Ce lundi 12 septembre, se sont tenues les élections des notables collinaires. Iwacu a fait le tour de plusieurs bureaux de vote où des irrégularités ont été constatées. Pire, des habitants et des opposants ont vu dans ces élections la main du parti du pouvoir.
Par Alphonse Yikeze, Fabrice Manirakiza, Eric Ndizeye et Jean-Noël Manirakiza
Lundi 12 septembre. Nous sommes au bureau de l’école Rehoboth de Kinanira IV. Les habitants sont en train de voter. Cependant, certains n’ont pas manqué de protester contre le modèle de la tenue des élections. « Ces élections ne respectent aucune règle. J’ai été commissaire de la CENI et je n’ai jamais vu des élections aussi mal organisées », se plaignait une dame qui venait de voter.
Un homme surenchérit. « Ça ce ne sont pas des élections ». La raison de ce mécontentement : la non-exigence des cahiers de ménages aussi bien pour les candidats que pour les votants.
« Avec l’exigence de la seule carte d’identité, quelqu’un peut voter dans différents quartiers ! Qui le saura ? », a jugé un habitant. Une autre habitante estimait de son côté que ne pas exiger le cahier de ménage pour les candidats permettait à des gens qui ne sont pas du quartier de se faire élire.
Interrogé, le chef de quartier, Gervais Niyungeko, a dit que l’exigence du cahier de ménage n’est mentionnée nulle part pour la tenue de ces élections et que la seule pièce exigée est la carte d’identité nationale.
Au Lycée municipal Musaga, les votants du quartier Gasebuye-Gikoto avaient une autre inquiétude. « En votant, les gens écrivent les noms du candidat sur un bout de papier qui ne porte aucune indication. Normalement, ces bulletins devraient être scellés d’un sceau communal. Il n’y a pas aussi d’empreinte digitale pour marquer que les gens ont déjà voté, ils peuvent écrire sur plusieurs morceaux de papier »
Ces habitants indiquaient avoir assisté à des scènes où des personnes votaient sans présenter des cartes d’identité. « Nous suspectons les membres du bureau de vote»
Au quartier Taba dans la zone Kamenge, le scrutin a débuté avec trois heures de retard. Les habitants accusaient le chef de quartier d’avoir formé le bureau de vote par filiation politique. « Il avait aligné des Imbonerakure », a indiqué un électeur.
Dans le quartier Magarama de la province Gitega, les votants se plaignaient d’une élection confisquée par l’administration. Selon ces électeurs, les dés étaient déjà pipés. « S’ils ne sont pas membres des comités de sécurité, ils sont anciens élus ou membre influents du parti au pouvoir dans le quartier ce qui n’a pas l’odeur de sainteté chez beaucoup qui aspirent au changement, exigent de l’indépendance et de l’impartialité de ces notables. »
Sur son compte Twitter, le Congrès national pour la liberté (CNL) a estimé que le scrutin des conseils des notables de collines et quartiers revêtait un caractère politique. « Dans divers coins du pays, sous l’œil complice de l’administration locale, les candidats ont été sélectionnés pour ne garder que ceux d’obédience du parti au pouvoir. »
Réactions
Simon Bizimungu : « Le processus était biaisé depuis l’enregistrement des candidats. »
Selon le Secrétaire général du Congrès national pour la liberté (CNL), le processus était biaisé depuis l’enregistrement des candidats. « Pour les écarter, nos militants étaient accusés de tous les maux. Dès le début, c’était mal parti. » De plus, déplore le Secrétaire général, la responsabilité a été donnée aux chefs de colline. « Ces derniers sont du parti au pouvoir. Tout ce qu’ils ont fait était pour l’intérêt du Cndd-Fdd. »
Concernant l’annonce du ministère de l’Intérieur qui stipule que les fonctions des Bashingantahe cesseront sur tout le territoire du Burundi dès la prestation de serment des membres des conseils des notables des collines élus, Simon Bizimungu trouve qu’il y a une contradiction au regard de la loi relative à la réinstitution du Conseil des notables de la colline.
« L’institution des Bashingantahe est une organisation qui est à part. Il fallait voir comment concilier les deux institutions afin qu’elles puissent toutes aider la population. Je ne comprends pourquoi on veut la suspendre. », Pour Simon Bizimungu ces notables élus ne seront pas indépendants vu la manière dont ils ont été élus.
