Dimanche 22 décembre 2024

Politique

Du passé composé au futur simple : Charte de l’Unité nationale, de la poudre aux yeux ?

17/03/2021 6
Du passé composé au futur simple : Charte de l’Unité nationale, de la poudre aux yeux ?
Monument de la charte de l’unité nationale, sis à Kiriri, zone Rohero, commune Mukaza.

Le 5 février 1991, par voie référendaire, les Burundais ont voté ‘’oui’’ pour la Charte de l’Unité nationale. Quel était le but de cette charte ? Quel est son contenu ? A-t-il abouti à son objectif ?

« Nous attendons donc de vous une réflexion approfondie sur la question de l’unité nationale en vue d’aboutir à des recommandations constructives », a déclaré, le président Pierre Buyoya, le 6 octobre 1988, dans un discours de lancement des travaux de la commission chargée d’étudier la question de l’unité nationale. D’après son rapport d’avril 1989, ladite commission a été mise en place par décret N°100/162 du 4 octobre 1988. Selon l’ex-président Sylvestre Ntibantunganya, elle était composée de 24 membres, 12 Tutsi et 12 Hutu. Entre autres missions figuraient de mener des investigations poussées sur l’unité des Barundi dans ses fondements historiques et socio-culturels, dégager son évolution, les raisons et les manifestations des divisions qui la contrecarrent afin de proposer des solutions pour la renforcer. Dans le discours de lancement des travaux, le président Buyoya a bien précisé que la commission est une et indivisible, ses membres ne représentent donc aucune ethnie, aucun groupe socio-professionnel, aucune confession, etc. « Les membres doivent débattre en toute franchise pour apporter chacun une contribution positive, en toute sérénité. L’attentisme, la complaisance ou la passion, rien de tel ne sied à votre mission », a-t-il recommandé. Avec cette commission, le parti et ses mouvements intégrés, eux-aussi, ont été invités à entamer un large débat sur la question de l’unité nationale.

Origines des divisions

Invité au débat autour de l’unité nationale, Ezéchiel Ndikumwenayo, de Bujumbura, a indiqué que le passé du Burundi a été marqué par des conflits, notamment sur base ethnique et régionale. Cas de 1961,1965 et 1972. Et Jean Ndayiragije, un autre invité, d’ajouter la crise de Ntega-Marangara en 1988. Ce qu’a affirmé l’ex-président Sylvestre Ntibantunganya, aussi invité à ce débat. Il a évoqué les cas des tueries des cadres Hutu en 1965. Ce qui a eu un impact sur la représentativité Hutu dans les institutions. Concernant 1972, il a souligné qu’il s’agissait tout simplement d’un génocide contre les Hutu. Ce qui ne signifie pas, selon lui, qu’il n’y a pas eu des victimes Tutsi ou Baganwa.

Dans le rapport de la commission nationale chargée d’étudier la question de l’unité nationale, les origines de la division sont à situer à l’avènement du régime colonial. Cas de la vision raciste et caricaturale de la société burundaise à travers l’idéologie raciste et le mythe hamitique. Ce rapport cite aussi la mise en œuvre des pratiques discriminatoires dans la politique d’administration indirecte, l’engagement du pouvoir colonial dans une politique de division délibérée des Burundais, l’assassinat du Prince Louis Rwagasore, etc. En effet, explique ce rapport, avec la mort du Prince, il y a eu un sérieux problème de succession à la tête du parti et les ambitions égoïstes ont détourné la direction du parti de sa vocation naturelle de mobiliser et encadrer la population.

A ce niveau, l’ancien président Ntibantunganya a rappelé que ces différentes crises ont eu un impact négatif sur la vie socio-politique du pays. Ainsi, certaines organisations ont vu le jour pour réclamer leurs droits.

L’unité nationale, un échec

« Beaucoup de Burundais ont voté ‘’oui’’ pour la Charte de l’unité nationale. Pour le bas peuple, c’était salutaire. Il a été content et croyait tourner la page d’un passé douloureux », a signalé Tharcisse Barakekenywa, un vieux de Bujumbura, avant de déplorer : « Il y avait une clique d’intellectuels qui n’y croyait pas. La preuve en est que, lors de la campagne électorale de 1992, des injures, des propos déshumanisants, des menaces ont été constatés. Juste quelques mois après les élections, le président élu a été tué et le pays a replongé dans le chaos.»

