Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Du passé composé au futur simple : 1993, l’année où tout bascule

28/04/2021 4
Du passé composé au futur simple : 1993, l’année où tout bascule
Quelques participants au débat de Muyinga.

Le parti Sahwanya Frodebu est sorti vainqueur des élections de juin 1993. Investi le 10 juillet 1993, Melchior Ndadaye est devenu président de la République et a annoncé un ‘’Burundi nouveau’’. Trois mois plus tard, l’espoir a rapidement cédé la place au désespoir. Débat.

Chef-lieu provincial de Muyinga, une ville en plein développement. Très animée. Des bus des agences, des motards, des taxi-vélos font la navette. De nouvelles constructions de maisons, de stations… s’installent. De petits commerces au bord de la route principale se développent. La voirie est en cours de renouvellement. Les gens vaquent normalement à leurs activités quotidiennes.

Les habitants gardent de bons et de mauvais souvenirs des élections de 1993. Pour certains, elles n’avaient pas été bien préparées. « Au sein du parti Uprona, la défaite était inimaginable. Ils pensaient qu’ils allaient gagner haut la main les élections », raconte Charles Miburo, dans un débat sur cette période organisé à Muyinga. Même du côté Frodebu, il souligne que les choses n’étaient pas claires : « Beaucoup de ses militants constitués par le bas peuple ne réalisaient pas les enjeux de cette élection. Ils suivaient innocemment les enseignements de leurs chefs. Ils avaient tout simplement soif de changement. » Léonard Ndihokubwayo, un autre habitant de la ville, abonde dans le même sens : « Ce n’était pas facile de faire comprendre aux Upronistes qu’il est possible de perdre les élections après 30 ans au pouvoir. » Pour ce parti de Melchior Ndadaye, la victoire était presque sûre.

La campagne électorale, prélude à une crise

Des messages, des slogans divisionnistes… ont été utilisés en 1993 durant la campagne électorale. Philomène Gatihoro, la quarantaine, se souvient de certains contenus des chansons de campagne de l’Uprona : « Iteka aho ryamvye » (pour l’éternité), « Ntagikere ciswe muribora » (pour qualifier Ndadaye de crapaud), etc. Une façon, selon elle, pour les responsables de l’Uprona, de faire comprendre aux militants que le règne de l’Uprona est éternel, que la victoire est garantie.

Du côté Frodebu, Félicité Ruguguza se rappelle d’une chanson où l’on disait : « Umwana yonke, yonke Frodebu » (Quand un enfant tête, qu’il tête le Frodebu), « Umwana adahwe, adahwe Mporona » (Quand un enfant vomit, qu’il vomisse l’Uprona). « Avec ces mots, ces messages dégradants, haineux, la situation était tendue, électrique». Ce qui était plus inquiétant, ajoute Pascal Manirakiza, c’est que les jeunes étaient instrumentalisés. « Ils étaient très actifs».

Pour Dénis Banshimiyubusa, politologue et professeur d’université, l’avènement de la démocratie ne concernait pas seulement le Burundi. Il déplore que tout a été fait dans la précipitation : « En deux ans, des partis ont été agréés, la campagne et les élections organisées ainsi que la mise en place de nouvelles institutions. »

Pour lui, les Burundais n’ont pas eu le temps de comprendre ce qu’est la démocratie, ses principes, son fonctionnement, etc. « Ils avaient juste des informations superficielles, donc une mauvaise compréhension».

M.Banshimiyubusa souligne que même le parti Uprona était presque déboussolé : « Les Upronistes se disaient qu’il serait mieux d’aller aux élections rapidement avant que les nouveaux partis aient une assise solide dans la population. Or, ils ignoraient que le parti Frodebu existait et enseignait clandestinement depuis 1986. »

La victoire de Ndadaye, le paradis et l’enfer

Investiture du président Melchior Ndadaye, le 10 juillet 1993, à l’hémicycle de Kigobe.

Pour les uns, la victoire du Frodebu était la bienvenue. « Ils ont fêté. Ils se sont sentis soulagés, libérés. Ils croyaient en un Burundi nouveau », confie Mme Ruguguza. Cependant, pour les autres, le ciel venait de tomber sur leurs têtes. Elle fait allusion aux Upronistes, à ceux qui étaient dans des postes de responsabilités.

Le politologue Banshimiyubusa indique que les nouveaux dirigeants se demandaient comment ils allaient gérer le pays avec une armée et une gendarmerie presque mono-ethnique et un commandement mono-régional.

Mme Ruguguza estime que la peur a gagné les Burundais : « On se surveillait sur base ethnique. Les gens formaient des groupuscules. On disait que les Hutu sont du Frodebu et que les Tutsis sont dans l’Uprona. » Crescence Nyabenda affirme que c’est à cette époque qu’elle a commencé à suivre les informations : « Je ne pouvais pas dormir sans m’informer auprès de quelqu’un de mon ethnie.» C’est à cette époque qu’elle a appris le mot ‘’Kwihutura’’ (Un Hutu qui se fait passer pour un Tutsi). « On nous disait, celui-là, même s’il est de notre ethnie, il s’est aliéné. Il ne faut jamais se confier à lui ».

