Dimanche 20 octobre 2024

Politique

Elections de 2025 : Un calendrier taillé sur mesure ?

Elections de 2025 : Un calendrier taillé sur mesure ?
Selon Prosper Ntahorwamiye, le décret de convocation des électeurs sortira le 7 décembre 2024 et deux jours après, il y aura le dépôt des candidatures pour les élections législatives et communales.

La rencontre du 15 octobre 2024 entre la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et les autres partenaires électoraux a suscité plus d’inquiétudes quant à la préparation des élections 2025. L’objectif de la rencontre était de présenter le répertoire national des centres d’inscription des électeurs, le calendrier électoral ainsi que les modalités d’enrôlement. La date du dépôt des candidatures pour les élections des députés et des conseils communaux continue de susciter de remous. Pour certains leaders des partis politiques, il y a anguille sous roche.

Par Fabrice Manirakiza, Devis Gateretse et Stanislas Kaburungu

Selon Prosper Ntahorwamiye, président de la CENI, les élections législatives et des conseillers communaux se tiendront le 5 juin 2025, elles seront suivies des élections sénatoriales le 23 juillet 2025. Quant aux conseillers collinaires et de quartiers, leurs élections sont prévues pour le 25 août 2025.

Prosper Ntahorwamiye fait savoir que la CENI a répertorié un total de 4 246 centres d’inscription à travers le pays, avec 15 633 bureaux d’inscription où les citoyens pourront s’enregistrer pour participer aux élections.

Pour le président de la CENI, l’enrôlement des électeurs, qui débutera le 22 octobre 2024 et se poursuivra jusqu’au 31 octobre 2024, est une importance capitale. « C’est l’activité phare. Celui qui ne s’enrôlera pas ne pourra ni voter ni se présenter aux élections. » Il a appelé la population à se mobiliser massivement pour cette opération.

Le tollé

Lors de cette rencontre, Prosper Ntahorwamiye a indiqué que le décret de convocation des électeurs sortira le 7 décembre 2024. Deux jours après, c’est-à-dire le 9 décembre 2024, il est prévu le dépôt et vérification des candidatures pour les élections législatives et communales.

Depuis cette annonce, ce délai alimente un débat houleux. La première salve a été lancée ce jour même par Gabriel Banzawitonde, président de l’Alliance pour la Paix, la Démocratie et la Réconciliation (APDR). « Ceux qui diront que les élections sont déjà jouées n’auront pas tort. Les législatives auront lieu le 5 juin 2025, mais on nous demande de déposer nos candidatures en décembre 2024. Que faire de nos militants qui rejoindront en mars ? C’est terminé, les élections sont déjà finies », s’est-il désolé.

Olivier Nkurunziza, président de l’Uprona, a emboîté le pas. Pour lui, le délai de six mois avant les élections est très tôt pour le dépôt des candidatures. « En tant que politicien, les négociations sont constantes. Nous souhaitons que vous réduisiez cette période à deux ou trois mois. Rien n’empêche d’ajouter un nouveau membre à la liste des candidats trois mois avant le scrutin, si nécessaire. »

Prosper Ntahorwamiye a promis de poursuivre « le dialogue avec les parties prenantes, y compris les leaders des partis politiques, pour ajuster les modalités, tout en exhortant l’administration à faciliter l’octroi des pièces nécessaires ». Chez certains politiques burundais, c’est un calendrier taillé sur mesure pour le Cndd-Fdd.


