Dans une ordonnance conjointe, trois ministères ordonnent l’acquisition obligatoire d’une Carte d’assurance maladie (CAM) pour tout ménage qui n’est pas affilié à aucune autre mutualité d’assistance maladie. Des questionnements ne manquent pas chez certains administratifs des structures sanitaires. Les utilisateurs s’en réjouissent tout en dénonçant les spéculations dans son acquisition. En vue de son succès, Jean Ndenzako, un expert économiste donne des éclairages
Réalisé par Stanislas Kaburungu(Journal Iwacu) et Adiel Bashirahishize (Magazine Jimbere)
Le 24 février 2025, l’Office burundais des recettes (OBR) a sorti un communiqué relatif à l’acquisition obligatoire de la Carte d’assurance maladie dite CAM pour chaque ménage ainsi qu’à toute personne ayant atteint 18 ans révolus en se référant à l’ordonnance ministérielle conjointe n°630/540/530/1021 du 7 février 2025. Le document a été signé par le ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire ; celui des Finances, du Budget et de la Planification économique ainsi que celui de la Santé publique et de la Lutte contre le sida.
Dans ce communiqué, l’OBR fixe le 31 mars comme date butoir pour cette acquisition à chaque personne qui n’est affiliée à aucune autre mutualité d’assistance maladie comme la Mutuelle de la Fonction publique, les mutualités communautaires ou toute autre assurance maladie.
Un administratif dans un hôpital qui a requis l’anonymat approuve cette mesure quant à l’intérêt des malades démunis. Mais, il se pose la question de savoir si le ministère viendra à bout de la couverture des factures. « Ce ne sont pas d’ailleurs tous les soins des utilisateurs habituels des cartes que nous couvrons. Il y a des soins qu’ils sont obligés de couvrir eux-mêmes à 100%.
Par exemple ceux qui subissent des opérations chirurgicales. Alors, si ce sont tous les patients de cette unité sanitaire qui vont présenter cette carte, il risque d’y avoir fermeture. Avec tout ce grand nombre de malades présentant des CAM pour la couverture de 80% des soins que l’hôpital aura administrés, ça sera difficile », raconte-t- il.
Un autre problème pour cet administratif est le risque d’irrégularités ou de tricheries comme celles observées dans certains centres sanitaires dans le cadre de la mesure de la gratuité des soins chez les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. « Cette mesure de gratuité des soins a été suspendue dans certains centres sanitaires pour cause d’irrégularité et ce même problème risque d’avoir lieu ».
Les utilisateurs de la CAM approuvent son utilité mais…
Le prénommé Déo de la mairie de Bujumbura raconte que sans la CAM, son fils serait gardé à l’hôpital pour factures impayées. Dépisté d’une maladie chronique et après une très longue hospitalisation, la facture de l’enfant de ce quinquagénaire était hors de portée des moyens dont disposait sa famille.
Il raconte qu’il a été obligé de chercher la Carte d’assurance maladie et l’accord du ministère ayant la Solidarité nationale dans ses attributions pour pouvoir s’en sortir. « Même si les démarches n’ont pas été faciles dans l’obtention d’un papier pour accompagner la CAM, j’ai payé 20% de ce que je devais à l’hôpital »
Le prénommé Evariste de la commune Mabanda dans la province de Makamba rencontré à Bujumbura, quant à lui, raconte que lors de sa première présentation de la CAM dans une structure sanitaire de Bujumbura, il s’est vu renvoyer dans son district sanitaire pour qu’on lui donne une fiche de référence et de contre référence afin de pouvoir bénéficier des soins avec l’utilisation de sa carte d’assurance maladie.
« Comme ma maladie ne pouvait pas être traitée dans la structure sanitaire de ma commune, je devais aller dans un centre hospitalier public capable de me soigner. On m’a dit que ma CAM n’est utilisée que pour des soins primaires et que pour des cas compliqués, le directeur de district doit me faire une fiche de référence pour que je puisse utiliser la CAM dans un centre spécialisé », explique-t-il.
Rareté de la carte et spéculations
Dans certains centres de santé, des agents vendent ces cartes à un prix qui dépasse l’entendement. « Avec une carte CAM vierge qui coûte normalement 3 000 BIF, je peux avoir une somme allant jusqu’à 100 000 BIF parce qu’il y a des malades qui en ont souvent besoin en urgence », raconte un agent qui travaille dans un des centres de santé de la commune Mutimbuzi en province de Bujumbura.
Dans la province de Kayanza, les habitants déplorent la rareté de ces cartes. Un habitant de cette province témoigne qu’il vient de faire deux mois à parcourir les centres de santé pour avoir la CAM, mais sans succès. Les rares endroits où il a pu la trouver, elle se vend entre 25 000 et 30 000 BIF.
Le directeur du Bureau provincial de santé à Kayanza indique qu’au début de l’année, la province n’a reçu que 3 000 cartes CAM. Il estime que le nombre de cartes reçues est largement inférieur aux demandeurs.