Kefa Nibizi : « Sur plan légal, rien ne les empêchera d’être indépendants. »
Le président du parti Codebu Iragi Rya Ndadaye trouve que le scrutin des notables collinaires était sans enjeux parce que ça se limitait au niveau local. De plus, indique-t-il, le statut de ces notables n’est pas encore très bien clarifié au regard du cadre légal et réglementaire de leur mise en place qui est toujours à compléter. « Ça n’a pas suscité beaucoup de rivalités ou d’engouement sauf dans certains endroits. Ce qui nous amènerait à dire que d’une façon générale, le scrutin s’est bien déroulé. »
Quant à l’indépendance de ces notables, Kefa Nibizi pense que sur plan légal rien ne les empêchera d’être indépendants parce qu’ils travaillent de façon libre vu qu’ils ne dépendent d’aucune autre institution sauf la justice. « Certes, la corruption qui s’observe dans l’appareil judiciaire ou certaines ingérences politiques ne manqueront pas effectivement de toucher ces notables collinaires qui ont un statut moins stable, moins protégé par rapport aux autres instances judiciaires. »
Concernant la suppression de l’institution des Bashingantahe, le président du parti Codebu Iragi Rya Ndadaye indique que c’était une institution traditionnelle qui existe depuis les temps anciens et qui jouait un grand rôle dans le traitement des conflits locaux. « Au moment on est en train de moderniser et démocratiser toutes les institutions de la République y compris la justice, c’est normal qu’on puisse penser à des notables qui sont choisis par des locaux qui connaissent leurs capacités à gérer les conflits à l’aimable et à la satisfaction de tout le monde. » D’après lui, on ne pouvait pas faire cohabiter une institution traditionnelle qui n’est pas régie par la loi avec un organe qui a été mis en place par une loi, car il y aurait un chevauchement.
Zénon Nimubona : « C’est à l’Etat de maintenir plutôt cette tradition d’Abashingantahe. »
Pour le président du Parti pour le redressement national (PARENA), le gouvernement devrait plutôt lancer le processus pour que l’institution des Bashingantahe soit inscrite au patrimoine culturel de l’humanité au lieu de vouloir la supprimer. « L’Etat doit plutôt veiller à ce qu’elle reste dans la bonne tradition pour qu’il n’y ait pas de dérapages. Il est vrai que dans le temps les Bashingantahe travaillaient dans les conditions non monétaires, mais aujourd’hui chacun veut monnayer l’Ubushingantahe. » Pour lui, c’est à l’Etat de maintenir cette tradition.
Zénon Nimubona trouve qu’il y a déjà une différence entre l’élection des Bashingantahe et les notables collinaires. « Concernant les Bashingantahe, tout le monde vote. Même un enfant peut barrer la route. En principe, un Mushingantahe est le reflet de la société morale. Quant à l’élection des notables collinaires, la campagne commence par la corruption. Comment ne pas être corrompu quand tu commences par corrompre ? »
D’après Zénon Nimubona, l’élection des notables avait un caractère politique. « Dans le temps, un Mushingantahe était par définition non partisan. Contrairement à ces nouveaux notables qui appartiennent à des partis politiques. Cette situation divise les citoyens. »
Tatien Sibomana : « Un véritable dénigrement de l’institution des Bashingantahe.»
Pour le président de l’aile radicale de l’Uprona, les élections de notables ont été émaillées d’irrégularités. Et de citer la commune Mutambu (Province Bujumbura) où la population a carrément boudé les urnes. « Les personnes appréciées ont été empêchées de se présenter au profit de militants zélés du pouvoir ». Cela fait dire à Tatien Sibomana que ces élections étaient à la solde du parti au pouvoir qui verrouillait tout avec l’appui de l’appareil politico-administratif.
Comme conséquences négatives de cette situation, Tatien Sibomana note que ce Conseil collinaire va contenter uniquement le parti au pouvoir au lieu de servir la population qu’il a élu. L’ancien député d’Amizero y’abarundi pointe aussi du doigt un probable chevauchement entre les futurs conseillers collinaires et les élus collinaires. « Les pots-de-vin auparavant perçus par les élus collinaires le seront désormais par les conseillers collinaires. Il y aura donc un vrai conflit d’intérêts »
Ce juriste souligne également que les hommes et femmes élues n’étant pas aux places qu’il faut, les missions de conciliation et de réparation des dommages et intérêts lors de conflits attendus ne seront pas remplies telles que la population le souhaite.
Concernant la cessation des activités des Bashingantahe annoncée par le ministère de l’Intérieur, M. Sibomana parle de dénigrement de cette institution et espère que les Burundais ne sont pas dupes de la manœuvre du parti du pouvoir et continueront à avoir recours aux Bashingantahe plutôt qu’aux notables collinaires.
Ce ténor de la politique burundaise indique aussi que l’institution des Bashingantahe n’ayant jamais été mise en place par un décret ou une ordonnance, il ne voit pas en quoi elle peut être démise et qu’elle garde donc, selon lui, toute sa place.
Cet uproniste de longue date considère aussi que les Bashingantahe gardent leur utilité vu que tous les litiges ne sont pas de nature à se retrouver devant un tribunal.
Ivyerekeye akaranga kacu vyaje birazimangana tubona. Tugumana gusa yuko uko zivugijwe ariko zitambwa ! Umurundi aragamburukira n-uwumujanye kumwica !!!