Les écoles n’étaient pas épargnées par ce climat politique tendu. Jean Dominique Ndamugaye, écolier alors, faisait partie des pionniers affiliés au parti Uprona : « J’ignorais encore mon ethnie. C’est lors de la campagne que je l’ai apprise. Des enseignements ethniques étaient donnés clandestinement. »

A l’Université du Burundi et dans les écoles secondaires, le politologue Banshimiyubusa rappelle qu’après l’annonce de la victoire du président Ndadaye, des étudiants et des élèves sont descendus dans les rues pour contester les élections. « Ils les qualifiaient d’un recensement ethnique. Des villes mortes ont été organisées». Selon lui, les jeunes étaient téléguidés par les politiciens.

Idem au sein de l’armée et la gendarmerie. Nicolas Ndayishimiye, ancien militaire, affirme que tout n’était pas rose : « A un certain moment, la population s’est montrée très méfiante. L’armée n’était pas bien vue par une partie de la population. » Il se rappelle qu’au sein de l’armée, il était interdit de débattre sur ces informations en rapport avec le multipartisme.

Des signes de mauvais augure

Monument des Martyrs où sont enterrés le président Ndadaye et ses proches collaborateurs.

« C’était prévisible que Ndadaye serait tué », analyse Nicolas Ndayishimiye. Il se réfère aux différentes tentatives de coup d’Etat. « Auparavant, on voulait tuer Ndadaye et Buyoya en même temps». Des extrémistes du parti Uprona, explique-t-il, accusaient Buyoya d’avoir été lâche, d’avoir vendu le pays. « On lui a trouvé des surnoms tels Gustave (crocodile), baleine, etc. On le traitait de bâtard, de traître, etc». M.Ndayishimiye fait savoir que les organisateurs des coups d’Etat étaient réunis dans un groupe dénommé AMAVYA (Association Matana-Vyanda.)

De son côté, Agnès Ndikumogongo indique qu’après le retour de vacances en 1993, certaines élèves avaient dans leurs cartables des photos du président élu. « Après, elles ont commencé à gribouiller le portrait de Ndadaye et ont jeté les papiers dans les toilettes». Une preuve, selon elle, qu’elles avaient reçu certains enseignements pendant les vacances.

Jafali Majaliwa assure que dès l’investiture de Ndadaye, des messages disant qu’il ne règnera que trois mois ont circulé. Pour lui, l’assassinat du président Ndadaye était un coup bien planifié. Il abonde dans le même sens qu’un autre intervenant dans le débat de Muyinga : « J’étais encore à l’école primaire. Mais, un jour, j’avais entendu un militaire de ma famille déclarer à ma mère que Ndadaye ne pourra pas régner tant que les fusils seraient encore fonctionnels. »

Le politologue Banshimiyubusa juge que certaines mesures n’ont pas rassuré les perdants. Il évoque le rapatriement des réfugiés avec la restitution de leurs terres, la nomination de nouveaux visages dans les institutions jusqu’aux garçons de bureau. D’après lui, la goutte qui a fait déborder la vase est l’annonce de la restructuration de l’armée et de la gendarmerie. Car, selon le plan de Ndadaye, toutes les communes devaient désormais être représentées dans ces organes en tenant compte de sa population.

Le président Melchior Ndadaye et ses proches collaborateurs ont été assassinés dans le coup d’Etat de la nuit du 20 au 21 octobre 1993.

Le pays s’embrase

Après le coup d’Etat, le pays plonge dans le chaos. D’après Godefroid Muhigirwa, ceux qui ont assassiné le président Ndadaye ont oublié la lourdeur de l’institution présidentielle. Pire encore, les putschistes ont été incapables d’assumer et de gérer la situation : « Ils se sont retrouvés bloqués, en débandade, sans commandement. Ils avaient honte de ce qu’ils venaient de faire et les extrémistes de deux côtés en ont profité pour attiser le feu. »
Le politologue Banshimiyubusa souligne que les putschistes ont décapité toutes les institutions du pays. « Ce qui a conduit à une absence de l’administration. La population s’est retrouvée comme une brebis égarée». Il rappelle aussi qu’il y avait des blessures du passé comme celles des événements douloureux de 1972.

Il évoque aussi des appels à la défense de la démocratie qui auraient été interprétés d’une façon ou d’une autre par la population. A ceux qui disent que ce sont uniquement les Tutsi qui ont été tués juste après l’assassinat du président, il estime que c’est faux : « Toutes les ethnies ont été touchées. »

Quant à Jérôme Bigirimana, il a ajouté l’influence du Rwanda.

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Barezi

    Ces débats sont dépassés mes chers Burundais !!Nous avons actuellement d’autres problèmes bcp plus urgents à débatre: corruption, pauvreté, environnement, gouvernance etc. Ivya 1993 vyarabaye ntibizosubira

    • Kagabo

      Mbe abasokuru bacu boba barihenze bavuga ko akahise gategura akazoza? kandi umuntu wese agomba kwiyibagiza akahise kiwe aba afise ingorane nini gose, canke hari ico agomba kunyegeza. Nta mwaka n’umwe uzobaho kwMisi batavuga ingorane z’ubushomeri, ingorane z’ubukene, ihindagurwa ry’ibih,…….Merci bcp à Iwacu qui tient à nous rappel notre passé composé et ayons le plaisir de se revoir dans notre miroirs peu importe l’amertume.

    • Magara

      Expression faciale des deux acteurs clés de la passation du pouvoir en 1993: regard franc, direct d’un côté à droite, regard fuyant, baissé de l’autre, à gauche. Une image vaut mille mots! La suite on la connaît!

      • Yani

        Merci de nous faire part du résultat de votre lecture par la communication non verbale.
        Et que dites-vous de quelques uns des participants au débat ci-dessus, en analysant leur façon de se tenir?

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