En 1925, les Belges vont initier une réforme administrative. Ce qui conduit à la destruction des fondements sociaux, politiques et culturels de la société burundaise. Les identités Hutu, Tutsi et Twa deviennent biologiques. D’où des révoltes dans certains coins du pays. Cas d’Inamujandi et Runyota.
Invités à débattre sur les révoltés d’Inamujandi et Runyota, les jeunes de Kayanza apprécient les actions de ces deux personnages historiques. « Inamujandi était une femme courageuse, une devine de Ndora. Elle a mobilisé la population de Kayanza et Cibitoke pour résister contre les Belges », lance Yvette Nzeyimana. Et Runyota était très attaché au culte de Kubandwa.
De son côté, Vincent Nzobonimpa signale que Runyota était aussi appelé Kanyarufunzo et opérait dans le centre du pays. Aux yeux des Belges, les deux étaient vus comme des rebelles. Or, commente-t-il, leur but était de résister contre les colonisateurs et leurs alliés. « En effet, les colonisateurs en collaboration avec les missionnaires avaient combattu le culte de Kubandwa, fragilisé le pouvoir monarchique, etc », explique Claver Hakizimana, un autre jeune de Kayanza.
Pour sa part, Léonard Kabwebwe trouve que les deux – Inamujandi & Runyota – étaient charismatiques, des révolutionnaires. « Ils ne toléraient pas les abus du pouvoir colonial et de leurs proches ». Pour mener leur lutte, ils vont appeler les Burundais à ne pas payer l’impôt, à boycotter les produits européens, la monnaie belge, à se rebeller contre les chefs alliés des colonisateurs, etc.
Une réforme discriminatoire
Selon une recherche de l’Institut de Recherche Scientifique pour le Développement(IRSD), la réforme administrative de 1925 va entraîner des changements importants dans la vie du pays. La géographie politique se métamorphose. Ici, elle cite la disparition des domaines royaux, d’Abishikira, des Banyamabanga et la redéfinition du rôle du chef et du sous-chef sur de nouvelles bases. Elle évoque aussi la naissance de nouveaux agents administratifs inconnus avant la colonisation. Avec cette réforme, poursuit-elle, un chef ne dirige plus deux terres situées dans des territoires différents, les chefferies ont désormais des limites naturelles, le nombre des chefferies est réduit, des chefs et sous-chefs sont destitués tandis que d’autres vont démissionner pour éviter l’humiliation.
L’IRSD parle aussi de la promotion des chefs et des sous-chefs dévoués à la cause coloniale et des missionnaires. Les chefferies passent de 131 en 1929 à 46 en 1933, puis de 44 en 1937 à 35 en 1945. Soit le départ d’environ un chef sur quatre.
Une réforme dont les effets vont être multiples, selon cette étude. L’IRSD cite la limitation du pouvoir royal, l’augmentation du pouvoir des grands Baganwa, la promotion politique par ordre décroissant, les Baganwa Bezi et Batare et des Batutsi en défaveurs des Bahutu, la suppression de leur institution politico-religieuse, l’émergence des chefs tyrans, etc.
Eclairage
Selon l’historien Emile Mworoha, Inamujandi était une sorcière aux yeux des colonisateurs. Une rebelle. Or, sa révolte était légitime et fondée. Originaire de Gitega, le chef Pierre Baranyanka, un ‘’fidèle’’ à l’administration coloniale, est à la tête de la région de Nkiko-Mugamba. Ce qui est intolérable pour Inamujandi. Car Baranyanka est venu avec ses hommes : des Tutsi et des Batware. Tous les anciens chefs, des Hutu, sont destitués. Cette femme a sa capitale Munanira, vers Rwegura. Nkiko-Mugamba ayant été le domaine de Kilima, le fils naturel de Ntare Rugamba, la population le considérait comme un véritable roi.
L’historien Mworoha dit ne pas connaître exactement les origines d’Inamujandi.
Frustrée par la destruction des piliers de la monarchie comme la religion traditionnelle (le culte de Kubandwa), elle va galvaniser la population, depuis Ndora, pour résister. « Elle disait qu’il y aura un autre roi pour développer le pays et se défaire du joug colonial.» Quatre maisons de prière seront brûlées aux succursales catholiques de Gatara et Musigati.
Baranyanka fait alors appel à l’armée belge pour la déloger. Des soldats (majoritairement des Congolais) vont opérer en deux groupes : le premier va entrer par Musigati et l’autre par Kayanza à Kwirabiro. « Leur but étant d’encercler Inamujandi et ses hommes retranchés à Ndora». Face aux balles des soldats, Inamujandi disait à ses hommes : « N’amazi masa. Ni ifu y’ibiyoba.»
Mais deux de ses combattants vont être tués. Le reste de ses troupes va alors réaliser que ce sont de vraies balles. Certains vont se rendre. Plus de 30 seront capturés, jugés et emprisonnés à Gitega et à Ngozi. Inamujandi sera attrapée en 1934 et conduite à la prison de Ruyigi. C’est là qu’elle finira sa vie.
Et Runyota ?
De son vrai nom Ntirwihisha, il est né à Gitega, proche de Karusi. A la mort du chef Ntarugera, ses fils vont maltraiter la population en commettant beaucoup de bavures. L’impôt de 5 BIF va passer à 10 BIF. Ntirwihisha prend alors le surnom de Runyota (devin de Ntare Rugamba). Il va prêcher le boycott des produits des Blancs, le refus de payer l’impôt, etc. Avec la réforme de 1925, les princes déchus vont adhérer à l’idée de Runyota. Ce résistant va chasser le Muganwa Nduwumwe jusqu’à Gitega.
L’administrateur territorial de Gitega va mobiliser 100 soldats. Les administrateurs de Ruyigi et Muyinga vont se rallier à sa cause. Ils attaquent Runyota et ses hommes. Certains princes vont demander pardon, d’autres donnent des vaches comme amende ou seront emprisonnés. Vaincu, Runyota va se réfugier à Bushubi (colonie anglaise) chez le roi Nkundabagore. Il est capturé et reconduit à Gitega. Il sera condamné à la peine capitale. Son corps a été brûlé vif et ses cendres jetés dans la Ruvubu.
Malgré leur défaite, l’historien Emile Mworoha trouve qu’Inamujandi et Runyota étaient des leaders, des révolutionnaires. Les deux étaient tous du clan Abajiji.