien qu’étant le pays le plus pauvre en Afrique de l’est, sa capitale pourrait dans moins de 10 ans devoir acheter de l’eau en RDC!
Le deuxième : le pays pourrait faire ce que d’autres ont déjà fait dans l’histoire, c’est-à-dire faire la guerre à la RDC pour sécuriser son approvisionnement en eau potable!
Le troisième scénario : le Burundi pourrait se déshydrater jusqu’à en mourir!
Le Burundi pourrait se sortir de cette crise environnementale, mais cela dépendra de la croissance de son économie. Les perspectives économiques ne sont pas sombres; on prévoit une croissance de l’ordre de 4,5% pour cette année.
Toutefois, en parcourant les rues de Bujumbura, on se rend compte combien il reste de travail à faire pour que cela s’accomplisse. Une ville qui doit être la force motrice de l’économie ne fonctionne pas tout à fait comme une ville. Elle a besoin d’une étincelle et ses structures en majorité de type colonial pleurent pour qu’on les peigne. Le commerce de détail, les finances, les services et l’immobilier n’ont pas encore véritablement pris pied en ville.
Pas un pays pour les jeunes
Le désespoir des jeunes hommes à Bujumbura est troublant. Ils sont debout habituellement à 6.30 heures, armés de leur frustration et s’assoient sur les trottoirs en regardant Bujumbura qui s’écroule, dépensant peu d’énergie sauf celle nécessaire pour balayer les mouches du matin.
Certains s’assoient au bord de la route, tellement enfermés dans leur situation qu’ils n’entendent même pas le klaxon d’un bus qui arrive. J’ai discuté avec quelques jeunes hommes de la ville, étudiants, réceptionnistes, chauffeurs de taxi, chanteurs de karaoké, commis de banque ou journalistes et ils sont tous d’accord sur une chose : ils croient que le pays ne leur offre aucune perspective d’avenir à moins d’un virage miraculeux.
Une élève de lycée qui étudie au Kenya Hope International School dit que le gouvernement ne fait rien pour améliorer leur situation. Elle n’était pas venue au Burundi depuis 2 ans et elle n’est pas surprise de constater que rien n’a changé.
Les travaux importants de construction sont un indicateur de l’évolution économique d’une ville. Il n’y a aucun projet domiciliaire et aucun nouvel édifice commercial qui est en construction à Bujumbura. Il semble que les seuls travaux de construction soient l’entretien des routes, projet financé par la France. Et pourtant, il y a de grandes opportunités de développement dans le domaine pour les entrepreneurs d’Afrique de l’Est.
Il est très difficile de trouver du travail au Burundi. Selon plusieurs des jeunes à qui j’ai parlé, l’économie produit généralement des emplois d’enseignants et chez les agences de sécurité privées. On doit connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un pour trouver un emploi et les « frais de facilitation » sont très souvent aussi élevés que le salaire d’une année.
Un réceptionniste à l’hôtel où j’habitais s’est déchargé de ses frustrations sur moi. Il m’a impressionné; il était un jeune homme brillant. Il a obtenu un diplôme en économie il y a deux ans, il maîtrise bien l’anglais et le swahili; il a frappé à toutes les portes à Bujumbura. Partout, le message était le même : nous n’embauchons pas.
La chance lui a souri quand un poste de commis au gouvernement s’est ouvert. C’est du moins ce qu’il croyait. Mais on lui a demandé de donner un montant de $1,000 comme « frais de facilitation » pour obtenir un job qui paye $100 par mois! Il n’a pas pu récolter le montant de ces « frais », même avec ce salaire de toute une année.
Le Burundi s’est construit une fierté et il a fait honte à plusieurs nations africaines plus grandes et plus riches quand il est devenu le deuxième pays à contribuer à la force de maintien de la paix de l’Union Africaine en Somalie, l’Amison.
Alors que plusieurs burundais sont confortables avec cette situation, la guerre en Somalie a produit ses propres complications. À l’heure actuelle, l’Amison offre les meilleures opportunités d’emplois pour les jeunes burundais. Le problème, selon mon jeune réceptionniste, c’est que la guerre en Somalie est devenue une vache à lait pour les généraux. Plusieurs jeunes soldats savent qu’ils vont gagner plus d’argent qu’ils en gagneraient pendant toute leur vie s’ils vont en Somalie et… en reviennent vivants. Les vétérans de la Somalie construisent des maisons de taille moyenne, achètent les voitures usagées les moins chères à Bujumbura et épousent de jolies filles!
Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que, pour obtenir une affectation en Somalie, certaines personnes prétendent que plusieurs soldats doivent payer des pots de vin pour y arriver. Je n’ai jamais pu confirmer cette information d’une façon indépendante, mais je ne serais pas surpris que ce soit vrai quand on considère que la plupart des jeunes burundais souhaitent sortir du pays.
L’intégration dans la Communauté des Pays d’Afrique de l’Est a des impacts visibles sur les calculs sociaux et économiques des gens. Par exemple, une des choses les plus frappantes à Bujumbura est la pléthore de centres d’enseignement de l’anglais. Les jeunes hommes qui affluent dans ces centres croient que les opportunités de travail abondent en Afrique de l’Est et du Sud et qu’on a seulement besoin d’apprendre l’anglais pour y faire fortune.
Armés de leur espoir d’une vie meilleure, plusieurs de ces jeunes burundais se dirigent vers le Kenya, l’Ouganda, la Zambie et l’Afrique du Sud. Ceux qui y réussissent font l’envie de ceux qui sont restés à la maison. À cet égard, l’EAC est un facteur dans la vie des jeunes burundais beaucoup plus important que la plupart des gens de la région ne l’imaginent.
