Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissements de l’actuelle crise de leadership qui mine l’Eglise adventiste, Iwacu est remonté aux origines d’un conflit aux multiples rebondissements.
Selon nos sources au sein de l’Eglise adventiste du Septième jour, tout part d’un audit pratiqué en septembre-octobre 2018 qui a révélé un détournement de fonds à hauteur de 300.000.000 BIF. L’audit avait été téléguidé sous les auspices du siège mondial de l’Eglise adventiste aux Etats-Unis. Le trésorier du nom Leonard Biratevye, Paul Irakoze, secrétaire exécutif et le dirigeant de l’Eglise au Burundi, le pasteur Joseph Ndikubwayo sont rapidement mis en cause. Ce dernier sera destitué par la division-Afrique en date du 6 novembre 2018.
De fait, un nouveau pasteur-chef est désigné : il s’agit de Lamec Barishinga. Le nouveau venu est assez vite contesté au sein de l’Eglise : son épouse, employée au service de comptabilité, est accusée d’être complice de Paul Irakoze et Leonard Biratevye.
Par après, s’estimant lésé, Joseph Ndikubwayo dépose plainte auprès du ministère de l’Intérieur. Les 7 et 8 mars 2019, le ministre Pascal Barandagiye reçoit une délégation de représentants de la Conférence Générale de l’Eglise adventiste. Les discussions portent sur les problèmes de leadership au sein de l’Eglise. Le 13 mars, la Conférence générale écrit au ministère de l’Intérieur et maintient le nom de Lamec Barishinga auparavant nommé par la division-Afrique de l’Eglise adventiste. Réagissant à cette correspondance, dans sa lettre du 17 avril 2019, le ministre Barandagiye, estimant que la nomination de Lamec Barishinga a soulevé des troubles au sein de l’Eglise, juge bon d’instaurer une transition dirigée par Joseph Ndikubwayo et demande aux leaders de l’Eglise adventiste d’élire un nouveau Représentant légal consensuel, « le plus rapidement possible afin de vider cette situation ».
Dès lors, la division s’était déjà opérée au sein des fidèles de l’Eglise : le camp Joseph Ndikubwayo et le camp Lamec Barishinga. Ce dernier prend d’ailleurs la décision d’arrêter de pratiquer son culte dans les églises. Aux dates du 3 janvier et du 20 août 2020, l’actuel ministre de l’Intérieur Gervais Ndirakobuca, alors chef du service national de renseignement, tient des réunions avec les deux parties pour tenter de trouver un leader consensuel. En vain.
Le 21 septembre 2020, le ministre Gervais Ndirakobuca prend acte de la décision de la Conférence générale qui a nommé David Bavugubusa pour assurer la transition à la tête de l’Eglise adventiste du Burundi. Néanmoins, le conflit demeure. Dans les jours qui suivent la décision du ministère, les fidèles partisans du camp Lamec Barishinga font la descente et exigent le départ des Eglises des partisans de Joseph Ndikubwayo. Ces derniers refusent. Des violences entre les deux camps éclatent dans certaines Eglises.
Le 21 octobre, quatre anciens responsables dont Joseph Ndikubwayo sont arrêtés. Après cinq jours passés au BSR, ils sont relâchés.
Avantages d’un pasteur-chef de l’Eglise adventiste
De nos sources, nous apprenons qu’à sa prise de fonctions, le dirigeant de l’Eglise adventiste au Burundi a droit à une maison louée entre 400.000 et 500.000 BIF en Mairie de Bujumbura.
S’il ne dispose pas de véhicule, l’Eglise lui offre un crédit de 5% pour s’en procurer un. « Sans oublier qu’il lui est aussi offert des bons d’essence », précisent nos sources.
Ajoutés à cela, les frais de scolarité et les soins de santé qui sont pourvus pour les enfants.
Ce n’est pas tout. A côté de son salaire, le pasteur-chef bénéficie de primes, frais de mission, etc.
Eclairage/ Pr Nicodème Bugwabari : « Dans les Eglises, on se bat pour la domination »
L’historien et sociologue des religions décrypte les conflits qui minent actuellement de nombreuses Eglises.
Eglise adventiste, Eglise El-Shaddaï… les crises de leadership se multiplient au sein des Eglises. Quel sentiment cela vous inspire ?