Réactions

Agathon Rwasa : « C’est un excès de zèle sans précédent. »


« Je pense que la CENI y va par un excès de zèle sans précédent et fait une fausse interprétation de l’article 11 du Code électoral », réagit le député Agathon Rwasa. De surcroît, poursuit-il, les listes électorales émanent soit des partis politiques, soit des coalitions de partis politiques ou des indépendants. « Or, les coalitions des partis politiques ne sont pas autorisées avant la convocation des électeurs. »

Pour lui, il sied que la CENI soit rappelée à l’ordre pour qu’elle organise de véritables élections et mette un terme à son aventurisme servile. » Selon M. Rwasa, c’est un calendrier taillé sur mesure. « Il semble être hors-la-loi dès lors qu’il devance sans aucune raison ce que prévoit le Code électoral. »

Tatien Sibomana : « Il y a une volonté à peine voilée de consacrer un hold-up. »

Pour l’acteur politique Tatien Sibomana, le temps imparti à ceux qui voudraient se faire élire est tellement court. « Vous savez le nombre de documents qu’on exige ? Vous savez l’argent que cela demande ? Très peu de partis politiques seront en mesure d’être dans les délais. »

Et de se poser une question : pourquoi on veut que ces listes soient présentées le plus tôt possible ? « Ça veut dire qu’on donne à la CENI le droit de faire le triage. C’est un moyen de donner à la CENI et au parti au pouvoir de se donner le temps et les matériels pour chercher comment extraire des militants qui ne sont pas les enfants chéris du système de ces listes ou simplement annuler ces listes. » Quelque part, indique-t-il, il y a une volonté à peine voilée de consacrer un hold-up et de verrouiller les listes. « Voilà une preuve de plus que la CENI n’est pas nationale. »

Tatien Sibomana se demande ce qui empêche la CENI de passer par la concertation de tous les acteurs pour arrêter un calendrier électoral consensuel. « Pourquoi la CENI vient proclamer comme si c’est son affaire propre ? Elle vient imposer un calendrier, qui n’a pas été concocté par elle, mais qui est fixé par le parti au pouvoir et avalisé par la CENI qui est prétendument un organisme qui organise les élections pour tout le monde. C’est un calendrier taillé sur mesure et qui a fait tous ses calculs. »

M. Sibomana revient sur le cas d’Agathon Rwasa. « Notre justice, qui n’est pas indépendante, peut avoir reçu des injonctions pour montrer aux yeux du monde que le Cndd-Fdd n’influence pas la parole judiciaire et donner raison à Agathon Rwasa au mois de février ou de mars, mais lui opposer que les délais de dépôt de listes sont écoulés. Ça peut être un cas. Cela a aussi d’autres calculs qui pour moi ne sont pas cachés. »

Tatien Sibomana ne croit pas que les partis politiques burundais sont tellement organisés, ont tellement de moyens pour qu’ils soient à l’aise avec ce calendrier électoral.

Sahwanya-Frodebu et Codebu Iragi rya Ndadaye : « La CENI agirait par ignorance ou serait instrumentalisée ? »


Dans une déclaration signée conjointement par les présidents de ces deux partis, Patrick Nkurunziza et Kefa Nibizi, ils indiquent avoir été surpris par les délais attribués au dépôt de candidatures pour les prétendants aux postes de députés et de conseillers communaux. « L’article 29, al 2 du Code électoral stipule que les coalitions des partis politiques sont formées après la convocation des élections pour lesquelles elles veulent se constituer candidates. Le calendrier électoral mis en place par la CENI montre que cette dernière n’a réservé que deux jours pour la formation éventuelle des coalitions des partis politiques et la constitution de leurs listes électorales. »


Les deux partis rappellent que l’article 8, al 3 de la loi sur les partis politiques prévoit une longue procédure pour la formation d’une coalition, incluant notamment la tenue du congrès pour chaque parti politique qui désire être membre de la coalition et la mise en place des Statuts et du Règlement d’ordre intérieur de cette dernière.