Pour lui, c’était une unité de façade. Idem pour Ezéchiel Ndikumwenayo qui a déclaré que la Charte de l’unité nationale a été un échec.

Thierry Mukeshimana, un jeune de Bujumbura, estime que la Charte de l’unité nationale était symbolique : « Tous les Burundais, surtout les intellectuels, n’y ont malheureusement pas adhéré.» Ce que soutient Audrey Akimana, une jeune fille : « Vu ce qui s’est passé en 1993, l’objectif de réconcilier les Burundais n’a pas été atteint. Cela montre que la Charte de l’unité nationale était un trompe-œil. Une unité sur le papier, pas dans les cœurs. »

Les membres de la Commission nationale chargée d’étudier la question de l’Unité nationale :

1. Libère Bararunyeretse ;
2. Balthazar Habonimana ;
3. Donatien Bihute ;
4. Raphael Bitariho ;
5. Commandant Gérard Haziyo ;
6. Jean Kabura ;
7. Monseigneur Stanislas Kaburungu ;
8. Nicolas Mayugi ;
9. Lieutenant-Colonel Jean-Baptiste Mbonyingingo ;
10. Charles Mukasi ;
11. Arthémon Mvuyekure ;
12. Emile Mworoha ;
13. Adolphe Nahayo ;
14. Gérard Ndayisenga ;
15. Monseigneur Alfred Ndoricimpa ;
16. Monseigneur Evariste Ngoyagoye ;
17. Ambroise Niyonsaba ;
18. Sylvestre Ntibantunganya ;
19. Albin Nyamoya ;
20. Major Audace Nzikoruriho ;
21. Luc Rukingama ;
22. Marthe Rukingamubiri ;
23. Marie-Louise Sebazuri ;
24. Gamaliel Ndaruzaniye.

Quelques contenus de la Charte de l’unité nationale du 5 février 1991 :

-L’unité nationale a toujours constitué pour le peuple Burundais le recours salutaire contre tous les drames ;
-Nous ne cautionnerons jamais les actes et comportements divisionnistes de quelque nature que ce soit ;
-Nous condamnons toute tendance à la globalisation ;
-Le recouvrement de l’indépendance nationale a été l’œuvre de tous les Barundi ;
-Le peuple Burundais accuse une homogénéité culturelle rarement égalée ;
-Nous nous engageons à extirper de notre société toute tendance à la violence, l’extermination physique et la vengeance ;
-Nous nous engageons à bannir de notre société toute idéologie divisionniste ;
-Respecter la vie humaine ;
-Nous réconcilier avec nous-mêmes ;
-Promouvoir la justice ;
-Privilégier l’intérêt général ;
-Nous reconnaître avant tout Barundi ;
-Combattre l’injustice ;
-Sauvegarder et consolider la paix et la sécurité ;
-La gestion démocratique de l’Etat.

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Jereve

    Nous aurons bon établir des textes, des chartes, des accords… ils resteront des actes manqués aussi longtemps que les détenteurs du pouvoir veulent à tout prix un pouvoir sans partage.

  2. Chris Hara

    Il ne faut pas oublier que le Burundi souffre d’un terrible virus à savoir le virus rwandais de génocide. Il est pire que Coronavirus, Ebola, MERS, SARS, HIV/SIDA réunis. L’historien Jean-Pierre Chrétien a appelé cette idéologie : Le nazisme tropical. Alors qu’en Europe le nazisme tropical a été combattu et mis hors d’état de nuire et l’Europe a juré PLUS JAMAIS CA, le nazisme tropical a envahi toute la région des Grands Lacs et a détruit tout sur son passage. Au lieu d’asseoir le PLUS JAMAIS CA, dans les Grands Lacs c’est A LA PROCHAINE. Le médicament antiviral aurait dû être la démocratie car dans une démocratie il n’existe pas de hutu ni de tutsi mais des citoyens, hélas, le virus s’est avéré résistant à toute médication. Nous sommes une société complètement déstructurée alors que nous fumes une civilisation extraordinaire. Imaginez un territoire grand comme une commune de la RDC mais qui est resté une nation souveraine alors que les grands empires Bakongo, Malinké, Luba, Zulu, etc ont complètement disparu. Le grand écrivain russe, Alexandre Soljenitsyne, a affirmé que l’on peut se remettre du totalitarisme, du communisme, du nazisme mais il est difficile de sortir du colonialisme qui détruit l’âme des nations et le tissus social.

