Ecrit par Léonce Ndikumana, un économiste burundais, à qui Iwacu rend un vibrant hommage, l’éminent professeur à l’université de Massachusetts en collaboration avec James Boyce et d’autres collègues, jette un pavé dans la mare. Ce livre captivant montre de façon précise et scientifique pourquoi notre continent ne décolle pas sur le plan économique, malgré son potentiel. Une des raisons de cet échec est la fuite des capitaux hors d’Afrique. C’est stupéfiant. Le professeur *Prime Nyamoya a lu pour Iwacu ce livre qui laissera à chaque africain un sentiment de révolte. Ce livre est une véritable bombe politique qui repose sur une analyse économique chirurgicale . Lisez.
Avec une méthodologie rigoureuse, les auteurs arrivent à démontrer comment l’exode des capitaux hors d’Afrique appauvrit le continent en dépit de ses richesses. Il devrait être créditeur en réalité vis-à-vis du reste du monde : entre 1970-2018, on estime à plus de 2 000 milliards de dollars sortis du continent pour acheter bateaux, et autres appartements et alimenter les multiples comptes dans les paradis fiscaux. La seule Afrique du Sud a transféré plus de 329 milliards de dollars. Et tout en sachant que ces chiffres sont en deçà de la réalité et que nul pays en Afrique n’est à l’abri de ce vol à grande échelle.
Le livre est divisé en sept parties reliées entre elles par le thème de la fuite des capitaux hors d’Afrique :
1. Une introduction pour montrer à quel point la fuite des capitaux hors d’Afrique constitue une ponction considérable sur les ressources financières pour le développement économique, surtout quand l’évasion des capitaux est le fruit de l’endettement et des ressources financières soustraites aux entreprises publiques.
2. Pourquoi l’étude de cas sur l’Angola, la Côte d’Ivoire et l’Afrique du Sud ?
Léonce Ndikumana et James Boyce commencent par définir l’évasion des capitaux comme flux financiers illicites et affiner leur méthodologie de recherche assez complexe pour le profane. Le cas de l’Angola est étudié pour la période 1986-2018 durant laquelle la fuite des capitaux a atteint 103 milliards de dollars. La Côte d’Ivoire entre 1970-2018 aurait enregistré plus de 55,4 milliards de dollars. L’Afrique du Sud, qui selon les périodes, est la plus grande économie africaine du continent affiche pour la période 1970-2018 plus de 329 milliards de sorties des capitaux. Manquent malheureusement dans ce tableau les cas emblématiques du Nigéria et de la RDC, sans doute pour une autre édition ultérieure.
3. Le cas de l’Angola : écrit par un spécialiste de l’Angola, l’auteur, Nicholas Shaxson connait le pays pour y avoir été longtemps correspondant de Reuters et du Financial Times. Il décrit le pays dans ce long chapitre qui pourrait constituer un livre à part entière, et analyse de façon méthodique et détaillée le mécanisme sophistiqué de prédation de cette jeune nation dotée de richesses considérables ( diamants, pétrole, etc.) et pose la grande question : comment un pays aussi richement doté n’a pas été capable de tirer le pays de la misère ? C’est le cas typique pour un pays caractérisé par la malédiction de posséder des richesses naturelles marquées par une forte volatilité des revenus financiers difficiles à gérer.
La faute est imputable à une gouvernance politique désastreuse qui combat ou achète toute opposition avec l’argent du pétrole. Le cas de l’Angola est intéressant : grâce notamment à SONANGOL, l’entreprise publique de vente du pétrole dont, la fille du président, Isabel de Santos, joue un rôle important de dispensatrice de cette manne pétrolière dans tous les secteurs de la vie économique du pays. Elle le fait avec la complicité des grands cabinets internationaux qui servent souvent de courroie de transmission à la fuite des capitaux pour l’élite politique et économique grâce à leur ingénierie financière à travers le système bancaire angolais et ses ramifications internationales. Dès la fin de la guerre civile en 1992 jusqu’en 2004, le pays a engrangé plus de 580 milliards de dollars, soit 27 000 $ par tête d’habitant, mais a engendré peu de bénéfices pour le citoyen lambda durant cette Décennie d’or. L’auteur propose en conclusion une vaste redistribution des revenus du pétrole aux citoyens, ce qui serait une révolution dans la gouvernance politique en accordant directement le pouvoir aux citoyens. Il y a peu de chances cependant que cette proposition soit acceptée dans le court terme.
4. Le chapitre 4 concerne la Côte d’Ivoire : cas analysé par Jean Merckaert qui consacre au pays un long article sur ce qui fut considéré comme le « miracle ivoirien », mais qui pose la question fondamentale : A qui profite le cacao et soulève des questions multiples pour un secteur qui affiche un chiffre d’affaires considérable de plusieurs milliards de francs CFA avec un million de tonnes par an qui constituent 40 % de la production mondiale. La chaîne de valeur entre la cueillette du cacao et le produit fini est longue et tortueuse avec une intégration verticale au bout de la chaîne. Il n’empêche que l’agriculteur ivoirien reçoit à peine une infime portion du prix final, soit 4 à 7 %. Pourtant, le cacao est au cœur de l’économie ivoirienne avec multiples ramifications au niveau de l’État, des banques, et de différents intervenants dans un secteur marqué par quantité de taxes et redevances sur la rente cacaoyère. L’auteur démontre les diverses façons de captation de cette rente au niveau national et international, les particularités statistiques du commerce extérieur de cette denrée, les sous-facturations comme moyen de sortie des capitaux et la multiplicité des intérêts croisés.
