Lundi 21 octobre 2024

Politique

Elections de 2025 : Des zones d’ombre autour de la législation électorale

21/10/2024 0
Elections de 2025 : Des zones d’ombre autour de la législation électorale
Les élections s’organisent conformément au nouveau découpage

Bien que le train conduisant aux élections de 2025 soit en marche au Burundi, certains acteurs politiques s’inquiètent de « l’incohérence » entourant les lois électorales. Selon eux, il y a des dispositions qui portent à confusion ou qui se contredisent. Si aucun ajustement juridique n’est fait à temps « il y a risque de chevauchements lors de l’encadrement et de la conduite des élections ».

« La bonne organisation des élections, garantie par la stricte application des textes, est l’un des piliers de la démocratie », observe un spécialiste du droit électoral.

Au Burundi, la Commission électorale nationale indépendante, Ceni, a dévoilé le mardi 15 octobre 2024, le calendrier électoral de 2025 et d’autres activités électorales connexes. « L’enrôlement des électeurs durera dix jours et est prévu du 22 au 31 octobre 2024. C’est l’activité phare. Toute personne voulant se faire enrôler devra obligatoirement présenter une carte nationale d’identité en cours de validité. Et celui qui ne s’enrôlera pas ne pourra ni voter ni se présenter aux élections », a annoncé Prosper Ntahorwamiye, président de la Ceni. C’était lors de la présentation du répertoire national des centres d’inscription des électeurs, du calendrier électoral ainsi que des modalités d’enrôlement en vue des élections de 2025.

Cette annonce suscite ainsi des inquiétudes et critiques dans l’opinion. « Que se passe-t-il avec ce processus électoral ? Lorsque le président de la Ceni parle d’une carte nationale d’identité valide, il s’agit de quelle carte ? Celle délivrée conformément à l’ancienne délimitation territoriale et administrative ou l’actuelle ? », s’interrogent certains candidats à l’enrôlement rencontrés.

La nouvelle carte d’identité joue la crédibilité

Pour Tatien Sibomana, dans l’ordre normal des choses, on devrait distribuer de nouvelles cartes nationales d’identité conformément à la nouvelle délimitation administrative et territoriale du Burundi. « Mais, à voir le temps qui reste pour faire l’enrôlement des électeurs, est-ce que cela sera déjà fait ? » s’interroge-t-il.

S’il advenait que ces cartes nationales d’identité soient délivrées, poursuit ce juriste de formation, qui est cette autorité qui va les signer du moment que les responsables administratifs actuels exercent leurs fonctions dans les limites tracées par l’ancienne délimitation ?

« On va donc voter dans un désordre le plus absolu où il n’y a aucun document administratif qui va faire foi et être le seul document administrativement reconnu et conformément à la nouvelle loi sur la délimitation administrative et territoriale. Parce qu’on est en face de deux lois toujours opérationnelles », déplore cet ancien procureur de la République à Gitega.

Du côté de l’Assemblée nationale qui vote les lois, le vice-président de la Commission des Affaires politiques, administratives, des Relations extérieures et de la Communauté est-africaine dit qu’il est plus que temps que la réforme administrative soit appliquée et vécue. Sinon, on irait tout droit vers un chaos administratif et des élections mal famées.

« La nouvelle loi portant délimitation des provinces, communes, zones, collines et quartiers du Burundi devrait être appliquée dans son entièreté pour ce qui est des élections. Le fichier électoral doit être reconstitué car les cartes nationales d’identité en usage aujourd’hui ne correspondent pas avec le nouveau découpage administratif », épingle Agathon Rwasa, vice- président de ladite Commission.

Des contradictions ?

À la lumière de la loi organique n°1/05 du 16 mars 2023 portant détermination et délimitation des provinces, communes, zones, collines et/ou quartiers de la république du Burundi, l’organisation des élections en vue doit se faire conformément à cette loi.

L’article 7 stipule qu’« en attendant l’organisation des élections conformément à la présente loi, les institutions en place restent en fonction ». Et pourtant, l’article 8 énonce que « toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi sont abrogées ». Et l’article 9 de renchérir : « La présente loi organique entre en vigueur le jour de sa promulgation ». Il en est de même pour les articles 120, 122 et 123 de la loi communale.

