Lundi 02 décembre 2024

Économie

Edition spéciale/Burundi : le panier de la ménagère troué

02/12/2024 0
Edition spéciale/Burundi : le panier de la ménagère troué
Des prix des denrées alimentaires s’envolent

Des Burundais sont frappés de plein fouet par la cherté de la vie. Les prix s’envolent dans tout le pays. Certaines familles ne rechignent plus sur une certaine qualité des vivres. Des experts et des activistes demandent des mesures urgentes.

Dossier réalisé par Jérémie Misago (Iwacu) et Evariste Niyonkuru (Jimbere)

Les prix des denrées alimentaires ne cessent d’augmenter jour après jour, variant selon le lieu et le moment de l’approvisionnement. Cette situation oblige les Burundais à faire des choix difficiles pour se nourrir.

Au marché de Bujumbura City Market, communément appelé Kwa Siyoni, le riz tanzanien de première qualité se vend à 7 000 BIF tandis que le riz local oscille entre 4 500 et 4 800 BIF. Le riz Urutete quant à lui se négocie entre 5 500 et 6 000 BIF.

Pour le haricot, celui dit kinure se vend de 3 500 à 4 000 BIF, le haricot jaune de 6 000 à 6 500 BIF, et le Muhoro à 5 500 BIF. Les haricots frais (ibiharage bitoto) se négocient entre 11 000 et 12 000 BIF le kilo.

Suite à cette flambée, les consommateurs trouvés sur place racontent qu’ils ne sont plus capables de faire du stock, préférant acheter ce qu’ils consomment une fois par jour.

Afin de continuer à survivre, certaines familles ont substitué le haricot par les légumes verts, les autres par la dernière qualité connue sous le nom de Kirundo mais en petite quantité
« À défaut du pain, on mange de la galette », témoigne un consommateur.

Il est contraint de substituer le haricot Kinure devenu trop cher par la variété Kirundo moins onéreuse. D’autres familles ont dû réduire la quantité de haricot au profit des légumes verts. « C’est juste pour adapter nos revenus irréguliers à ces coûts intenables », explique un autre client.

Il n’y a pas de grande différence des prix de ces produits entre le marché Kwa Siyoni et celui du marché dit Cotebu sauf que les graines de maïs s’y vendent à 2 700 BIF alors qu’ils s’achètent à 3 200 BIF chez Siyoni.

Même constat dans les provinces

Au marché de Gitega, la situation est similaire, avec une hausse marquée des prix depuis six mois. Le haricot Kinure est passé de 2 800 à 3 500 BIF, le Muhoro de 3 500 à 4 500 BIF et le Kirundo de 2 200 à 3 300 BIF. Les graines de maïs ont également vu leur prix doubler passant de 1 200 à 2 500 BIF.

À Makamba, le riz le plus cher se négocie entre 5 500 et 6 000 BIF tandis que le moins cher s’achète à 4 000 BIF. Pour le haricot, le moins cher coûte 3 500 BIF et le plus cher 4 000 BIF. Selon les consommateurs et vendeurs sur place, ces prix ont pratiquement doublé en six mois.

Au marché central de Bubanza, il s’observe une augmentation significative des prix des produits vivriers de première nécessité. Cette hausse des prix met à mal le pouvoir d’achat des ménages de la province.

Une enquête sur le terrain montre que les prix de certains aliments de base ont connu une flambée ces six derniers mois. Ainsi, le haricot de type Kirundo, aliment de base dans la région, a vu son prix le moins cher passer de 2 300 à 3 500 BIF tandis que la variété la plus chère a doublé en atteignant 6 000 BIF.

Pour le riz qui est largement cultivé dans toutes les plaines irriguées de Bubanza ainsi que dans les vallées gorgées d’eau des collines de Bubanza, surtout pendant la période pluvieuse, la seule variété disponible sur le marché est désormais vendue entre 4 000 et 4 300 BIF, contre 3 200 BIF il y a encore six mois. Même constat pour les graines de maïs dont le prix est passé de 1 700 à 2 700 BIF.