La gouvernance politique du pays a longtemps tourné autour du président HOUPHOUËT-BOIGNY qui était le grand dispensateur de cette manne pendant une longue période à travers la CAISTAB-Caisse de stabilisation et de soutien aux prix agricoles — dont le chiffre d’affaires oscillait autour de 850 milliards de CFA chaque année. Ses successeurs seront les continuateurs de cette politique de prédation pour les « heureux élus » — the happy few de l’élite économique et politique constituée d’amis politiques et de la famille du président. En conclusion de cet article, l’auteur note que, bien que la Côte d’Ivoire soit le producteur du cacao à 40 % de la production mondiale, l’agriculteur ivoirien reçoit à peine 4 à 7 % du profit généré, selon une étude de la Banque mondiale. La fuite des capitaux s’inscrit dans ce modèle d’extraction de rentes cacaoyère.
5. Le chapitre 5 consacré à l’Afrique du Sud est rédigé par Adam Aboobaker, Karmen Naidoo, et Léonce Ndikumana qui passent en revue les principales caractéristiques de l’économie sud-africaine fortement diversifiée et sophistiquée qui fait l’envie des autres pays du continent. D’où la complexité de l’analyse de ses flux de transfert souvent contestés par les officiels, mais n’en reste pas néanmoins un problème notamment sous forme de sous — et, de sur- facturation, d’accumulation des capitaux à l’étranger entre les périodes de l’apartheid et de post-apartheid caractérisées pour la première par les contrôles de change et pour la deuxième par la capture de l’Etat par le groupe DA GUPTA qui a pillé littéralement de vastes secteurs de l’économie sud — africaine : les métaux rares, les entreprises publiques, sous la présidence de Jacob Zuma. Les chercheurs analysent également en profondeur le rôle important des facilitateurs de cette vaste évasion des capitaux : il s’agit essentiellement des banques, des cabinets internationaux de consultants et de comptables.
En conclusion, les auteurs remarquent qu’en dépit de ses vastes richesses, le pays ne parvient pas à boucler les déficits structurels budgétaires ni à faire face aux nombreux problèmes de chômage et d’inégalité sociale, à l’absence des services sociaux de santé et d’éducation pour la majorité de la population noire et des infrastructures insuffisantes, problèmes exacerbés par la fuite des capitaux. Le grand défi est de combattre cette évasion des capitaux sous ses diverses formes : évasion fiscale, surfacturation… et de rétablir la confiance des citoyens dans les institutions publiques pour lutter contre la capture endémique des richesses de l’État par les divers groupes prédateurs.
6. Le chapitre 6 par le chercheur nigérian Melvin Ayogu souligne, en prenant comme exemple son propre pays, le Nigéria, l’importance et la nécessité d’une part, d’une bonne gouvernance pour redresser les pratiques actuelles de management et d’autre part, d’un contrôle accru sur la qualité des statistiques du commerce international en vue de la transparence des données. Il évoque le cas du Nigéria où la ministre des finances, Ngozi Okonjo Weala, écrit dans son livre en se lamentant que combattre la corruption dans son pays est dangereux, où le gouverneur de la banque centrale, Sanusi Lamido, s’insurge contre la violation de la loi et la constitution par le NNPC, la société nationale de vente des hydrocarbures par la manipulation frauduleuse des statistiques. Ayogu recommande une amélioration de la collecte des données sur le commerce international aussi bien par les organisations internationales que par les services statistiques nationaux.
7. Le dernier chapitre7 par Ndikumana et Boyce fait la synthèse des différents travaux sur la fuite des capitaux en soulignant particulièrement le rôle des élites pour édicter des règles et les contourner à leur avantage. Par ailleurs, les nombreuses études économétriques ont démontré le lien entre la détention des ressources naturelles, l’ampleur de l’endettement extérieur et la fuite des capitaux. Ils revisitent la notion de rente économique de l’économie classique aujourd’hui considérée comme simple capture des richesses nationales. Pendant longtemps, ce problème a été ignoré.
Ma propre conclusion personnelle est que ce livre est une véritable bombe politique qui repose cependant sur une analyse économique solide : il est utile de rappeler que Léonce Ndikumana a travaillé pendant quelques années à la Banque africaine de Développement (BAD) et à la Commission économique pour l’Afrique (CEA) où il dirigeait les contraintes et potentialités du développement en Afrique. Clairement, la fuite des capitaux est un handicap majeur au développement du continent. Le message que j’en retire est le suivant : » Peuples d’Afrique, mobilisons-nous pour lutter ensemble contre la corruption des élites politiques qui nous appauvrissent. Attendons la traduction en français qui nous est promise dans un proche avenir pour les lecteurs francophones du continent.
