Samedi 23 novembre 2024

Société

Ecole fondamentale, tombeau des futures plumes burundaises ?

12/03/2015 5

Les objectifs avoués et les premiers résultats du système scolaire récemment adopté semblent sonner le glas de la littérature burundaise. Au delà de la littérature, c’est toute l’expression d’une génération qui paraît condamnée.

Elèves de la 8ème fondamentale au lycée communal de Gatumba ©Iwacu
Elèves de la 8ème fondamentale au lycée communal de Gatumba ©Iwacu

Un premier constat effarant. Sur trois élèves de 8ème du lycée communal de Gatumba, issus de la première promotion de l’école fondamentale, deux n’arrivent pas à placer deux mots de suite en français. Le troisième baragouine une langue qui s’apparente plus au kiswahili qu’au français. Et tous les trois avouent n’avoir jamais tenu un livre de lecture à la main. Ils n’en voient pas par ailleurs l’utilité, disent-ils, vu l’enseignement qu’ils reçoivent.

Le discours du Chef de l’Etat du 02/09/2010, lors de son investiture est on ne peut plus clair : « Les programmes de l’enseignement vont subir une réforme… afin que les enfants terminent ce cycle avec des capacités physiques et intellectuelles leur permettant de suivre l’enseignement des métiers et de mieux affronter les difficultés de la vie.»
Les manuels scolaires, en l’occurrence celui des langues, répondent au mieux à ces objectifs. Exit les textes jugés compliqués et archaïques des Ferdinand Oyono, Birago Diop, Aimé Césaire et tutti quanti. À la place, des textes simples, techniques, jalonnent les manuels « domaines des langues ». La deuxième partie du manuel des langues de 7ème fera même une excursion dans le monde des banques et des impôts. Aucune trace d’un texte littéraire dans l’ouvrage.

« On a les mains liées dans le dos »

Les professeurs de français interrogés n’y vont pas par quatre chemins. « Ce système, s’il reste pérenne, signera à coup sur l’arrêt de mort, et de la littérature, et de la grammaire, donc de l’expression future des enfants qu’on est censé encadrer », fulmine l’un d’entre eux.

L’apprentissage de la langue française accuse un net recul et ces professeurs en sont conscients. Ils confessent avoir les mains liées et assistent impuissants au musèlement de l’expression future de leurs élèves. Quelques uns se permettent des initiatives personnelles pour rehausser la qualité de l’enseignement qu’ils dispensent.
Au-delà de la langue, leur principale inquiétude est l’avenir de ces enfants. Ils trouvent que ce système limite la réflexion des élèves en simplifiant le processus d’apprentissage. Au moment où ces enfants seront les décideurs de demain, les professeurs émettent des doutes sur le genre de décisions qu’ils pourraient prendre avec un tel background. Et ils restent dubitatifs quant aux mesures censées combler les lacunes que ces élèves pourraient accuser.

Les défenseurs de la littérature montent au créneau

Ibanda Mulungula, professeur de français et président du club « Flambeau de la littérature », va plus loin : « L’école est une pépinière d’où émergent différentes catégories de personnes. En limitant la langue à des concepts techniques, on prive ces potentiels futurs écrivains, poètes d’une base essentielle à leur épanouissement.» À une période où des initiatives pour la promotion de la littérature voient le jour, ce délaissement d’émulation littéraire est jugée intolérable.

La culture et la littérature sont intimement liées. M.Ibanda se pose alors la question sur la place de la littérature burundaise dans l’enseignement scolaire. L’absence de textes d’écrivains burundais dans le système éducatif de base est jugée paradoxale, alors que dans les autres pays, les productions locales sont privilégiées.
Ces amoureux des lettres se demandent si ce système ne contribuera pas à forger une génération de main d’œuvre technique malléable à souhait. Pour eux, le système pose les fondations d’une future société burundaise sans imagination et aux idées arrêtées. D’autant que « les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde », dixit Ludwig Wittgenstein.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. KAISER

    Beaucoup pensent, (et les français nous l’ont fait croire) qu’en apprenant leur langue, on devient quelqu’un. Et pourtant c’est le contraire. On s’aliène, on devient étranger à soi-meme. C’est long à expliquer mais ayez un peu de patience. Les pays européens, au Moyen Age avaient pour langue scolaire, le latin. Qui étudiait ? Seuls les enfants des seigneurs. Développement à l’époque ? Egal à celui de l’Afrique et inférieur à celui de l’Orient. Ce n’est que vers 1500 que les pays européens, ont commencé à enseigner dans leurs langues; et c’est à cette époque que nait la fameuse littérature française que nous croyons etre quelque chose d’important (Ronsart, Lafontaine, Corneille,…). L’enseignement dans la langue locale a tout de suite fait exploser le savoir, surtout le savoir technique. Le français, c’est la langue des gens de la Gaule, comme le kirundi est la langue des gens du Burundi. Le kirundi n’est pas du tout inférieur au françcais: toutes les deux ce sont des clés qui font entrer dans la connaissance. Essayez de lire un roman écrit par un français dans la langue anglaise ou en kirundi… vous m’en direz des nouvelles. Eh bien, nous sommes en train d’aller dans une direction erronnée, si nous pensons que c’est le français qui nous sauvera. On s’échine à apprendre la langue des autres, et on vieillit avant d’avoir rien compris. Apprendre les langues c’est une bonne chose, mais étudier le reste dans la langue d’autrui ne conduit qu’au sous développement prolongé. Voilà pourquoi l’Afrique n’avance pas. Les autres peuples sont malins: ils traduisent la science dans la langue de leur pays, ainsi tous peuvent y avoir accès, Les russes ou les chinois ne sont pas allés dans l’espace en parlant le français ou l’anglais. Les lois scientifiques se moquent de la lamgue qu’on parle. J’aimerais voir de grands romanciers en kirundi, parce que nous devons développer le Burundi, et non nous montrer aux français comme de bons élèves.

  2. Theus nahaga

    Comment fournir un enseignement de qualité qui ne laisse personne à côté au Burundi? La question est posé, mais avec la médiocrité de nos dirigeants actuels, je doute de voir emmerger une réponse.
    Au Burundi tout doit être refait. Ce pays se délabre chaque jour un peu plus. Le burundi se clochardise.

  3. Sebastien Ntahongendera

    La littérature est dans l’éducation nationale ce qu’est la levure dans le processus de fermentation alcoolique : inzogá ibuzé umwambiro iba intundwe cânké inkevyá; igihúgu kibuzé abiíze kw1íyumvīra n’úgusésengura kiba ic’ábabómozi n’ábabómotsi.

  4. Miburo John

    Très sale pays. Ntakintu na kimwe ciza gisigaye mu Burundi!!! Ou allons -nous? Tugeze ahantu umu licencier en literature adashobora kuvuga ama phrases 3 y’igifaransa ataragira ikosa.

  5. Ndayisenga o

    C’est vraiment ridicule ce que nos dirigeants. Il me semble même que celui est intelligent est écarté dans la prise de décisions. Il serait préférable que même les ministères soient des postes techniques pour au moins avoir des ministres qui pensent à la avenir de tout un peuple. Sinon les autres peuples reviendrons nous apprendre comment se tenir aux côtés des autres. Un bon entendeur salut. C’est ma petite contribution

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