Fixation unilatérale des prix comme facteurs explicatifs

Les commerçants locaux évoquent plusieurs facteurs pour expliquer cette flambée des prix. Il s’agit notamment de l’éloignement des zones de production qui augmente les coûts logistiques ainsi que le manque de carburant qui complique le transport des marchandises.

Dans les ménages, on a sensiblement réduit les achats de ces vivres. Un chef de ménage rencontré au marché déplore qu’avant il achetait deux kilogrammes de riz, un kilogramme de haricots et trois kilogrammes de farine de maïs par jour pour nourrir une famille de huit personnes.

La grande Pour Noel Nkurunziza, il y a nécessité de
régulation efficace pour éviter que la situation ne s’empire davantage

Dans les conditions actuelles, il n’en peut plus. Il prépare ses enfants qu’ils doivent se contenter du peu qu’ils ont à manger.

Selon les observations de l’Associations burundaise des consommateurs, Abuco, l’inflation est exacerbée par plusieurs facteurs, notamment la période de soudure, la dévaluation du BIF et une pénurie de devises sans oublier la pénurie des carburants.

Noël Nkurunziza, secrétaire général et porte-parole de l’Abuco souligne que cette situation est aggravée par la fixation unilatérale des prix par les commerçants qui agissent en dehors d’une régulation adéquate. « Les commerçants fixent les prix à leur guise, à tort ou à raison », dénonce Noël Nkurunziza.

Il appelle à une collaboration entre les ministères en charge du commerce, de l’agriculture et des finances pour développer des stratégies visant à faciliter l’accès aux devises pour les commerçants qui approvisionnent le marché en denrées de première nécessité.

La multiplication des cultures comme solution

Ce représentant des consommateurs propose que les ministères concernés, en collaboration avec l’Institut des Sciences agronomique du Burundi, Isabu, et d’autres instituts de recherche, se réunissent pour améliorer la production durant les périodes creuses.

Il suggère également des stratégies d’encadrement de la population pour multiplier les cultures. Ce qui permettrait de garantir une offre suffisante sur le marché pendant les périodes de soudure.

Il est également crucial de promouvoir l’intensification de la production des produits agricoles exportables comme le café et le thé afin de renforcer l’économie locale.

M. Nkurunziza met en avant la nécessité d’une régulation efficace pour éviter que la situation ne se détériore davantage. Et d’alerter que si aucune mesure n’est prise rapidement, cela pourrait mener à un désordre généralisé. Il parle aussi de la nécessité d’assurer la disponibilité du carburant pour faciliter le transport des biens et des personnes.

Prendre des mesures urgentes

Selon, Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre les malversations économiques, Olucome, les prix ont monté de 20 à 400%. « Ces prix montent du jour au jour. C’est une flambée des prix causée par plusieurs facteurs. Il y a le facteur production au niveau intérieur. Les importations ne peuvent pas combler le déficit de la production intérieure. Il y a aussi le principe de la loi de l’offre et de la demande ».

Il estime qu’actuellement les importations viennent au compte-goutte du simple fait qu’il n’y a pas de devises. Or, le manque de devises est le nœud de tous les problèmes. « Il est urgent de trouver les solutions à cette question. On peut donner trois solutions urgentes : la recherche d’un crédit de cinq cent millions de dollars, des mesures conséquentes pour les gérer et la mise en place d’une commission d’experts pour proposer des solutions ».

Pour Gabriel Rufyiri, cette commission d’experts doit être indépendante en vue de proposer des solutions et de les publier. « Cela nécessite vraiment la conjugaison des efforts. Aucune institution n’a de solutions magiques. Seulement, il faut que des experts donnent des propositions au gouvernement pour qu’il prenne le taureau par les cornes et de trouver des solutions dans l’urgence ».