Pour eux, la CENI n’a pas tenu en considération, dans la mise en place du calendrier électoral, de ce droit donné aux partis politiques de pouvoir se constituer en coalition lors des élections. « Nous sommes en droit de se demander si la CENI agirait par ignorance des exigences de la formation des coalitions des partis politiques et des difficultés sur terrain pour acquérir tel ou tel autre document ou serait instrumentalisée pour barrer la route à la participation des partis politiques aux élections de 2025 sous une forme qui leur convient. »

Ils exhortent la CENI de prendre conscience que les élections mal préparées et mal organisées conduisent à des drames tels que les assassinats, les emprisonnements, l’exil et bien d’autres malheurs. Ils encouragent le gouvernement et la CENI à préparer ces élections dans la transparence et dans l’inclusion en mettant en avant l’intérêt général « au risque d’être tenus responsables de toutes les conséquences qui en découleront. »

Jean de Dieu Mutabazi : « Le Radebu participera aux élections qu’il pleuve ou qu’il neige. »

Pour le président du parti Radebu, son parti a été pris de court parce qu’il ne s’attendait pas à voir une date aussi proche. Il fait savoir qu’il fait partie de ceux qui sont en train d’insister pour que cette période du 9 au 24 octobre soit glissée vers le premier trimestre de 2025. Comme plan B, il précise qu’ils sont en train de parer au plus pressés en envisageant la coalition avec les partis amis au Radebu : « Le Radebu participera aux élections qu’il pleuve ou qu’il neige », précise-t-il.

Il promet toutefois d’apprêter les dossiers, mais se demande pourquoi la CENI refuse de reculer la période.

Il fait savoir que certains administratifs ne sont pas spontanés pour signer sur les pièces que les candidats demandent et il réclame la disponibilité des administratifs à la base lors du traitement des dossiers des candidats.

Jean de Dieu Mutabazi affirme qu’il continue d’accorder le bénéfice du doute à la CENI : « On ne sait jamais. On attend de voir la manière dont le comptage des voix sera opéré, et même là, par précaution, nous sommes en train de dire à nos militants de préparer les différents mandataires pour qu’ils soient vigilants », précise-t-il.

Selon lui, le glissement du délai vers le premier trimestre de 2025 ne pourra pas déranger les opérations de vote pour les élections. Le président du parti Radebu réclame aussi la réduction du nombre de documents que la CENI exige pour les candidats et ainsi que le communiqué le plus tôt possible pour donner aux candidats l’occasion de s’organiser. Et d’ajouter : « Cela pourrait ramener à 100% la confiance envers la CENI et ses démembrements et favoriserait un climat apaisé ».

Gaspard Kobako : « Il y a lieu de se demander le pourquoi de cet empressement. »

Le président du parti Alliance nationale pour la Démocratie (AND) trouve paradoxal le fait de déposer les dossiers le 9 décembre 2024 pour un scrutin prévu le 5 juin 2025. Il indique qu’il a pu apprécier le climat et le malaise qui régnaient dans la salle où étaient invités tous les partenaires du processus électoral en cours.

Pour lui, la CENI accule les compétiteurs à déposer les dossiers dans un mois et demi en attendant une opération qui va avoir lieu dans 7 mois. Il affirme que tout est permis pour une administration à la base qui a été et reste, selon lui, accusée d’être à l’origine des intimidations, harcèlements et d’autres violations des droits humains des adversaires, malgré les appels au calme par différentes autorités à l’échelon supérieur.

Il donne l’exemple de la collecte des cotisations forcées en faveur du parti au pouvoir et les abus des administratifs à l’endroit des administrés : « Au regard du temps imparti pour le dépôt des dossiers, il y a lieu de se demander le pourquoi de cet empressement et plusieurs voix se sont exprimées et inquiétées de visu et de vive voix sur la présomption que les résultats aux élections de 2025 soient quasi prévisibles ».

Il fait savoir que les voix ont fusé de toute part y compris de la part de ceux qui, traditionnellement, se rendaient sympathiques ou aimables envers les structures étatiques.