<doc5347|left>Une politique de l’emploi axée sur les avocats
La réponse du président Pierre Nkurunziza à la crise économique est non seulement « intéressante » mais elle tend à montrer qu’il pourrait être ce leader mentionné dans le proverbe qui dit « qu’il a gagné la guerre mais qu’il a perdu la paix ».
Le président croit que de planter des avocatiers va non seulement améliorer la nutrition des burundais mais que cela va fournir des emplois à des millions de jeunes chômeurs burundais, directement dans la seule usine de traitement des avocats et indirectement en tant que petits producteurs qui vendront leurs fruits à l’usine.
En 2009, le président a lancé une campagne au niveau de tout le pays pour planter ces arbres fruitiers; le gouvernement a réuni les populations rurales et distribué gratuitement des plants d’avocatiers.
Selon le porte-parole du président, Monsieur Willy Nyamitwe, 8 millions d’arbres ont été plantés jusqu’à maintenant. On espère que le Burundi deviendra un important exportateur d’avocats dans la région d’Afrique de l’Est.
Depuis ce temps, le prix des avocats a chuté sur le marché passant de 300Fbu à 150Fbu (de 20 à 10 cents US). Ce qui signifie que plusieurs burundais peuvent maintenant en acheter. Un citoyen de Bujumbura faisait remarquer que l’avocat est en train de devenir un substitut à la viande que plusieurs burundais ne peuvent plus acheter.
Un avocatier prend 4 ans pour arriver à maturité; on peut donc s’attendre à un excédent d’avocats au Burundi l’année prochaine. Mais le président ne compte pas seulement sur les avocats; il a aussi lancé une campagne pour la production d’ananas et de bananes.
Pour travailler la terre, le président croit qu’une nation a besoin d’être en santé. Pour s’assurer que chacun fait de l’exercice, les bureaux du gouvernement ferment tôt le vendredi pour faire du sport. Ainsi, la solution du président Nkurunziza pour l’économie burundaise est la santé, la condition physique et les prières.
Il est vrai que le vendredi est jour de sport pour le gouvernement mais, comme visiteur, je l’ignorais. Sans disposer de cette importante information, je me suis assuré de prendre des rendez-vous avec quelques ministères. Mais les bureaux du gouvernement étaient fermés. J’ai découvert que le Ministre de l’environnement venait tout juste de quitter quand je suis arrivé à son bureau, quelques minutes avant midi.
Chaque vendredi, le gouvernement organise des événements sportifs entre les ministères. Ces activités sont perçues comme une façon d’assurer l’unité entre les 3 groupes ethniques du pays qui a vécu une guerre civile ethnique de 12 ans.
Pierre Nkurunziza est non seulement un enthousiaste inconditionnel du sport mais il détient en plus une maîtrise en éducation physique de l’Université du Burundi et il a été enseignant à l’institut de Sciences physiques et de sports avant de rejoindre la guérilla. (N.d.l.r. Le président Nkurunziza a complété une licence et a été assistant d’enseignement).
Lors de son premier mandat, le président a construit 12 stades de dimensions variées à travers le pays. Il croit que les gens ont besoin d’évacué la pression après une dure semaine de travail.
Homme de prière, le président dirige des prières nationales deux fois par année pour résoudre les problèmes du pays. En route vers le Burundi, en venant du Rwanda, le cortège motorisé présidentiel m’a doublé; il était en route vers sa croisade de prières biannuelle qu’il tient habituellement en milieu rural.
On ne vous tiendra pas rigueur si vous pensez que la seule chose qui a l’air neuve et bien entretenue au Burundi c’est le cortège présidentiel. Quelques uns des jeunes gens à qui j’ai parlé disent que le président passe trop de temps à prier et pas suffisamment à s’occuper des affaires de l’État.
L’histoire « clichée » du Burundi
Le lac Tanganyika, une ressource naturelle riche qui est en train d’être polluée à mort autour de Bujumbura, est largement sous exploité. Le port de Bujumbura est négligé et sous utilisé en dépit de son histoire et de son potentiel commercial. Le port est supporté par des eaux navigables, une autoroute naturelle vers la République Démocratique du Congo, la Tanzanie, la Zambie et le Malawi. Cependant, à l’heure actuelle, c’est à peine si un navire y accoste. Le port reçoit en moyenne 3 bateaux par jour et parfois un seul.
Le gouvernement du Burundi pourrait donner un nouvel élan à l’économie en modernisant ce port délabré et en faisant la porte d’entrée de la sous-région.
Bujumbura peut devenir vivante; il suffit que le gouvernement investisse dans les industries culturelles comme la musique, la danse, les sports nautiques, la mode, les arts, une marina et des bateaux de croisière qui sillonnent le lac pour attirer les touristes.
Les avocats contribueront à donner une meilleures santé aux burundais et à leur donner une peau magnifique, mais un pays ne peut se contenter de ne manger que des avocats et ce fruit ne peut contribuer à lui seul à la relance économique. Des investissements intelligents sur le lac Tanganyika pourraient le faire. La surprise, c’est que personne ne sent le besoin d’en parler au président Nkurunziza.
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N.d.l.r : {Cet article a été publié dans la section magazine du journal The East African, du 15 au 21 septembre 2012, qui est, au sein de [The Nation Media Group->http://www.nationmedia.com/], un des médias les plus importants et les plus influents d’Afrique de l’Est.}