Au centre médico communautaire de Buyenzi, CMC, les demandeurs de la carte se plaignent du service offert par le bureau dans lequel ils achètent la CAM. « D’abord le bureau ouvre à 8h du matin pour fermer à 12h alors qu’il y a trop de demandeurs. En plus, le bureau accueille les malades et gère la vente de la carte. Ce qui n’est pas du tout pratique », fait savoir un demandeur.
Entretien avec Jean Ndenzako : « Une approche économiquement viable nécessiterait la création d’un fonds autonome pour la CAM »
Que pensez-vous de la Carte d’assurance maladie (CAM) rendue aujourd’hui obligatoire ?
La CAM représente une étape potentiellement importante vers un système de protection sociale plus inclusif au Burundi, mais son succès dépendra de nombreux facteurs structurels.
L’introduction d’une assurance maladie obligatoire et accessible financièrement s’inscrit dans une tendance mondiale visant à étendre la couverture sanitaire universelle. Le principe fondamental de l’assurance maladie repose sur la mutualisation des risques : les cotisations de nombreuses personnes permettent de financer les soins de ceux qui tombent malades.
À 3 000 BIF, le coût semble relativement accessible pour une partie de la population, mais représente encore un investissement significatif pour les ménages les plus vulnérables qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. Le caractère obligatoire vise certainement à créer un pool de risque suffisamment large pour assurer la viabilité financière du système.
L’expérience mondiale montre que les systèmes d’assurance maladie les plus efficaces ont besoin de trois éléments fondamentaux : une bonne gouvernance financière, une couverture suffisamment large, et des services de santé de qualité accessibles. Or, c’est précisément sur ces aspects que le Burundi fait face à des défis considérables.
Est-ce une solution efficace pour assurer les soins de santé des Burundais ?
Une assurance maladie n’est qu’un mécanisme de financement. Son efficacité dépend de la qualité du système de santé qu’elle finance et de la rigueur dans sa gestion.
Pour comprendre l’efficacité potentielle de la CAM, il faut distinguer le financement de la santé de la prestation des soins. L’assurance maladie résout théoriquement le problème du financement en transformant des dépenses de santé imprévisibles et potentiellement catastrophiques en contributions régulières et planifiables. Cependant, cette solution n’est efficace que si les fonds collectés sont correctement gérés et effectivement utilisés pour améliorer l’accès aux soins.
Au Burundi, l’efficacité de la CAM sera conditionnée par plusieurs facteurs. Premièrement, la capacité du système à collecter et à gérer efficacement les cotisations. Un taux de recouvrement faible compromettrait l’équilibre financier du système tandis qu’une mauvaise gestion des fonds risquerait de détourner les ressources de leur objectif sanitaire.
Deuxièmement, l’état du système de santé. Le Burundi compte environ un médecin pour 20 000 habitants et les infrastructures sanitaires sont inégalement réparties sur le territoire. Une assurance maladie ne crée pas instantanément des hôpitaux, des médicaments ou des médecins.
Troisièmement, le panier de soins couverts. Si la CAM ne couvre qu’un nombre limité de services ou impose des restrictions importantes, son impact sur la santé des Burundais sera limité.
Enfin, la rapidité des remboursements aux prestataires de soins. Un système où les établissements de santé doivent attendre des mois pour être remboursés ne peut pas fonctionner efficacement.
Quel est l’impact sur le fonctionnement des formations sanitaires surtout que les impayées du gouvernement aux hôpitaux s’accumulent déjà ?
Les retards de paiement constituent un risque majeur pour le système de santé burundais et pourraient compromettre l’efficacité de la CAM.
Le programme de gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans illustre parfaitement les défis auxquels pourrait faire face la CAM. Ce programme, louable dans ses intentions, a créé une pression financière considérable sur les établissements de santé, qui doivent continuer à fonctionner malgré des remboursements tardifs ou incomplets.
Les conséquences de ces arriérés sont multiples et graves. D’abord, ils créent des problèmes de trésorerie qui empêchent les hôpitaux d’acheter des médicaments, de maintenir leurs équipements ou même de payer régulièrement leur personnel. Ensuite, ils encouragent des pratiques compensatoires comme la surfacturation d’autres services ou le rationnement des soins. Enfin, ils minent la confiance des professionnels de santé dans le système.
L’introduction de la CAM risque d’exacerber ces problèmes si des mesures ne sont pas prises pour garantir un financement adéquat et des remboursements rapides. Sans une réforme profonde des mécanismes de paiement et une stratégie claire pour apurer les arriérés existants, les nouveaux engagements financiers de l’État pourraient simplement s’ajouter à une dette sanitaire déjà considérable.
Une approche économiquement viable nécessiterait la création d’un fonds autonome pour la CAM, avec des réserves suffisantes pour garantir la continuité des paiements même en cas de difficultés temporaires de collecte. Ce fonds devrait être géré de manière transparente, avec des audits réguliers et indépendants.
Pensez-vous que c’est pour l’intérêt des Burundais ou c’est pour accroître les recettes de l’État ?
Un système d’assurance maladie bien conçu peut simultanément améliorer la santé publique et renforcer les finances publiques, Mais, l’équilibre entre ces objectifs est crucial.