  3. Nshimirimana

    Chers amis lecteurs d’Iwacu,
    Essayons une seconde de porter un regard su ce qui s’est passé et tirons les conclusions sur les tenants et aboutissants de cette charte de l’unité nationale.
    1. Elle est conçue au lendemain des massacres de 1988 où, selon les chiffres avancés à ce jour, plus de 50 milles personnes ont été en grande majorité fauchées par l’armée monoethinique de l’époque.
    2. Au lendemain de la mise en place de cette charte, un président démocratiquement élu est fauché par cette armée et l’on connait la suite
    3. La personne qui a tant chanté et mis en avant cette charte, faisait partie de cette même armée et en était par ailleurs son enfant bien aimée à en croire certains écrits…
    4. L’unité nationale et l’unité tout court ne se décrète pas. Elle est l’aboutissement d’un processus , d’une volonté, d’un besoin du vivre ensemble…
    5. Elle a occulté les vrais enjeux mettant systématiquement en avant les réalisations de l’Uprona en matière de l’unité nationale et quant l’on connait le rôle de ce parti dans les différentes massacres que beaucoup qualifient aujourd’hui de génocide, on peut se questionner..
    6. Dans ses conclusions, dits membres auteurs de cette charte concluent en affirmant que des actes de génocides ont été commis contre les Tutsi et tout au long de leurs considérations les ennemis de cette unité tant attendu se trouvaient à l’exterieur du pays pour ne pas dire hutu exilés.
    Cette charte ne peut qu’être une arnaque de plus et est à abolir à mon avis

  4. Dr Amédée Nkeshimana

    Il est assez singulier chez les barundi de toujours aligner des noms impersonnels de personnes sans jamais dire qui est qui (yamaze iki?).
    On le voit également lorsqu’il s’agit des nominations à différents postes de responsabilité. La seule information distillée quelques fois est l’ethnie ou la région d’origine….
    Comment se fait-il que les organisateurs de cette causerie n’ont pas pensé à interroger les participants à ce forum,qui trente ans plus tard n’auraient pas manqué de nous éclairer avec tout le recul et les vécus de chaqu’un depuis tout ce temps.
    On reste sur sa soif.
    Ntawuyaheza N.

  5. Doris

    A mon avis ce n’est pas la charte de l’Unité qui est un échec mais les politiciens d’hier et d’aujourd’hui qui devraient la traduire dans les actes . Un texte de loi « n’est qu’un chiffon de papier » s’il n’est pas traduit dans les faits , s’il n’est pas appliqué. Les politiciens ont été d’une constance désarmante lorsqu’il s’est agi de ne pas appliquer la loi . Je me souviens lorsque , Buyoya était au pouvoir , des journalistes demandaient à un certain Sylvestre Ntibantunganya ce qu’il pensait de la charte de l’Unité, il a dit en substances ce qui suit  » l’unité ne se décrete pas , elle se vit » . Les milieux tutsi ont alors tiré à boulet rouge sur ce ténor du Frodebu d’alors .Mais Il avait raison de le dire ce n’est pas l’unité des barundi qui était en jeu mais le partage du pouvoir politique . Et lorsque ceci a fait défaut les politiciens ont utilisé l’ethnie pour mettre le pays à feu à sang . Ceci est valable aussi bien en 1972 qu’en 1993 en passant par toutes les étapes intermédiaires. Pris individuellement un tutsi et un hutu n’ont aucun problème entre eux, mais je ne crois pas en la sincérité des dirigeants .Tous ces monuments de l’unité ne servent à rien pour moi et je comprends parfaitement ceux qui se moquent d’eux. Qu’on me prouve le contraire !

  6. Mbazumutima

    « Beaucoup de Burundais ont voté ‘’oui’’ pour la Charte de l’unité nationale. Pour le bas peuple, c’était salutaire. Il a été content et croyait tourner la page d’un passé douloureux », a signalé Tharcisse Barakekenywa, un vieux de Bujumbura, avant de déplorer : « Il y avait une clique d’intellectuels qui n’y croyait pas. La preuve en est que, lors de la campagne électorale de 1992, des injures, des propos déshumanisants, des menaces ont été constatés. Juste quelques mois après les élections, le président élu a été tué et le pays a replongé dans le chaos.»

    Les instruits, pardon, les intellectuels sont interpelés !

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