La répression a été féroce. La crise a commencé dans le sud pays, mais elle s’est étendue sur tout le territoire du pays. Nombre d’observateurs s’accordent à dire que la gestion des événements de 1972 a été catastrophique. Pour les habitants de Rumonge, les séquelles de cette crise sont toujours vivaces.
Martin Ndayahoze, ministre de l’information, a produit un rapport politique, le 18 avril 1968, pour attirer l’attention du président Michel Micombero sur une tension ethnique qui s’observe dans le pays. « Le climat politique accuse une certaine tension. Des bruits de coup d’Etat circulent et tourmentent l’opinion publique. La population s’inquiète, se méfie et veille. (…) Si on analyse la cause de cette petite crise qu’on vient de passer, on remarque un refroidissement des rapports entre citoyens qui peuvent se développer en une haine ethnique. » Et d’ajouter : « Quand deux ou trois Hutu se rencontrent pour trinquer un verre, on conclut tout de suite à un complot de subversion. » Le régime de Micombero n’a rien fait pour remédier à la situation. Même ce ministre a été assassiné pendant la crise de 1972.
Les habitants du sud du pays se demandent comment la répression s’est propagée dans tout le pays. Venant de Vyanda se souvient : « Les administratifs nous disaient d’aller sur les hauteurs. Personne n’a dormi dans sa maison dans les premiers jours de la crise. Ils nous incitaient à faire des rondes nocturnes. Les femmes dormaient dans les bois. Dans un premier temps, les Hutu et les Tutsi fuyaient ensemble. Le 3e bataillon de Gitega est arrivé par après. Les assaillants ont été décimés. Par après, on a commencé à nous diviser. Les administratifs à la base avaient des listes des Hutu à arrêter. On ne les revoyait plus. »
Quant à Egide, il indique que les administratifs à la base se sont emparés des vaches et autres biens de ceux appelés « les Abamenja » pour dire les Hutu. « Normalement, la crise aurait pu se terminer dans le sud où elle avait commencé. Les Mulélistes ne sont pas montés à Ngozi pour massacrer les gens. Mais les Hutu ont été tués dans tout le pays. Même les Tutsi qui sont morts à Ngozi ont été tués par le régime en place », se remémore Didace. « Je ne peux pas comprendre comment la crise a commencé dans le sud pour embraser tout le pays. C’est incompréhensible. Il y avait moyen d’en finir avec les assaillants sans s’en prendre à la population innocente », s’indigne Aron, un jeune de Rumonge.
La JRR et l’armée, instruments de la répression
Dans leur livre « Burundi 1972, Au bord des génocides », Jean Pierre Chrétien et Jean François Dupaquier ont beaucoup écrit sur les événements de 1972. Selon eux, c’est toute la machine étatique qui était impliquée dans la répression : armée, administration, justice, police, parti au pouvoir. « A Bujumbura, la « purge » des ministères a fait disparaître en quelques jours la quasi-totalité des fonctionnaires Hutu, jusqu’aux misérables zamu (gardiens), postes convoités dans un pays où l’exode rural transforme les faubourgs de la capitale en vastes camps de chômeurs non qualifiés, vivant misérablement. Après les ministères et les écoles, les rafles déciment les rares entreprises industrielles de la capitale. »
Les deux auteurs reviennent sur l’implication de la JRR dans les événements de 1972. D’après eux, le semblant de vide du pouvoir du fait de la dissolution, du gouvernement et des organes dirigeants du parti UPRONA, « a donné à des adolescents de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (JRR ndlr) l’occasion des pires dérapages. Depuis des années, le mouvement intégré de jeunesse gérait une cohabitation paradoxale entre d’une part l’élite estudiantine contestataire, marxisante, nationaliste, anti tribaliste, et d’autre part une masse de jeunes déscolarisés et désœuvrés. Derrière sa brillante façade intellectuelle, la JRR agrège un prolétariat adolescent prêt à toutes les violences, les héritiers directs des assassins des syndicalistes hutus de l’OCAF en 1962. Et certains représentants de l’élite estudiantine leur emboîtent le pas avec une facilité déconcertante. »
Les séquelles encore très vives
Selon les habitants de la province Rumonge, cette crise a ravivé les conflits entre les Hutu et les Tutsi. « Même aujourd’hui, certains Hutu considèrent les Tutsi comme leurs ennemis et vice-versa. Du coup, ils enseignent cette haine à leurs enfants. Ces derniers doivent comprendre que ce n’est pas le cas », assure un homme d’une soixantaine d’années. «Aujourd’hui, il y a certaines familles Tutsi qui ne peuvent pas accepter un gendre Hutu. En plus, lorsque tu portes un enfant d’un Hutu, il reconnaît que c’est le sien le jour de sa naissance. S’il ressemble à sa mère Tutsi, il le rejette. Mais, ce n’est pas tout le monde qui le fait », indique une autre jeune fille.
Eclairage
Selon le Professeur Jean Marie Nduwayo, les attaques dans le sud du pays étaient connues par le régime de Micombero. « Nombre de personnes se demandent pourquoi Micombero a limogé le gouvernement à 12h ce 29 avril 1972. Il a nommé des gouverneurs militaires. Ce sont eux qui prenaient des décisions. Les Jeunes Révolutionnaires Rwagasore (JRR) se sont également illustrés dans la crise. La répression était contrôlée par un groupe de 5 personnes.
L’objectif était de traquer tous les Abamenja.» D’après le professeur Nduwayo, les administratifs, du gouverneur au chef de zone, avaient la latitude de tuer ou de sauver qui ils voulaient. « On feignait d’organiser des réunions sur les collines ou dans des stades et on invitait toute la population. Les Hutu qui s’y rendaient ne revenaient jamais. Ne pas y aller était aussi un crime. » En substance, poursuit-il, le régime n’a pas bien géré la crise.
Il souligne que la communauté internationale a été au courant de cette crise lorsque les médias belges ont commencé à en parler après 3 semaines. « Le régime contrôlait extrêmement l’information. Certains élèves ont su que leurs parents ont été tués ou ont fui quand ils sont rentrés pour les vacances».
D’après le professeur Nduwayo, les Hutu tués étaient notamment des intellectuels, des commerçants et d’autres qui avaient un certain train de vie relativement élevé. Il relève que les conséquences de cette crise ont été nombreuses : « A cause des massacres des intellectuels, certains parents Hutu ont arrêté d’envoyer leurs enfants à l’école. De plus, c’était très difficile pour un Hutu d’avoir un poste élevé au sein de l’appareil étatique. A l’armée, les Hutu ont été interdits de fréquenter l’ISCAM pour devenir officier. »