Cette question soulève un point fondamental : la tension potentielle entre les objectifs sanitaires et fiscaux. D’un point de vue économique, une bonne politique publique devrait idéalement créer ce qu’on appelle une situation « gagnant-gagnant », où les intérêts des citoyens et ceux de l’État sont alignés.
Dans le cas de la CAM, si les cotisations collectées sont effectivement investies dans le système de santé et permettent d’améliorer l’accès et la qualité des soins, alors l’intérêt des Burundais et celui de l’État convergent. Un système de santé plus efficace réduit la charge de morbidité, améliore la productivité économique et renforce la cohésion sociale.
Cependant, si la CAM est principalement conçue comme un instrument de collecte de revenus, avec un transfert minimal vers le secteur de la santé, alors elle s’apparente davantage à une taxe qu’à une véritable assurance sociale. La distinction réside dans l’usage des fonds collectés et dans la valeur réelle que reçoivent les assurés en échange de leurs cotisations.
Un indicateur clé à surveiller sera le ratio entre les primes collectées et les prestations versées, ainsi que les coûts administratifs du système. Une assurance maladie efficace devrait consacrer la majorité des fonds collectés aux soins de santé, avec des frais de gestion raisonnables.
Il est également crucial d’observer si les recettes générées par la CAM viennent s’ajouter au budget existant de la santé ou si elles servent à remplacer d’autres sources de financement. Ce qui n’augmenterait pas les ressources totales du secteur.
Que doit faire le gouvernement pour assurer une bonne assurance santé aux Burundais ?
La mise en place d’un système d’assurance maladie efficace nécessite une approche globale qui dépasse largement la simple collecte de cotisations.
Pour transformer la CAM en un véritable outil de protection sociale, le gouvernement burundais devrait adopter une stratégie multidimensionnelle :
Tout d’abord, il faudra renforcer la gouvernance financière. L’argent de la santé doit aller à la santé. Cela implique la création d’un fonds d’assurance maladie indépendant, avec une gouvernance transparente incluant des représentants des patients, des professionnels de santé et des experts indépendants. Les rapports financiers devraient être régulièrement publiés et audités. Cette transparence est essentielle pour bâtir la confiance des citoyens dans le système.
Et puis développer l’offre de soins. Une assurance sans accès aux soins n’a que peu de valeur. Le gouvernement doit investir massivement dans les infrastructures sanitaires, en particulier dans les zones rurales où vit la majorité de la population. Cela implique non seulement la construction et la réhabilitation des centres de santé, mais aussi des politiques ambitieuses de formation et de fidélisation du personnel médical. L’expérience du Rwanda voisin, qui a combiné l’extension de la couverture d’assurance avec un développement parallèle des infrastructures, offre des leçons précieuses.
C’est tout ?
Et puis encore mettre en place une tarification équitable. Le principe de solidarité qui sous-tend l’assurance maladie implique que chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Un système où tout le monde paie la même prime, indépendamment de ses revenus, risque d’être régressif et de pénaliser les plus pauvres. Une approche plus équitable consisterait à moduler les cotisations en fonction des revenus et à subventionner totalement les plus vulnérables. Cette progressivité est essentielle pour garantir que l’assurance maladie réduise, plutôt qu’elle n’accentue, les inégalités existantes.
Ensuite impliquer les communautés. L’adhésion de la population est cruciale pour le succès de tout système d’assurance. Des campagnes d’éducation sanitaire et financière permettraient aux Burundais de comprendre les bénéfices de l’assurance maladie et d’utiliser efficacement les services auxquels ils ont droit. L’implication des structures communautaires existantes, comme les associations locales ou les groupes religieux, pourrait faciliter cette sensibilisation.
Apurer les arriérés existants. La crédibilité du nouveau système dépendra en grande partie de la capacité de l’État à honorer ses engagements financiers. Un plan clair et réaliste pour le remboursement des dettes existantes envers les établissements de santé est donc une condition préalable au lancement réussi de la CAM.
Et enfin, évaluer régulièrement le programme. Un système d’assurance maladie n’est jamais parfait dès sa conception et doit évoluer en fonction des réalités du terrain. Des évaluations indépendantes et régulières, mesurant à la fois la couverture effective, la qualité des soins, la satisfaction des patients et la viabilité financière du système, permettraient d’ajuster la CAM aux besoins réels des Burundais.
Il n’y a pas d’autres suggestions ou observations ?
Pour conclure, la CAM représente une opportunité significative pour améliorer l’accès aux soins au Burundi, mais sa réussite dépendra de sa mise en œuvre.
L’expérience internationale montre que les systèmes d’assurance maladie les plus efficaces sont ceux qui combinent une gouvernance rigoureuse, une couverture large et équitable, et un investissement continu dans la qualité des soins. Le défi pour le Burundi sera de transformer cette initiative en un véritable instrument de développement social et économique, plutôt qu’en une simple mesure administrative ou fiscale.
La santé n’est pas seulement un droit fondamental, c’est aussi un investissement dans le capital humain et le développement économique du pays. Un Burundais en bonne santé est un Burundais qui peut travailler, étudier, innover et contribuer pleinement à l’avenir de sa nation.
Propos recueillis par Stanislas Kaburungu
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