Contacté, Onésime Niyukuri, porte-parole de la ministre en charge du commerce, s’est refusé à tout commentaire. Il a promis de fournir des informations sur les mesures que le ministère compte mettre en œuvre pour faire face à cette situation alarmante après le Conseil des ministres qui doit statuer sur le dossier.


« Le déficit budgétaire constitue l’un des facteurs à l’origine de la flambée des prix dans le pays »

Serges Ntirampebura expert en gestion des politiques économiques explique que les taxes revues à la hausse en vue de compenser le déficit budgétaire constituent l’un des facteurs à l’origine de la flambée des prix dans le pays. Il indique également que l’implication des dignitaires dans le commerce a des incidences sur ce secteur avec la concurrence déloyale.

Cet expert déplore que le budget de consommation reste plus élevé que celui d’investissement. « Le gouvernement fait beaucoup de dépenses de consommation. C’est notamment dans le paiement des fonctionnaires, dans les voyages et d’autres dépenses. Dans le budget, il avait un déficit budgétaire donc des dépenses qui n’ont pas de sources. D’où l’augmentation des prix car, c’est la population qui doit payer pour compenser ce manque. Chaque contribuable burundais doit payer dans la diminution du pouvoir d’achat de la monnaie. Ce qui se traduit par la hausse des prix. C’est parce que c’est une augmentation des prix structurelle qui ne va pas générer la production qui va stopper cette augmentation des prix », précise-t-il.

Pour lui, c’est pourquoi on devrait oublier les charrois de l’Etat dans le sens de diminuer le déficit budgétaire. Ce qui peut diminuer l’accroissement des prix. Malheureusement, se désole-t-il, ce n’est pas réellement ce que le Burundi vit.

D’après Serges Ntirampebura, l’objectif de la stabilité des prix est une orientation qu’un gouvernement peut prendre. Il a, dit-il, beaucoup d’avantages notamment l’accroissement de l’épargne dans les banques pour augmenter les liquidités qui va diminuer les taux d’intérêt et que le secteur privé puisse augmenter la production.

Une autre orientation c’est lorsque on fait beaucoup de travaux de construction des infrastructures, comme les routes et les barrages. « L’Etat peut engager beaucoup d’argent dans ces investissements et cela peut provoquer la hausse des impôts entrainant du coup l’augmentation des prix sur le marché. Dans ce cas, on peut espérer que quand la production va augmenter, les prix vont se stabiliser ».

Selon cet expert, des dignitaires impliqués dans le commerce devraient l’abandonner puisque cela reste une entrave en ce qui est de la concurrence dans le commerce. Il explique que cette situation ne fait qu’amplifier la pauvreté et la flambée des prix dans le pays. « Des fonctionnaires de l’Etat prétendent être des opérateurs économiques alors que ce n’est pas vrai puisqu’ils utilisent des moyens de l’Etat. Si vous devez faire une comptabilité, calculer combien de moyens, ils ont mis par rapport à la production, dans la plupart des cas vous allez trouver qu’il n’y a pas eu de gain. C’est juste une malversation économique ».

Il estime que ces chefs administratifs vont faire une concurrence déloyale et l’absence de concurrence amène aussi une absence de productivité. Ce qui ne fait qu’augmenter les prix et la pauvreté dans le pays. « C’est pourquoi en fait il y a des opérateurs économiques qui naissent car, ils utilisent les moyens de l’Etat. Et le jour où ils vont cesser les fonctions, ils vont abandonner cette opération économique qui n’était pas ‘rentable. C’est pourquoi chez nous, chaque régime amène de nouveaux riches. C’est-à-dire des gens qui ne faisaient rien comme activité économique. Comme il y a des moyens gratuits de l’Etat, ils les exploitent et gagnent des profits exorbitants ».

Pour Serges Ntirampebura leurs activités sont rentables parce qu’ils utilisent les moyens qui ne sont pas les leurs. « Ils n’ont pas de dépenses. C’est pourquoi cette malversation économique est rentable chez ces personnes alors que l’activité de ces derniers n’est pas rentable », insiste-t-il.

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