Vendredi 22 novembre 2024

Société

Elie, où-es-tu ?

13/08/2021 4
Elie, où-es-tu ?
La famille se désole de la disparition d’Elie Ngomirakiza.

Un mois après la disparition d’Elie Ngomirakiza, une journaliste d’Iwacu s’est rendue dans sa famille. Elle a trouvé une famille partagée entre un espoir fou de voir revenir le père de famille, mais aussi le désarroi. Faute de moyens les enfants vont devoir abandonner l’école.

Il pleut sur Maramvya, en commune de Mutimbuzi, province de Bujumbura. La 13e avenue est bondée, mouvementée. Un petit marché, des boutiques bordent la rue. Des brochettes de viande fument sur des braseros. Des rires fusent de partout. Les gens trinquent, insouciants. Un contraste saisissant quand on entre dans la maison de la petite famille d’Elie Ngomirakiza. Elle vit triste, dans une attente insupportable.

La maison de fortune en boue est assez grande. En silence Gloriose Nsabimana, la femme (on ne s’empêche pas de penser que c’est peut-être une veuve) du « porté disparu » m’introduit dans le salon.
Et c’est elle qui parle, vite : « Avez-vous des nouvelles d’Elie, mon mari ? », Dans ses yeux, une lueur d’espoir. Je vacille, désarçonnée. C’était justement ma question. « Non, et vous ? » Ses yeux semblent se perdre dans le vide. Eteints. Elle a cru un instant que je serais porteuse d’une bonne nouvelle. La pauvre…Elle n’a pas compris que je ne suis qu’une simple journaliste.

Je m’assois dans cette pièce aérée. Cinq chaises et une petite table. Des tôles sont entassées dans un coin du salon. Tout est propre.

La sœur d’Elie, Joséphine Nzirumwanga, nous rejoint. Des fois, notre métier est terrible. Je suis triste. Je bafouille. Mais je dois travailler. Je prends mon courage à deux mains. Je me lance : « Comment vivez-vous cette disparition ? » Je sais que la question est difficile.

Les deux femmes éclatent en sanglots. Gloriose, l’épouse, a du mal à retenir ses pleurs. Joséphine, la sœur prend la parole. Ce sont des lamentations : « Je ne sais pas ce que je vais devenir. Il jouait le rôle de père pour mes quatre enfants. Jusqu’au petit stylo c’était lui qui l’achetait. Tous mes pagnes aussi.» « Que vais-je devenir ? », répète-elle plusieurs fois, en pleurs.

La femme d’Elie a eu le temps de se contenir : « C’est mon mari qui travaillait et qui se chargeait de tout. Il ramenait l’argent pour survivre. Moi, je m’occupais de la gestion de la maison. De la famille. Maintenant qu’il n’est pas là tout est devenu compliqué. Difficile de trouver de quoi nourrir mes enfants. »
Elle montre du doigt les enfants en train d’éplucher les patates douces dans un coin : «C’est à peine que nous trouvons de quoi manger. Là nous allons pouvoir manger avec des amarantes sans huile. Je me refuse de penser de ce que demain sera fait.»

Des enfants. Gloriose Nsabimana en a eu huit avec Elie Ngomirakiza. Depuis le 9 juillet, le jour de l’enlèvement de son mari, Gloriose a du mal à imaginer une vie sans son mari. Elle semble perdue. Elle dit avoir du mal à envisager la recherche d’un emploi pour le moment : « J’ai du mal à me concentrer, à réfléchir à un travail. Il est compliqué pour moi de me dire que je vais devoir jouer le rôle de père pour mes enfants.»

A quelques jours de la rentrée scolaire, Gloriose et Joséphine ont des craintes pour l’avenir de leurs enfants. A moins de voir revenir Elie, les enfants sont condamnés à arrêter leur scolarité.

Qui sont venus toquer tard dans la nuit ?

La famille d’Elie Ngomirakiza a peur. Elle craint pour sa sécurité. Gloriose raconte que mardi 3 août des gens non identifiés sont venus toquer à la porte de son domicile vers une heure du matin, « Mama Dié, Mama Dié », appelaient-ils. Voyant que personne ne répondait, les inconnus ont rebroussé chemin. « Maman Dié c’est moi, en référence à mon fils aîné Dieudonné », explique Gloriose. La famille ignore qui sont venus à cette heure de la nuit. « Que venaient chercher ces gens à une heure pareille?».

Les voisins ont conseillé à la famille d’informer les autorités, si cette situation venait à se reproduire.

Autre sujet qui suscite interrogation mêlée d’espoir dans la famille, le numéro de téléphone d’Elie Ngomirakiza est toujours fonctionnel. Cela ne manque pas d’intriguer la famille. « Pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai appelé à son numéro, un homme m’a répondu et m’a demandé qui j’étais. Comme ce n’était pas la voix de mon frère, j’ai raccroché », indique Joséphine.

