Alors que le taux de participation des femmes dans les institutions reste bas (19%), la représentation des filles en milieu scolaire est encore moins satisfaisante. Un grand défi pour un promoteur de la fille burundaise.
Lycée du Lac Tanganyika (LLT), l’un des établissements avec un grand effectif d’élèves, deux filles sont déléguées de classe sur un effectif de 24 classes du LLT I.
Kercy Ingabire, 20 ans, élève à cet établissement en 2e sciences post-fondamental, a été élue déléguée pour la première fois. Elle n’a pas fourni d’efforts, ses camarades de classe lui ayant mis la pression. « Je ne le voulais pas autant. Les élèves m’apprécient pour ma conduite, mon intelligence, le respect des codes vestimentaires, etc. »
En tant que fille, Kercy affirme qu’elle n’éprouve pas de difficultés particulières à diriger sa classe. « Sauf que je ne suis pas aussi autoritaire qu’un garçon. Parfois je dois caresser dans le sens du poil pour me faire entendre».
Rachelle Mbuyi, 16 ans, est aussi parmi les quelques déléguées de ce grand établissement divisé en deux écoles. Elève en 9e année, elle ne s’est pas fait élire, elle a été reconduite par sa classe. Elle a été élue l’année dernière, alors en 8e, seule fille candidate sur une liste de six.
Pour elle, ce n’est pas facile de diriger une classe de 80 élèves. Non pas parce qu’elle est une fille, mais pour les multiples responsabilités que cela demande. « L’on n’est pas tranquille, je dois bouger tout le temps, difficile de se concentrer pour les études. Mais cela ne m’empêche pas de me représenter pour faire valoir l’autorité féminine », souligne la jeune élève.
Rachelle se dit déterminée de poursuivre cet engagement même à l’âge adulte : « Je veux prouver qu’une femme burundaise n’est pas faite pour être femme de ménage. »
Quelques enseignants rencontrés sur cet établissement ne tarissent pas d’éloges pour une classe représentée par une fille : « Les filles sont plus compétentes, courageuses et responsables, si elles ont la chance d’être élues comme déléguées. »
Beaucoup d’autres élèves de ce lycée parlent d’une classe plus ordonnée, propre, une fois représentée par une fille.
Au lycée Scheppers, sous convention, c’est le même constat. Deux filles sont déléguées sur 18 classes du cycle post-fondamental, d’après l’une des élèves de cet établissement.
Une autre réalité…
Au Lycée du Saint Esprit, le constat est totalement différent. La majorité des représentants des classes sont des filles. Jusqu’à la représentation de tout l’établissement : une fille est doyenne de ce grand lycée. Plusieurs classes sont représentées par des filles uniquement. En tout, 18 filles déléguées sur 24 classes, d’après la doyenne.
Finaliste en langues, Chelsea Inamigisha est déléguée générale à ce lycée. Elle est la 2e fille à représenter tous les élèves, depuis qu’elle fréquente ce lycée en 2015. En six ans, deux filles ont représenté l’école. C’est cette réticence des filles à se représenter qui a poussé Chelsea à changer la donne.
Chelsea affirme qu’elle n’éprouve aucun malaise à diriger une communauté de plus de 800 élèves. La seule difficulté est le stress causé par de multiples responsabilités.
Pour elle, aucune fille ne devrait avoir peur de se représenter et de diriger. « En tant que fille, on devrait se sentir à l’aise, potentiellement apte à diriger toute une communauté d’élèves au même pied d’égalité qu’un garçon. Parce que nous sommes capables », souligne Chelsea, déterminée.
Un groupe de jeunes filles de ce lycée rencontré à l’intérieur de l’établissement sont étonnées d’apprendre que la réalité est toute autre sur les autres établissements. Beaucoup d’entre elles affirment avoir été déléguée de classe plusieurs fois. « La majorité des délégués sont des filles ici». Toutefois, l’une d’elles se montre réticente : « Je n’ai pas le courage d’affronter les responsabilités requises. J’ai peur d’échouer en classe.»
« Le vrai sens de leadership commence à bas âge »
Eric Ndihokubwayo, du département chargé de l’éducation et formation professionnel à l’Association pour la promotion de la fille burundaise (APFB), confirme cette faible représentation des filles en milieu scolaire : « Très peu de filles osent se représenter à la tête d’une classe ou d’un établissement. » Un constat fait lors des activités de sensibilisation sur le leadership et l’estime de soi des jeunes filles dans les écoles par l’APFB.
Il avance deux causes majeures : « Elles ont grandi dans un contexte culturel qui limite beaucoup la femme dans les responsabilités familiales ou communautaires. » Dans la tradition, observe-t-il, une fille est peu considérée dans la famille. Les plus grandes responsabilités sont confiées au garçon. « La fille commencera l’école avec cette mentalité d’infériorité et aura du mal à se faire représenter».
L’autre cause, assure-t-il, est le manque de modèle. « Quand une fille constate que dans la 1ère, 2e et 3e année, il n’y a pas eu de fille déléguée, ce sera très difficile pour elle de se lancer. Cela demande beaucoup de courage».
M. Ndihokubwayo estime très important qu’une fille représente une classe ou une école, car « le sens de leadership se développe dès le bas-âge ».
D’après ce promoteur de la fille burundaise, il est plus facile pour une femme de diriger une grande institution si elle s’est habituée à prendre les responsabilités dès son plus jeune âge. « Imagine si l’on te confie une grande institution de l’Etat alors que tu ne t’es jamais exprimée, même devant une petite classe».
Eric Ndihokubwayo affirme aussi que la représentation des filles dans les écoles peut accroître le taux de scolarisation des filles et augmenter l’effectif des filles lauréates du cycle secondaire. « Les obstacles qui freinent la gent féminine à terminer ses études diminueraient si elle est représentée ».
Cet activiste estime que le ministère de l’Education devrait s’impliquer dans la représentation des filles dans les écoles. «L’idéal est de promouvoir la représentativité des femmes en général en commençant en amont du processus», insiste-t-il.