Un peu vague sur les questions sociales, mais cassant sur les questions politiques et sécuritaires, le président de la République, Evariste Ndayishimiye a répondu, ce vendredi 25 septembre, aux questions des journalistes et de la population. C’était sa première émission publique après exactement 100 jours au pouvoir. Retour sur les questions essentielles évoquées lors de cette émission.
Plusieurs questions ont été posées au président burundais. Une question semble avoir marquée les esprits : celle concernant la déclaration des biens des hauts dignitaires. Le numéro Un burundais s’est contredit. Le 23 août dernier à Buye, commune Mwumba de la province Ngozi, le président Evariste Ndayishimiye avait appelé les membres du gouvernement à déclarer leurs biens «afin de servir de modèle d’honnêteté au reste de la population.» Il avait alors donné un délai de deux semaines. Dans l’émission publique de ce vendredi 25 septembre 2020, il a fait un virage à 180o. «Nous savons que la Constitution nous oblige à le faire, mais nous avons trouvé que c’est impossible. Certains passeraient une semaine à faire la liste de leurs biens. La richesse d’une personne est un secret. Nous allons voir à la fin du mandat si rien ne cloche.» Pour ceux qui ont terminé leurs mandats, le président de la République trouve que c’est difficile. « Combien de personnes avaient-elles déclaré leurs biens? » Un observateur de la politique burundaise n’en croit pas ses oreilles : «Le président ne peut pas déclarer cela. C’est une exigence constitutionnelle. C’est écrit noir sur blanc.»
A propos des récentes attaques signalées dans plusieurs provinces, le président Evariste Ndayishimiye parle de simples malfaiteurs. «Est-ce qu’ils savent ce que veut dire attaquer un pays? Tuer deux personnes veut dire attaquer le pays? Attaquer un pays signifie prendre au moins une commune. Est-ce que vous avez entendu cela?» De plus, poursuit-il, celui qui attaque un pays commence par le sommet. «Même hier, je suis monté à Gitega pendant la nuit. Je suis passé par la Kibira, là où ils sont censés être.»
Il a également réagi sur les arrestations des militants du CNL. «Les politiciens ont longtemps pensé que tuer une personne est de la politique. En faisant les enquêtes, le gouvernement opère des arrestations afin de connaître la vérité. C’est son droit. Appelons un criminel comme tel.»
Le Rwanda et l’Union européenne pointés du doigt
Concernant les relations avec le Rwanda, le Chef de l’Etat n’y est pas allé de main morte. « Ceux qui ont voulu renverser les institutions se la coulent douce au Rwanda. Nous pensons que le Rwanda est en train de les préparer pour déstabiliser le pays. Les paroles ne suffisent pas. Il faut des actions. » Et d’ajouter : « Lorsque les criminels se réfugient au Burundi, on les remet au Rwanda, mais ce dernier ne l’a jamais fait. Si le Rwanda le veut réellement, cette question peut trouver une solution rapidement. » Le président Ndayishimiye a tenu souligner qu’il n’a pas dit que le Rwanda est un pays hypocrite. «J’ai dit que le Burundi ne peut pas coopérer avec des pays hypocrites.»
Interrogé sur le boycott du sommet des chefs d’Etat de la sous-région à Goma en RDC, le président Ndayishimiye a fait savoir que les autorités avaient un agenda chargé. «Nous nous sommes convenus avec la RDC de discuter au niveau des ministères.» Quant à sa participation au prochain sommet virtuel, le président de la République est resté vague. «Si le temps le permet, je participerai».
L’Union européenne n’a pas été épargnée. « Nous avons constaté qu’elle était impliquée dans la déstabilisation des institutions en 2015. Nos relations se sont dégradées à cause de cela. On ne les a pas chassés, ils sont partis d’eux-mêmes. Les relations entre pays ne se basent pas sur la force. Pour nous, les portes sont ouvertes. »
Concernant les droits de l’Homme, le président Ndayishimiye indique qu’il n’y a pas de violations des droits de l’Homme. « Nombre de personnes ne savent pas la signification des droits de l’Homme. Qu’on nous dise plutôt les victimes qui n’ont pas eu satisfaction. Mais souvent, ils parlent pour les malfaiteurs, les gens qui sont en prison, mais ils ne parlent jamais des morts. Ce qu’on demande à l’Etat est de lutter contre l’impunité. Donc, le gouvernement a le devoir de protéger les victimes. Pourquoi, ils ne viennent pas demander les avis de la population. C’est de la politique.»