Les crises et les conflits sont des phénomènes tout à fait normaux, où que l’on soit dans chaque groupement social. Donc, il est normal qu’au sein des Eglises, il y ait aussi des conflits. Les conflits, c’est ce qu’il y a de plus humain. Il ne faut pas se dire que les Eglises chrétiennes sont des lieux où l’amour doit être au centre, c’est peut-être l’idéal mais de l’idéal à la réalité, il y a un gouffre. Les Eglises ne se définissent pas toujours par l’amour qu’elles auraient mis au centre de leur enseignement. Parfois, c’est autre chose qui n’a rien à voir avec l’amour.
Pour vous, le conflit est consubstantiel au fonctionnement des Eglises ?
Ça l’est absolument. Les groupements religieux sont des groupements sociaux. Quand je parle d’un groupement, je parle d’une réalité sociale qui marche à la communalisation et à la sociation. La communalisation est le processus d’activation du sentiment d’appartenance. Lorsque ce sentiment d’appartenance n’existe plus, l’Eglise s’effondre. Dans les Eglises, les gens ont des intérêts différents en finalité, c’est-à-dire au niveau des biens matériels, notamment l’argent. Pour les Eglises, il faut qu’elles puissent activer la sociation, c’est à dire le compromis. S’il n’y a plus de compromis, tout s’effondre. A ce niveau-là, on traite d’une Eglise comme on traite d’un parti.
Parmi les nœuds du problème, il y a aussi l’argent dont vous veniez de parler. Les Eglises sont-elles condamnées à se rabaisser à cela ?
Ce n’est pas du tout se rabaisser. Vous dites cela car vous avez une idée préconçue de la religion, que le religieux fonctionne au désintéressement, à l’idée de pauvreté. C’est tout à fait normal que les Eglises s’intéressent à l’argent. D’ailleurs, les histoires d’argent sont même inscrites dans les textes sacrés. Quand vous visitez les textes de l’Ancien testament, vous voyez apparaître la dîme. A ce niveau, il y a la question de ce qu’on doit offrir à Dieu. L’observation est intéressante car ce sont des leaders charismatiques qui gèrent cet argent. Quand on parle de religion, il y a une communauté et un chef religieux. Un chef religieux qui exerce une domination. On n’a rien compris à la religion si on ne saisit pas la dimension de la communauté et la dimension de la domination. Or ceux qui exercent la domination le font aussi sur la dîme et sur les biens de l’Eglise.
Ainsi les affaires d’argent qui minent les Eglises ne vous surprennent pas ?
Non car j’ai une vision beaucoup moins lyrique, idyllique ou poétique de ce que c’est qu’une Eglise. Ce sont des groupements qui exercent un type de domination particulier sur les hommes. Dans les Eglises, on se bat pour la domination. Surtout les Eglises beaucoup moins institutionnalisées. Il y a des Eglises beaucoup plus institutionnalisées, comme l’Eglise catholique qui a un droit canon qui régule tout. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de conflit, mais c’est beaucoup plus régulé que dans les Eglises protestantes parce qu’il y a ce degré d’institutionnalisation qui est élevé pour l’Eglise catholique. Dans les Eglises protestantes, il y a un degré d’institutionnalisation beaucoup plus faible. Dans les Eglises protestantes, les séparations se font assez rapidement. Il y a une sorte d’individualisme au sens où ce sont les individus qui se mettent en exergue. Cet individualisme se voit depuis la Réforme protestante jusqu’à nos jours. Si bien que quand il y a un problème de grande ampleur, bonjour les divisions. Alors à ce moment-là naîtra un autre leader charismatique, une autre communauté qui aura une vision aux antipodes de celle de l’Eglise-mère.
Ces conflits ne naissent-ils pas aussi du fait que les Eglises sont plus basées sur des personnalités que sur des valeurs ?
Les Eglises sont quand même basées sur des valeurs. Il y a des représentations sous forme de valeurs. Cependant, ces Eglises qui ont des valeurs sont aussi basées sur des personnalités. Vous ne pouvez pas les définir si vous ne parlez pas de l’autorité charismatique du leader religieux. Comment peut-on parler de l’Eglise catholique sans la personnalité du pape ? Comment pouvez-vous parler de telle Eglise protestante sans le leader d’une telle Eglise ? Dans les Eglises protestantes, à cause du faible degré d’institutionnalisation, la personnalité est tellement forte que quand il s’en va, tout peut s’effondrer. Il y a des valeurs partout, mais cette réalité sociale hiérocratique ne s’exerce pas de la même façon dans les Eglises dont nous sommes en train de parler. Souvent, ce sont des personnalités très fortes que quand on entre dans les Eglises où elles exercent, c’est elles qu’on aperçoit d’abord.
Propos recueillis par Alphonse Yikeze