Le père espère le retour de son fils

Le père d’Elie nous rejoint après quelques minutes. Nous sortons les chaises dehors. François Katunga, 83 ans, ne veut pas imaginer une seule seconde que son fils serait mort. Il a déjà enterré 12 enfants. Des quatorze qu’il a vus naître, il n’en reste que deux. Elie, « porté disparu » et Joséphine. Il espère qu’il est en détention quelque part dans un cachot. « Comme on ne nous a pas montré son corps, comment affirmer qu’il n’est plus de ce monde. Ceux qui disent qu’il est mort doivent nous le prouver. Où a-t-il été enterré ? Qui l’ont tué ? Pourquoi ? »

Sa belle-fille acquiesce. Gloriose vit dans l’expectative. Elle s’accroche au moindre espoir de le revoir : « Comme mon beau-père le dit, il nous faut une preuve de sa vie ou de sa mort. Cela va nous aider à avancer. Autrement nous sommes figés dans le temps.»

Retour sur une « disparition forcée »

Depuis vendredi 9 juillet 2021, Elie Ngomirakiza, responsable du Congrès national pour la liberté (CNL), dans la commune de Mutimbuzi, est introuvable. Aux environs de 16 heures. Elie Ngomirakiza transportait ses briques dans un camion-benne avec trois autres personnes à bord, dont le chauffeur et deux convoyeurs. Il devait se déplacer de Mutimbuzi vers la zone de Kanyosha, au sud de la capitale économique Bujumbura. Arrivé tout près du lieu communément appelé « Chanic » sur la route Bujumbura-Gatumba, le camion est pris en filature par une moto et un 4X4. La moto s’arrête devant le camion le forçant à s’arrêter. Le 4X4 est immatriculé A 031. Des hommes en uniforme militaire sont à bord du véhicule. Des témoins reconnaissent un responsable administratif local. Ces gens semblent rechercher Elie Ngomirakiza. « Il a tout de suite été embarqué. Ses compagnons ont repris la route sous le choc, » raconte un témoin.

Après cette « arrestation », le parti CNL a lancé une alerte.

« Le véhicule appartient au lieutenant-colonel, Aaron Ndayishimiye, commandant du 212e bataillon opérant à Rukoko, natif de Kabumba en zone de Kanyosha, ex-FNL. Pour ceux qui veulent débuter l’enquête, ils doivent commencer par l’interroger », a fait savoir Agathon Rwasa, président du CNL. Il perd tout espoir de retrouver vivant Elie Ngomirakiza. Les informations en possession du CNL indiquent qu’il serait mort et enterré dans la réserve de la Rukoko.
Interrogé, le porte-parole de l’armée a dit avoir eu vent de cette affaire, mais dément toute implication de l’armée. Pour plus de détails sur l’affaire, Floribert Biyereke a renvoyé Iwacu à la police ou à l’administration. Le président de la CNIDH, Sixte Vigny Nimuraba, a indiqué qu’il est au courant de la disparition : « Nous continuons le suivi.»

CNL

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Didicov

    Combien ont lit ce message et n’ont pas réagi ?
    Qui dans ce pays est chargé de mener les enquêtes ?
    Kuki ibikorane vyo gushima no gutazira Imana biba ariko ikintu nkico kikaba journal iwacu akaba ariyo ibivuga yonyene? Abantu b’Imana bari he?

  2. Yaga

    Burundi, va ibuzimu uje ibuntu! Ayo magorwa n’ imibabaro bishikira bamwe mu bawe nivyo bituma hama hariho ama cycles de violence aha iwacuIneza yama ivyara ineza, inabi ikavyara inabi. We can do better than that!.Barongozi mwatewe iteka mugashingwa amabanga yo gutwara igihugu, hagarika ivyo bintu. Hane kandi mwihanikirize abantu bose bari inyuma yizo ngendo zigayitse. Butungane, tunganiriza bose kandi ntihabe ababa hejuru y’ amategeko.

  3. roger crettol

    « Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre » (Aimé Césaire).

    IWACU, patient et conscient de ses responsabilités – face à des autorités à la morale opaque et aux actions en grand manque de transparence.

    Le Burundi, 16 ans après 2005. Le CNDD-FDD peine à se réformer, et à abondonner une mentalité de casemate. Quant au CNL, peut-être n’apparaît-il blanc que face à la noirceur du grand-frère … leurs origines ne sont pas si différentes. Quelles forces pour servir de base à un renouveau ?

    JerryCan, qui ne comprend rien à rien, comme d’hab …

  4. Rukara

    Oui ce pays ou on ne fait disparaitre personne d’après la position actuelle martelée a tue tête a celui qui veut bien les ecouter. Pourtant les pères de famille un a un disparaîssent sans que le pouvoir judiciaire n’éclaire personne sur ce qui est arrivé, de quoi on les accuse, laissant dans un désarroi total des familles entieres.une. L’avenir de ces enfants a qui on enlève leur père est incertain et sûrement gâché. Au moment ou on raconte que le crime de sang est banni dans ce pays pourquoi ces gens disparaissent, pourquoi un double language? Ce qui se passe n’honore pas nos dirigeants qui ne parviennent a mettre en actions leurs prêches quotidiennes.
    La vie est sacrée personne ne devrait s’en approprier sauf le créateur lui même.
    Ces enfants sauront que quelques-uns au Burundi les ont rendus sans père et personne ne peut prédire leur reaction plus tard. On est sûrement entrain de perpétuer les cycles de vengeance habituelle entre la population. Ce pays manque de visionnaire convaincu et malheureusement condamné a revivre les memes cycles de violence.

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