Dans une discussion intéressante, les jeunes et moins jeunes de la province Rutana ont discuté sur l’histoire du Burundi. Le thème portait sur les relations tumultueuses entre le père de l’Indépendance du Burundi et l’administration belge.
Dans son livre Assassinat de Rwagasore, le Lumumba burundais, le journaliste belge, Guy Poppe, en fouillant dans les archives du ministère belge des Affaires Etrangères, écrit : « (…) Après son retour de Belgique, le jeune Rwagasore se révèle progressivement une menace pour l’immobilisme imperturbable du système colonial. Le garçon docile qu’il était à son départ s’est mué en jeune homme impétueux et capricieux. Il ne se laisse pas imposer de carcan par l’autorité de tutelle, a adopté de nouvelles idées concernant l’indépendance économique et les investissements, crée des liens avec des acteurs importants au Burundi, mais aussi avec la future élite des pays voisins…» Il ajoute : «En 1960, la partie est clairement engagée. Rwagasore, prince de sang royal, est entré dans l’arène politique et cela n’est manifestement pas du goût de l’administration. Finalement, elle le place en résidence surveillée et lui interdit de faire de la politique.»
Concernant la mise en résidence surveillée du Prince Rwagasore, Guy Poppe écrit : « (…) le 28 octobre 1960, le sort en est jeté. La police de Bujumbura informe Rwagasore à sept heures du matin qu’il est placé sous résidence surveillée. Elle le transfère à Bururi». L’écrivain-journaliste ajoute : «La mise en résidence surveillée de Rwagasore à un endroit éloigné de toute activité politique a donc lieu quasi immédiatement après son retour du Tanganyika.» Selon Guy Poppe, il y a eu toujours des frictions entre Rwagasore et l’administration belge.
Les jeunes débattent
Pourquoi il y avait toujours des frictions entre Rwagasore et la tutelle? «L’administration belge avait peur de lui car elle pensait qu’il allait chasser les colonisateurs du Burundi. De plus, il était le fils du roi», relève Jean. «La Belgique avait des intérêts au Burundi comme les autres colonisateurs en avaient en Afrique. Les colonisateurs ne pouvaient tolérer quelqu’un qui menace leurs intérêts», indique Déo. «La recherche de l’indépendance est à l’origine de ces mauvaises relations. De plus, il a créé les coopératives à son retour de la Belgique. Ce qui n’a pas plu aux colonisateurs», souligne Jean Pierre.
Les revendications de Rwagasore étaient-elles fondées? «Je ne soutiens pas à 100% les idées de Rwagasore car on n’était pas suffisamment mûr. L’économie n’était pas encore développée. Les Burundais ne maîtrisaient pas encore les rouages de l’administration», souligne Audace. Ce n’est pas l’avis de Léonard Harimenshi : « Rien ne justifiait que les colonisateurs restent dans notre pays. Avant leur arrivée, les Burundais vivaient mieux.» Jean Paul abonde dans le même sens : «Il était plus que temps. Avant la colonisation, nous avions une administration bien structurée. Les Belges n’étaient pas là pour nous coloniser. Nous étions sous tutelle. Ils avaient la mission de nous aider à nous développer. Mais ils ont commencé à utiliser la force, ce qui n’était pas prévu.» Selon Jean Paul, le Prince Rwagasore a eu le privilège d’aller étudier chez eux et il a vu leur mode d’administration. «Il s’est demandé pourquoi les Belges n’étaient pas administrés par la chicotte. Il a alors exigé notre indépendance».
Quels sont les mobiles de son assassinat? Thaddée pense que le mobile de l’assassinat du prince est la victoire qu’il venait de remporter lors des élections législatives de 1961. «Les commanditaires de son assassinat pensaient qu’avec sa mort, il n’y aurait pas d’indépendance». Selon Jean Bosco, ses opposants pensaient que le pays tomberait dans le chaos après sa mort. «Ils ont échoué car le pays a continué à fonctionner». Jean Paul partage cette opinion : «L’administration belge a été surprise par la popularité de Rwagasore. Elle a alors approché les Bezi à savoir Birori et Ntidendereza. Ces derniers pensaient prendre le pouvoir après la mort du prince.» Déo le voit d’un autre œil : «Les colonisateurs ont gagné. Rwagasore avait un programme pour les Burundais qui devait être mis en application par lui-même. Par après, nous avons été gouvernés par ses successeurs qui pensaient comme les colonisateurs.»
Des signes avant-coureurs de son assassinat? Selon Audace, le Prince Rwagasore a été malmené lors des élections communales et législatives de 1960 et 1961. «Il était aussi suivi lors de la campagne. Ila failli être tué plusieurs fois». Selon Charles, le choix de le mettre en surveillance surveillée à Bururi était une façon de l’isoler pour que ses collaborateurs ne puissent pas le voir et lui demander conseils.
Eclairage
Selon le politologue Denis Banshimiyubusa, la recherche de l’indépendance du Burundi s’inscrivait dans le courant de pensées de la plupart des pays africains et asiatiques. Il indique qu’il y avait, à cette époque, plus de 25 partis politiques avec des visions différentes. Il y a deux cartels, à savoir le parti démocrate et monarchique conduit par l’Uprona – favorable à l’indépendance immédiate -, et le Front commun sous la houlette du PDC, qui était pour l’indépendance tardive. Ce dernier était proche de l’administration belge. D’après ce politologue, cette dernière était alors contre l’Uprona d’où les relations tumultueuses avec le prince Rwagasore. La création des coopératives par le prince a été aussi une source de conflit. Toutefois, il indique que cette animosité n’a pas toujours existé. Elle a commencé quand Rwagasore a commencé la lutte politique.
Pour le Pr Banshimiyubusa, la victoire de l’Uprona aux élections législatives de 1961 est à l’origine de son assassinat. Les commanditaires s’imaginaient que la disparition du prince et de l’Uprona laisserait la place aux partis du Front commun. De plus, poursuit-il, avec sa nomination comme premier ministre et la composition du gouvernement ainsi que la mise en place de l’Assemblée législative, les commanditaires étaient furieux car ils étaient sûrs que l’indépendance immédiate allait aboutir. Un autre mobile est son amitié avec Lumumba qu’on qualifiait de communiste. Denis Banshimiyubusa assure que Rwagasore a été traqué avant et après les élections car il était considéré comme l’ennemi numéro un de l’administration belge. Il rappelle sa mise en résidence surveillée en 1960. Il était haï par l’administration belge et par ses frères Bezi du Front commun.