Est-ce vraiment un «Reta Mvyeyi»?
Quant à ceux qui disent qu’ils sont exclus du pouvoir alors qu’on parle de « Reta Mvyeyi » (gouvernement responsable), le locataire de Ntare House n’y va pas par quatre chemins : «Est-ce que les 12 millions de Burundais sont au gouvernement ? Je suis le serviteur de tous les Burundais. Celui qui se sent exclu peut me dire ce que je peux faire pour lui. Les temps de la course au partage du gâteau national sont révolus.»
Un citoyen lui a posé la question sur l’extradition des politiciens en exil poursuivis par la justice. «Qu’est-ce qui manque au Burundi alors que le Rwanda réussit à le faire?» La réponse du président : « Ils se croient protégés dans leurs pays d’accueil. Ces pays ont voulu déstabiliser le pays, mais ils ont échoué. Pour y arriver, ils ont utilisé des traîtres. Pécher contre un parent est une malédiction. Vaut mieux qu’ils rentrent maintenant. Même après 100 ans, ils seront punis. On ne fait pas des négociations avec la justice »
La lutte contre la Covid-19, une réussite
Le Général-Major Evariste Ndayishimiye se dit satisfait et fait savoir qu’il suivait ce dossier même avant son investiture. « Sogo (Feu président Pierre Nkurunziza, NDLR) est décédé alors qu’on échafaudait des plans de lutte. Les grandes puissances ont échoué, mais le petit Burundi a réussi. Certains pays sont jaloux de notre réussite. «
Toutefois, il a rappelé que la prudence est de mise. Sur la question de la réouverture de l’aéroport international Melchior Ndadaye, il a estimé qu’il faut d’abord renforcer la surveillance sur les postes frontaliers afin d’endiguer la propagation de cette épidémie. «On pourra envisager la réouverture des frontières et de l’aéroport par après.»
La Tanzanie qui nous aime tant
Le président de la République a été interrogé sur sa récente visite en Tanzanie et s’il a discuté avec son homologue sur la question de Bugufi et les belbases de Kigoma et Dar es Salam. Pour rappel, l’Accord «Orts-Milner» prévoyait que la Grande-Bretagne accorderait à la Belgique des avantages économiques dont les modalités devraient être fixées dans une convention particulière dite Belbases (Belgian bases), signée le 15 mars 1921. En vertu de cette convention, les marchandises, les personnes et la poste en provenance ou à destination des territoires belges transitaient librement par la Tanzanie, exemptés de tous les droits de douane, et avec un régime tarifaire très favorable sur les lignes de chemin de fer.
La Grande-Bretagne donnait à la Belgique un bail à perpétuité moyennant un loyer d’un franc symbolique, des entrepôts appelés Belbases à exploiter dans les ports de Kigoma et de Dar es-Salaam. La Belgique, quant à elle, s’engageait à céder le Bugufi à la Grande-Bretagne en contrepartie. Un territoire se trouvant dans l’angle aigu du nord-est du Burundi actuel. La Grande-Bretagne voulait y faire passer un chemin de fer allant du Cap au Caire.
Pour le président Evariste Ndayishimiye, le fait que les entrepôts au port de Dar es Salam soient payants ne pose pas problème. « Avant, il n’y avait pas de frontières entre le Burundi et la Tanzanie. Ce sont les colons qui nous les ont imposés. L’essentiel est de vivre en harmonie avec notre voisin. De plus, la Tanzanie a promis d’acheter des bateaux pour nous aider à transporter nos marchandises. Pourquoi chercher ce que nous avons déjà? »
Après l’émission publique qui a duré environ 3 heures, nombre de citoyens indiquent être restés sur leur soif. «Nous n’avons pas reçu des réponses claires à nos interrogations.» Certains critiquent même les journalistes. «Ils l’ont laissé parler. On dirait qu’il était en train de donner une leçon.» Ces derniers sont rentrés frustrés. Faute de temps, plusieurs questions n’ont pas été posées comme l’emprisonnement des 4 journalistes du Groupe de presse Iwacu, la réouverture des radios suspendues ou fermées…