* Prime Nyamoya est économiste de formation. Il a derrière lui une longue carrière de professeur d’université et de banquier. Actuellement il vit au Canada.
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* « Sur la piste de l’évasion des capitaux hors d’Afrique : les bénéficiaires et les facilitateurs »
En attendant que le livre soit traduit en français, c’est le titre que les auteurs donnent provisoirement à cet ouvrage.
L’Afrique souffre d’un clientélisme (tribal, politique, religieux,…) qui aveugle les élites dirigeantes qui se suivent mais qui se ressemblent.
Tant qu’on aura des administrations dirigées par des gens qui ne sont pas comptables au peuple (celui ci doit être avisé mais ne le sera que quand les classes dirigeantes en feront une priorité), nous nous retrouverons à ce constat d’un échec permanent.
Et alors? S’agit-il vraiment d’un moment “Eureka!” ou ce livre ne fait-il que de décrire un épiphénomène? A moins que Mr Nyamoya ne cherche qu’à faire de la pub pour un ouvrage sommes toute banal.
Est-ce si difficile de concevoir qu’il y a des Etats qui fonctionnent sur d’autres principes que celui de l’intérêt général à la Max Weber!
L’enrichissement illicite et la mauvaise gouvernance sont à l’origine de la fuite des capitaux. Autant que le detournement de fonds, la corruption, le manque de transparence dans la passation des marchés publics, … s’observent encore en Afrique, les capitaux africains ne cesseront pas de fuire vers les paradis fiscaux.
Pour que l’Afrique s’en sort, il faut un grand changement de mentalités.
Ces exemples ne sont que la pointe de l’iceberg.
Ça servira à quoi Arsène.
Abiba ntibazi que c’est même interdit dans la bible?
« Il [Melvin Ayogu] évoque le cas du Nigéria où la ministre des finances, Ngozi Okonjo Weala, écrit dans son livre en se lamentant que combattre la corruption dans son pays est dangereux, où le gouverneur de la banque centrale, Sanusi Lamido, s’insurge contre la violation de la loi et la constitution par le NNPC, la société nationale de vente des hydrocarbures par la manipulation frauduleuse des statistiques. »
On pourrait remplacer les noms propres pour décrire la situation qui prévaut au Burundi. Les autorités burundaises ne nous disent-elles pas chaque jour que le pays est corrompu ? Il y a même des cadres qui sont remerciés séance tenante visiblement pour montrer au citoyen qu’enfin « la récréation est terminée » (pour utiliser l’expression chère à un ancien vice-président du Burundi).
On peut comprendre qu’un ministre des finances ou le gouverneur de la banque centrale s’insurge contre la violation de la loi en général et de la constitution en particulier ; ils disposent en effet de peu de marge de manœuvre. Mais lorsque c’est le chef de l’exécutif qui s’insurge contre ce même type de violation, ça devient incompréhensible.
Le mal au Burundi n’est peut-être pas au niveau de la fuite de milliards vers l’étranger mais celui qui y règne n’est pas moins dévastateur – sinon on ne serait pas le pays le plus pauvre de la planète. La problématique de détournement et de corruption est telle que même ceux qui le font au grand jour sont décorés pour « les loyaux services rendus à la Nation ».
Ce livre paraît intéressant dans la mesure où il peut ouvrir les yeux à ceux qui s’intéressent aux questions de gouvernance et d’économie du développement. Est-ce que l’Université du Burundi et les universités privées le mettront dans les rayons de leurs bibliothèques ? J’en doute.
L’éminent professeur Prime Nyamoya se trompe. Ni la fuite des capitaux ni la corruption n’explique la pauvreté de l’Afrique. La principale raison est que nous appartenons à une structure civilisationnelle autre. Nous les Africains, nous sommes sur terre, non pour mourir à la tâche comme les Occidentaux et les Asiatiques, mais pour regarder le temps passé en compagnie des frères et sœurs de la communauté autour d’une bonne bière. Ce n’est même pas la paresse congénitale africaine, c’est une autre structure civilisationnelle. Des cerveaux formés dans les meilleures universités américaines et européennes rentrent en Afrique imbus de leur supériorité et retrouvent rapidement l’ambiance de vivre à ne rien faire et à boire. La principale activité quotidienne pour les mâles burundais et africains c’est de boire et de passer le temps avec les amis tous les jours que fait le Seigneur. Les missionnaires savaient bricoler des barrages pour produire l’électricité dans les missions mais aucun ingénieur burundais n’a jamais construit la moindre invention de production d’électricité hydraulique ou solaire alors que nous avons le soleil en abondance. Tout le pays est plongé dans l’obscurité dès 18 h mais personne n’a l’idée d’utiliser le solaire ou l’éolien. Nous sommes comme ça un point à la ligne. Après 60 ans d’indépendance, il faut des Chinois pour construire toutes les infrastructures en Afrique. Ils sont même allés jusqu’à donner le cadeau de la honte à savoir : Le grandiose siège de la Commission de l’Union africaine car nous sommes incapables de quoi que ce soit. Nous appartenons à une autre structure civilisationnelle qui consiste à nous regarder vivre.