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Politique

Du passé composé au futur simple : Le pouvoir royal dilué

24/03/2020 Commentaires fermés sur Du passé composé au futur simple : Le pouvoir royal dilué
Du passé composé au futur simple : Le pouvoir royal dilué
Vue partielle des participants dans le débat au Centre Jeunes Kamenge

Avant la colonisation, le roi est maître dans son royaume. Assisté par ses conseillers, il décide pour le pays. Cependant, avec les colonisateurs, le roi a vu ses pouvoirs se réduire comme peau de chagrin. Débat.

« C’est en 1917 que le Burundi va tomber sous la domination belge. Vaincus lors de la Première guerre mondiale, les Allemands sont obligés de céder leurs colonies », indique Alida Graciella Iteriteka, chercheure. Et pour gouverner, il signale que ces derniers ont appliqué l’indirect ruler (administration indirecte). Un système qui consiste à laisser au roi et aux institutions locales le pouvoir dans les affaires coutumières.

Aloys Ndakoraniwe, un autre invité au débat, signale que ce système était tel que le roi devait sentir que son salut était conditionné par la présence allemande. « Par ce système, les institutions locales étaient maintenues et respectées». Les Allemands l’ont d’abord appliqué dans le Tanganyika territory et c’est à partir de 1905 que ce système s’est appliqué au Burundi sous l’initiative du gouverneur Von Götzen.

Pour James Ndayizigiye, un jeune du Centre Jeunes Kamenge, les Allemands étaient doux. « Le roi et ses délégués avaient une certaine considération et pouvaient prendre des décisions». Ce qui rejoint l’idée de M.Ndakoraniwe qui trouve que l’autorité allemande avait un certain degré de considération des peuples colonisés, une volonté de respect mutuel.

Contrairement aux Allemands, les Belges vont appliquer le direct ruler (administration directe). James Ndayizigiye estime que les Belges vont diluer le pouvoir royal : « Le roi n’avait plus droit de décision, sa personnalité a été dévalorisée. Il était réduit à un simple sujet.» Pour Alexis Bigirimana, un autre jeune du Centre Jeunes Kamenge, cette administration directe a scandalisé les Burundais qui avaient une estime pour le roi. Elle était caractérisée par le non-respect de l’organisation politique et sociale des peuples colonisés, la destruction des fondements de la monarchie burundaise, le mépris de l’autorité royale et la destruction des bases philosophiques, politiques, sociales et culturelles du Burundi.

« Ils sont les mêmes »

Pour Belinda Iradukunda, une étudiante à l’Université du Burundi, les colonisateurs sont les mêmes. Même du temps de l’indirect ruler, explique-t-elle, on dit que le roi était là pour gouverner, mais il ne régnait pas. Or, avant l’arrivée des colonisateurs, cette jeune étudiante rappelle que le roi assurait les deux fonctions : gouverner et régner. « Il était le garant de la sécurité, du développement de son pays».

Audrey Akimana, elle aussi étudiante à l’Université du Burundi, observe que les Allemands n’étaient pas des enfants de chœur : « Ils étaient hypocrites. Dans les mots, ils disaient avoir laissé le pouvoir au roi, mais ce sont eux qui prenaient les décisions.»

Elvis Nduwayo soutient qu’il n’y avait pas de différence entre les Belges et les Allemands : « Avant leur arrivée, le royaume était bien géré par les rois, la cohabitation était bonne entre les composantes de la société burundaise. Un ordre qui a été renversé avec les colonisateurs. » Et d’enchaîner : « Avec la politique de diviser pour régner, l’exclusion d’une catégorie de la population, des privilèges accordés à une ou telle autre ethnie, des Burundais ont commencé à se rentrer dedans », détaille ce jeune.

Reconnaissant qu’il y a eu des progrès dans le domaine socio-économique, il souligne que les colonisateurs avaient des intérêts visés : le pillage des ressources naturelles et minières, l’exploitation de la main d’œuvre, etc. Malheureusement, déplore-t-il, il y a eu des Burundais qui se sont alignés derrière les colonisateurs pour bénéficier des faveurs.

Quant à Diomède, un jeune chercheur, il est convaincu que les colonisateurs n’ont réalisé aucune bonne action dans le pays : « Par exemple, l’installation des écoles ne visait pas l’intérêt des Burundais. Mais c’était pour avoir des collaborateurs pouvant les aider à asseoir leur domination. Ce sont eux qui choisissaient ceux qui vont fréquenter ces écoles.» Pour lui, même les routes tracées se dirigeaient vers les missions, leurs lieux de résidence, etc. « C’était aussi pour rendre facile le contrôle de tous les coins du pays».


Eclairage

Le politologue Elias Sentamba.

Selon le politologue Elias Sentamba, les Allemands ont appliqué l’indirect ruler pour deux raisons. Ils étaient moins nombreux pour remplacer tous les organes dirigeants en place. Ils devaient alors se faire aider par les noirs.
Pour lui, ces Allemands ont été un peu malins. « Ils voulaient donc se donner du temps pour être nombreux». A ceux qui disent qu’ils étaient doux, il leur rappelle que les Allemands ont appliqué la politique de diviser pour régner. Pour affaiblir le roi Mwezi Gisabo, ils ont soutenu les rebelles comme Kilima et Maconco. Et après la signature du Traité de Kiganda consacrant la soumission du roi aux Allemands, ces derniers l’ont aidé à combattre ses anciens alliés à savoir Kilima et Maconco.

En ce qui est de l’administration indirecte appliquée par les Belges, il rappelle que ceux-ci sont arrivés au Burundi en 1917. Vaincue lors de la 1ère guerre mondiale, l’Allemagne a vu ses colonies confier aux autres puissances. Le Burundi est tombé dans les mains des Belges qui étaient d’ailleurs présents au Congo.

Et pour avoir une mainmise sur le pays, ils ont commencé par détruire les fondements de la société : le culte traditionnel religieux (Kubandwa), la suppression de l’Umuganuro (grand rassemblement national, une sorte de retraite gouvernementale), la diabolisation des Abanyamabanga (gardiens des secrets royaux parmi les conseillers du roi), le rôle d’Abishikira réduit à zéro, etc. Ces derniers étaient les informateurs du roi, un véritable service de renseignement. Ils donnaient rapport directement au roi et échappaient au contrôle des princes, d’Abatware (chefs).

Ainsi, le roi va rester seul et solitaire et ses pouvoirs fortement réduits. C’est alors que les Belges vont décider pour le pays. « Désormais, ce sont les nouveaux convertis au catholicisme, ceux qui savent lire et écrire qui vont être des proches des colonisateurs. L’école ayant déjà créé la distance entre eux et le reste de la population».

Mais le grand bouleversement va s’opérer avec la réorganisation administrative initiée par la tutelle belge en 1925. Avec cette administration, presque tous les Hutu ont été exclus de l’administration, des postes de responsabilités, etc. « Ils ont été progressivement remplacés dans l’administration par les lauréats d’Astrida. Ces derniers étaient majoritairement des fils de Baganwa et des Tutsi».

Avant l’arrivée des colonisateurs, toutes les composantes de la société étaient représentées dans les différents organes dirigeants. « Pour désigner telle ou telle autre personne à un tel poste, c’est l’appartenance clanique qui était mise en avant et pas l’ethnie. Les termes Hutu et Tutsi avaient un autre sens, contrairement à ce qui se dit aujourd’hui».

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