Cette dernière mentionne, dans son article 41, alinéa 1 que « dans sa commune, l’administrateur communal représente l’Etat ». Selon l’alinéa 2, « il exerce, dans les limites territoriales de son ressort, un pouvoir général de police. Il prend à cet effet toute mesure de police qu’il juge utile au maintien de l’ordre et de la sécurité publique ».

L’administrateur communal doit ainsi soumettre le rapport au gouverneur de province (premier degré) selon les articles 89 et 91 de cette même loi.

Le vice-président de la Commission des Affaires politiques à l’Assemblée nationale révèle d’ailleurs qu’il y a des articles d’une même loi qui sont parfois contradictoires et qui traduisent les élans discriminatoires.

Il donne l’exemple de la répartition des sièges des parlementaires qui, selon lui, viole l’article 19 de la Constitution et l’article 25 du Pacte international des droits civils et politiques.

D’après Tatien Sibomana, il n’est pas nécessaire d’être juriste pour constater qu’il y a des contradictions de certains textes de lois régissant les élections voire des chevauchements de ces textes.
« Vous ne pouvez pas dire que la présente loi entre en vigueur le jour de sa signature alors que quelque part vous avez dit que les institutions en place restent en fonction jusqu’aux élections à venir bien que ces articles soient dans le chapitre des dispositions transitoires et finales ».

Par ailleurs, observe M. Sibomana, le nouveau Code électoral se penche sur le nouveau découpage administratif et territorial alors que cette loi stipule justement que les nouvelles entités administratives seront fonctionnelles après les élections.

Il n’y a pas d’autorités qui vont répondre de ces nouvelles structures administratives. « C’est une incohérence qui a de lourdes conséquences sur l’applicabilité même de ces textes et sur la faisabilité du processus électoral. Parce qu’effectivement, on a un appareil administratif conforme à l’ancienne délimitation alors que les élections sont organisées conformément à la nouvelle. Cela veut dire en outre que les prochaines élections vont être organisées dans un cadre administratif inconnu. Parce que la nouvelle administration ne sera pas encore fonctionnelle. On aura encore 119 administrateurs communaux et 18 gouverneurs provinciaux ».

Des chevauchements inédits

À propos des chevauchements, Tatien Sibomana montre qu’au vu des attributions d’un administrateur telles qu’inscrites dans les articles 41, 89 et 91 de la nouvelle loi communale, d’aucuns peuvent se poser la question de savoir qui est l’autorité qui va répondre du bon ou du mauvais déroulement des élections dans ces nouvelles entités administratives.

« Il y a par exemple une nouvelle commune qui regroupe quatre anciennes communes. Qui est cet administrateur qui va répondre aux responsabilités de cette nouvelle entité parmi les quatre ? Car, chaque administrateur exercera jusque-là ses fonctions dans les limites territoriales conformément à l’ancienne délimitation et à la Constitution. Mais, les élections seront organisées en dehors de sa structure administrative. Il n’y a pas de responsables qui vont répondre des défaillances ou des manquements qui seront constatés dans une circonscription nouvelle qui n’a pas encore d’administration conséquente ».

M. Sibomana souligne qu’il en est de même pour l’administration provinciale. L’article 143 alinéa 1 de la Constitution mentionne que « le gouverneur de province est chargé de coordonner les services de l’administration œuvrant dans sa province ». Or, insiste-t-il, la nouvelle province de Bujumbura regroupe par exemple les anciennes provinces de Cibitoke, Bubanza et la mairie de Bujumbura. « Qui, entre ces trois gouverneurs, va recevoir les actes des autorités communales pour en appliquer l’approbation, la suspension, l’annulation et/ou la substitution comme le stipule la loi ? ».

Il sera difficile, conclut Tatien Sibomana, de connaître si les résultats des urnes sont réels. Car, explique-t-il, il n’y aura pas réellement de critères pour apprécier correctement si le nombre d’électeurs qui auront été recensés est conforme à la réalité. « Et si cela a été fait à dessein ? Parce qu’on ne peut pas envisager un processus électoral dans un désordre légal ».