Il ajoute que la CENI s’en lave les mains quand elle affirme que c’est l’instrument juridique qui lui a été fourni à savoir le calendrier électoral proposé et validé par le législatif et que donc ce n’est pas de leur ressort d’en décider autrement : « S’il y a eu une délibération ultra petita pour nos illustres représentants à l’hémicycle de Kigobe, il faut trouver un mécanisme de revoir le calendrier électoral pour plus de réalisme et de crédibilité »

Il précise en outre que ne pas le faire équivaudrait à ouvrir une voie à toutes les critiques et se demande pourquoi acculer les compétiteurs à l’impossible et pourquoi leur mettre les bâtons dans les roues. Il constate qu’il y a anguille sous roche. Gaspard Kobako qualifie de politique lâche, la réunion avec les partenaires aux élections de 2025 dans la mesure où le mot « c’est fini » était répété à plusieurs reprises.

Selon M. Kobako, l’unanimité à cette réunion a prouvé que tous les acteurs au processus électoral s’inquiétaient du calendrier. Il propose que pour que le processus électoral soit crédible, la CENI doive tenir compte de cet appel de la majorité plaignante des acteurs politiques en acceptant leurs propositions de l’adaptation du calendrier électoral et surtout qu’il ne soit pas contraire à l’esprit et la lettre de la Constitution.

A titre d’exemple, il montre combien l’esprit de coalition est impossible, voire difficile au regard du temps court pour organiser des consultations y relatives et trouve que c’est une violation : « La CENI devrait faire un rapport au gouvernement et y répercute les préoccupations des partis politiques et autres acteurs », propose-t-il.

Térence Manirambona : « La Ceni a violé le Code électoral. »

« La CENI devrait permettre aux partis politiques, aux coalitions des partis politiques ou aux indépendants d’avoir un temps suffisant pour la confection des listes », réagit Térence Manirambona, porte-parole du parti CNL.

D’après lui, déposer des listes de candidatures au mois de décembre et qui seront publiées au mois de janvier alors que les élections vont se dérouler le 5 juin 2025 est une période très longue et peut provoquer beaucoup de problèmes. « D’abord la gestion et la sécurité des candidats. Stabiliser une liste pendant plus de 5 mois alors que c’est une période de recrutement, de compétition et de campagne, ça risque de causer plus de difficultés. Il y a risque de menaces et d’intimidations. Il y a aussi la mobilité des candidats. Une personne peut être sur une liste d’un parti politique et avec la campagne électorale, il peut changer de parti. »

Il se demande alors le pourquoi de cette précipitation alors qu’on était habitué à ce que les listes de candidatures soient publiées un mois ou deux avant les élections. « Si on consulte le Code électoral, la CENI évoque les articles 108,109 et 130 du Code électoral pour justifier le dépôt. Or, ces articles ne mentionnent nulle part ce délai très court pour que les partis politiques, les coalitions de partis ou les indépendants déposent les listes des candidats. Même la base légale n’est pas justifiée du moins si on consulte le Code électoral. »

Le porte-parole du CNL évoque aussi la question du dépôt des listes des mandataires politiques. « La CENI donne une période de 3 mois. C’est-à-dire que ces listes doivent être déposées du 14 au 18 janvier 2024. Au niveau du parti CNL, nous avons un mauvais souvenir. Si les listes des mandataires politiques sont données à l’avance, nous avons vu qu’il y a des menaces et des intimidations des mandataires. Certains d’entre eux ont d’ailleurs préféré fuir parce qu’ils étaient menacés. Cela donc n’augure rien de bon. »

Il évoque l’article 41, alinéa 3 du Code électoral qui stipule que : « Leurs noms, prénoms, dates, lieux de naissance et adresse sont notifiés à la Commission Electorale Provinciale Indépendante au moins vingt jours calendrier avant le scrutin. »

« Nous pensons, jusqu’ici que la CENI devait montrer son impartialité et sa transparence parce que les prochaines élections ne sont pas pour le CNDD-FDD, mais pour tous les Burundais. La réunion du 15 octobre était juste de nous informer. Sinon, les partenaires électoraux n’ont pas été consultés pour fixer cette disposition. »

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