Pour rappel, lors d’une réunion du 9 octobre 2024, Gervais Ndirakobuca, Premier ministre burundais, a reconnu le retard dans la mise en application de la nouvelle loi sur la délimitation administrative et territoriale. Et face à tous ces défis, il a demandé à tous les ministres de prendre des mesures qui s’imposent pour que cette loi soit présentée à l’Assemblée nationale dès la reprise des sessions parlementaires du mois de décembre. « Le compte à rebours est lancé. Il y a urgence ».


Eclairage

« Ces questions devraient être déjà vidées »

Spécialiste des élections et professeur du droit électoral, Denis Banshimiyubusa observe qu’il n’est pas trop tard pour corriger tous ces manquements.


Il rappelle, d’entrée de jeu, que c’est devenu presque une pratique habituelle pour les textes de lois promulgués au Burundi de tomber sur des contradictions, soit en interne avec ce même texte de loi, soit en contradiction avec d’autres textes dont même la Constitution. « Certaines dispositions de ces textes sont contradictoires entre elles-mêmes ou entre elles et les dispositions de la Constitution. Dans ce cas, nous avons des textes anticonstitutionnels ».

Il donne l’exemple de la Constitution de juin 2018. Elle stipule, dans son article 292, que « la présente Constitution adoptée par référendum du 17 mai 2018 entre en vigueur le jour de sa promulgation ». Or, observe ce politologue, elle n’a jamais été promulgué, mais elle a été tout simplement signée en juin 2018. Il a fallu attendre 2020 pour que cette Constitution donne le produit institutionnel conformément à son prescrit.

Concilier des choses inconciliables

Le politologue indique que ces questions devraient être vidées par la Ceni et le ministère ayant l’administration territoriale dans ses attributions. Ce qui n’a pas été le cas.

Par exemple, souligne Denis Banshimiyubusa, si une nouvelle commune regroupe trois ou quatre anciennes communes et que les démembrements de la Ceni au niveau des communes ont été mis en place conformément au nouveau découpage, on va avoir trois communes sous l’autorité électorale d’une seule personne. C’est-à-dire qu’une Ceci (Commission électorale communale indépendante) va s’étendre sur trois communes.

Or, éclaire-t-il, la Ceci devrait, en réalité, être en collaboration avec un administrateur communal d’une nouvelle commune. Mais, celui-ci n’existe pas encore. « Alors, cette Ceci va travailler avec quel administrateur ? Je pense qu’on est en train de concilier les choses difficilement conciliables ».

Cela, analyse le professeur, risque d’entacher la crédibilité des résultats. Parce qu’il s’avère déjà que le contrôle, au niveau électoral et territorial, risque de se retrouver être entachés de beaucoup d’irrégularités. « En réalité, les membres d’une Ceci, qui sont mis en place conformément au nouveau découpage, auront du mal à travailler avec trois anciens administrateurs communaux dans ce qui est appelé une nouvelle commune. C’est là où le contrôle va être difficile. D’ailleurs, en centralisant les résultats dans cette nouvelle commune, on va écrire quelle délimitation ? On risque d’avoir des résultats biaisés ou une absence de crédibilité au niveau des résultats comme conséquence néfaste de cette superposition de deux délimitations ».

D’après cet analyste, il en sera de même au niveau des provinces. Parce qu’il y a de nouvelles provinces qui regroupent trois ou quatre anciennes provinces. « Alors là, la Cepi (Commission électorale provinciale indépendante) va travailler avec quel gouverneur ? Car, ce dernier n’existe pas encore. Comment va se faire la centralisation des résultats ? Où sera logé le siège de la Cepi ? Est-ce que cela sera dans la nouvelle province ou on cherchera à garder les anciens sièges des anciennes Cepi ? », s’interroge-t-il.

Toutefois, Denis Banshimiyubusa souligne que ce n’est pas trop tard pour corriger tous ces manquements. Il propose à la Ceni de s’asseoir ensemble avec les partenaires électoraux à la tête desquels se trouve le ministère ayant dans ses attributions l’administration territoriale pour essayer de vider ces questions.

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